Seing sur terre: interview avec Mohamed Mahiout
Seing sur Terre est un projet né de voyages multiples dans différents pays, et d’une approche précise du médium photographique, sur lequel revient Mohamed Mahiout à l’occasion de l’exposition Narratives from Algeria au Photoforum Pasquart.
Pourquoi la photographie? Qu’est-ce qui vous a particulièrement intéressé ou attiré dans ce médium? Comment avez-vous commencé à utiliser la photographie?
Ma pratique de la photographie est un parcours de transmission et d’apprentissage. J’ai reçu de mon père mon premier appareil photo à l’âge de 6 ans, un petit appareil de format 110 grâce auquel je m’amusais à saisir des moments du quotidien de la famille, ou lors des fêtes et événements. À ce premier contact actif avec le dispositif photographique s’ajoutait la féerie du soin nécessaire à la manipulation des films argentiques et de la patience dont il fallait se munir en attendant le retrait des tirages auprès du laboratoire.
Plus tard, j’ai eu droit à l’usage du reflex argentique de mon père. C’était le moment où il ne fallait plus se contenter de “prendre des photos” mais de “pratiquer la photographie.” Il se trouvait dans la bibliothèque familiale une série de livrets de formation que je consultais. Une fois la technique acquise et l’usage de l’appareil maîtrisé, il restait la subtilité du regard et la personnalisation des règles canoniques. Avec mes amis de quartier à Alger, d’âges différents, nous nous organisions pour nous munir de films et convenir de projets ou de sorties pour réaliser des photos, à l’issue desquels nous discutions des résultats, tant d’un point de vue technique qu’esthétique, et même philosophique. Portraits, paysages, reportage, sport, nous avions cette soif de maîtriser tous les genres. Pour ma part, je ne manquais pas de consulter les livres de photographie en bibliothèque. J’apprenais sur l’histoire, sur le matériel, les genres et le regard différent de chaque photographe. Je fréquentais aussi la galerie d’Abdessalam Khelil sise au 2 rue Didouche Mourad. Sa conscience écologique à la fois atavique et d’avant-garde m’a marqué.
Pouvez-vous nous parler brièvement du projet exposé actuellement au Photoforum?
Seing sur Terre est un projet né de voyages multiples dans différents pays. Il donne à voir des photos du sol faites par avion, rappelant la pratique de l’archéologie aérienne. L’angle de vue, comme le choix des contrastes élevés participent au rendu non figuratif de ces photos qui mettent en valeur les tracés sur le sol, œuvre de l’érosion naturelle ou de la main de l’homme. Le noir et blanc voudrait ne pas limiter la réaction du spectateur à l’émotion mais lui permettre un exercice cérébral, en tentant d’identifier le sujets de ces photographies, puis en se questionnant sur leur portée.
Me concernant, la réflexion sur ces vues a commencé par un mot: Tamurt en berbère, qui désigne le sol, la terre, le pays ou encore la patrie. Substantif féminin dont le masculin “amur” signifie la part. Je me pose donc la question, à travers ces photos, de savoir quelle est la part de l’homme (ce qu’il reçoit) de l’influence de la terre sur les identités, les cultes et les cultures, et quelle est sa part de responsabilité dans le façonnement de cette terre.
Que signifie pour vous d’exposer à l’étranger? Que souhaitez-vous transmettre à un public a priori peu familier de l’Algérie?
Une suite cohérente pour mon projet Seing sur Terre, qui avant tout est une somme de photographies de voyage. Les mystiques de par leurs récits, leurs textes et leur poésie définissent le voyage (Assiyaha dans le jargon arabe) comme l’élément central de toute initiation, de laquelle résulte un changement ontologique de l’initié.
Par ailleurs, et dans l’esprit même du don initiatique qui consiste à la fois à recevoir une aptitude et à donner, montrer ces photographies à un public peu familier de l’Algérie m’appelle à m’inviter chez lui et lui offrir non pas des vues d’Algérie mais un regard algérien sur le monde.
Sur quoi travaillez-vous en ce moment? Pouvez-vous nous parler de vos projets actuels ou futurs?
Sur la préparation de l’exposition du même projet. Seing sur Terre fera l’objet d’une discussion à l’occasion d’un colloque universitaire entre la Maison du Parc naturel régional du Vexin et l’Université de Cergy-Pontoise, début octobre. Retenu pour le Off de la Biennale de Dakar, il y sera exposé aux dates à confirmer. J’entretiens aussi des collaborations avec des poètes et critiques littéraires pour accompagner leurs textes et études ou en faire l’objet.
A vos yeux, qu’est-ce qui permettrait à la photographie algérienne d’être mieux connue et diffusée à l’étranger?
Une institution photographique forte avec une sérieuse politique culturelle, des initiatives comme celle qui nous rassemble.
Biographie
De concert avec ses recherches universitaires, ses pratiques artistiques sont au carrefour de deux genres: l’écriture poétique et la photographie. Mohamed Mahiout propage ses vers dans plusieurs lieux dans le monde (Algérie, Canada, France, Brésