Occidental Sahara Between Homunculus and Reality: interview avec Ahmed Merzagui

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7 min readSep 1, 2020

“Je vois le monde comme une scène en constant changement, une scène que nous devons, nous humains, pour des besoins existentiels, de reconnaissance, de mémoire, entre autre… documenter, relater, raconter à l’autre, à notre semblable, donnant ainsi notre, probablement subjective et spécifique, mais intéressante et unique, vision de la vérité, facette parmi les facettes, infinies étincelantes et miroitantes de la Vérité.” Ahmed Merzagui nous parle des enjeux de la photographie et de sa pratique, à l’occasion de l’exposition Narratives from Algeria au Photoforum Pasquart.

OSBHR — Occidental Sahara Between Homunculus and Reality © Ahmed Merzagui

Pourquoi la photographie? Qu’est-ce qui vous particulièrement intéressé ou attiré dans ce médium? Comment avez-vous commencé à utiliser la photographie?

J’ai toujours été intéressé par l’art et la culture. Aussi loin que remonte ma mémoire, les expressions artistiques, surtout visuelles, audio et audio-visuelles me parlaient.

Consommateur avéré, j’avais une appétence particulière pour tout art qui me parlait visuellement. J’essayais d’analyser tout média que mes yeux capturaient pendant une longue période.

En 2015 j’ai acheté mon premier appareil photo, un vieux Minolta X300 avec lequel j’ai travaillé quelques mois avant de commencer à collectionner les appareils argentique. D’ailleurs même cassé je le garde dans une boîte en souvenir.

Durant cette période, je capturais de tout avec une prédilection pour l’intime, je documentais ma vie. Par la même pratique je m’exerçais techniquement et je développais mon regard.

Vers la fin 2016 l’association culturelle la grande maison annonçait l’ouverture d’un atelier photo dirigé par Houari Bouchenak, je l’intégrais, et le voyage commençait. Je m’initiais à la photographie d’art et documentaire et je commençais un projet sur ma ville natale Tlemcen Métavision d’une ville sobre.

Vers la fin 2017, après ma première exposition, j’ai adopté la photographie numérique. Les contraintes techniques de l’argentique m’avaient formé.

Maintenant j’essaye souvent de travailler mes projets des approches et des pratiques différentes: souvent en argentique et numérique, en m’essayant parfois à des interventions, au collage, new media, installations, peinture….

OSBHR — Occidental Sahara Between Homunculus and Reality © Ahmed Merzagui

Quelle est votre approche de la photographie, comment la concevez-vous?

La photographie pour moi est un acte créateur, où le photographe démiurge, au-delà d’un procédé physique manié via un appareil, crée une œuvre, une réalité immuable à partir d’une scène en constant changement.

Je conçois le procédé comme une sensibilité envers un instant T suivie d’une volonté de création, la volonté de dénuder l’évènement de son temps. De le conserver, de le documenter, de le relater, de le montrer aux autres ou même de l’oublier dans un dossier… Mais de le dénuder, de transformer son essence même, ce n’est plus l’évènement dans le temps T, c’est une photo éternelle.

Je vois le monde comme une scène en constant changement, une scène que nous devons, nous humains, pour des besoins existentiels, de reconnaissance, de mémoire, entre autre… documenter, relater, raconter à l’autre, à notre semblable, donnant ainsi notre, probablement subjective et spécifique, mais intéressante et unique, vision de la vérité, facette parmi les facettes, infinies étincelantes et miroitantes de la Vérité.

OSBHR — Occidental Sahara Between Homunculus and Reality © Ahmed Merzagui

Quels sont les éléments centraux de votre pratique, ce que vous souhaitez particulièrement transmettre au public?

Je traite les sujets de mes travaux avec une approche psycho-philosophique et souvent sociale, je ne prétends jamais montrer la Vérité mais peut être une réalité, vue par moi, interprété exclusivement par ce qui fait de moi ce que je suis, et ce qui fait de l’humain ce qu’il est, mon inné et mon acquis.

Je cherche souvent à connaître, analyser et comprendre le sujet que je traite. Je tends à le maîtriser, souvent même à le vivre, par souci de légitimité sûrement, mais je ne travaille jamais, ou presque en tant qu’observateur extérieur. Peut-être par pragmatisme, ou par nature, je relie tout sujet que je documente dans mes projets à moi et à ma vie… Je conçois sincèrement que mon œuvre est ma biographie. Je documente ma vie.

Ce que je souhaite transmettre au public n’est jamais sous forme de réponses, souvent c’est des questions, des malaises, une remise en question d’acquis, et une porte vers la considération d’une autre réalité. Toute pièce a deux faces, je ne montre jamais les faces mais la voie, le procédé pour les découvrir…

Pouvez-vous nous parler brièvement du projet exposé actuellement au Photoforum?

OSBHR — Occidental Sahara Between Homunculus and Reality est un projet en cours ou j’ai essayé de documenter une vérité que vit le peuple sahraoui, en Algérie dans les camps de réfugiés et dans les territoires libérés de son pays. Une documentation qui annonce souvent des faits méconnus, mal connus ou inconnus par moi et nous Algériens.

Je suis parti du constat, personnel mais aussi (par majorité) global et avéré, que nous autres Algériens avons une certaine image du peuple Sahraoui, de sa vie, de son combat, de son quotidien, une vision de l’affaire Sahraoui, une vérité sur la cause… Enfin une image mentale faite graduellement, par combinaison, tel un puzzle, d’un amas d’informations, de racontars, d’images, de photos, d’actualités, d’informations manquantes, de cours de classes… Un homuncule, représentation cérébrale de l’Homme Sahraoui. À travers mon projet je voulais confronter cette image à la réalité que je vivais sur le terrain.

OSBHR — Occidental Sahara Between Homunculus and Reality © Ahmed Merzagui

Que signifie pour vous exposer à l’étranger? Que souhaitez-vous transmettre à un public a priori peu familier de l’Algérie?

Une exposition internationale est une fenêtre d’un intérieur vers l’extérieur. Un intérieur personnel ou collectif. Une exposition dans le sens show, montrant ce qu’on veut bien montrer de ce qui se passe à l’intérieur (de nous-même ou de notre société) à des personnes extérieurs à ce système.

Face à cette fenêtre on est ambassadeur, de soi, de notre photographie, de la photographie Algérienne et de l’Algérie. On n’est point représentant (loin de moi la jactance du terme) mais un échantillon que le monde voit, et dont le monde voit l’œuvre.

Ce que je souhaiterai par-dessus tout transmettre via mes œuvres c’est la curiosité, une curiosité pour ma personne qui pousserait l’audience à se familiariser avec l’Algérie, et une curiosité pour le sujet de mes projets pour la pousser à avoir sa propre vérité.

OSBHR — Occidental Sahara Between Homunculus and Reality © Ahmed Merzagui

A vos yeux, qu’est-ce qui permettrait à la photographie algérienne d’être mieux connue et diffusée à l’étranger?

Je me dis souvent que la photographie algérienne est riche, très riche. Notre pays représente un puits sans fond, une source intarissable de sujets à traiter, à voir, à documenter, à relater… Un constat dû à l’énormité géographique, la complexité sociale et les méandres historiques.

Riche mais peu connue, peu diffusée. Peut-être des noms, quelques sommités, quelques projets, des œuvres… Mais globalement ça reste une quantité infime recueillie comparée à la source.

Peut-être est-ce une faute de communication, de modèle de fonctionnement, d’approche, ou peut-être est-ce dû à un environnement plus global qui nous est supérieur, inatteignable et peu propice… Faute du climat politique, des fait historiques, de l’évolution sociale et socio-économique, des approches personnelle, de l’individualisme, peut-être même le problème est plus large, plus grand, celui du modèle capitaliste du marché, de la consommation et de la production de l’art, modèle auquel l’Algérie en tant que pays et l’algérien en tant qu’entité sociale complexe et en tant qu’individus, artiste, créateur n’a pas encore pu s’adapter…

Enfin le sujet est large et mérite une documentation, peut-être même un projet photographique.

Biographie

Né en 1993 en Algérie, Ahmed Merzagui a toujours été intéressé par l’art et la culture. Ayant commencé à écrire très tôt, puis s’est dirigé vers le théâtre et la danse pour finir par les arts visuels, notamment la photographie, Ahmed Merzagui s’est exprimé au fil des ans dans plusieurs “langages” à travers une approche souvent portée par la philosophie.

Au milieu d’une carrière universitaire médicale achevée, Ahmed Merzagui a pris le chemin de la photographie en 2015, parlant par la voix exclusive de la photographie analogique pendant 2 ans. Ayant sa première exposition en 2017, il a adopté la photographie numérique à la fin de la même année.

2018 a été l’année de la diversification, de l’exploration, de l’expérimentation et de l’expansion. Explorant les arts visuels, il se lance dans le collage, expérimente la sculpture et les installations, essayant d’amener la photographie au-delà des normes de l’exposition.

Avec son parcours hybride, et son penchant pour la philosophie, Ahmed Merzagui considère le monde comme une scène en constante évolution, que nous devons, en tant qu’humains, dans un but existentiel, entre autres, reporter, décrire ou raconter, à notre semblable, donnant notre vision, probablement subjective et spécifique, mais toujours unique et intéressante, de cette peinture chatoyante aux facettes infinies.

https://ahmedmerzagui.carbonmade.com/

Instagram: ahmedmerzagui

Narratives from Algeria

L’exposition Narratives from Algeria, au Photoforum Pasquart de Bienne, en Suisse, a lieu du 4 juillet au 6 septembre 2020. Elle a pour ambition de présenter un aperçu de la photographie contemporaine algérienne dans sa pluralité, sa richesse et sa diversité, alors qu’elle fait l’objet, à l’heure actuelle, d’une diffusion internationale limitée. Narratives from Algeria rassemble le travail de plus de 30 photographes internationaux aux liens étroits avec l’Algérie, dont une majorité y réside actuellement. Leurs projets livrent collectivement un récit multiforme de l’Algérie, de son présent complexe à la lumière de son passé difficile, et abordent des questions telles que l’identité collective et individuelle, l’engagement politique ou certaines facettes de la vie quotidienne dans le plus grand pays du continent africain.

https://www.photoforumpasquart.ch

Vue de l’exposition Narratives from Algeria © Léonard Rossi

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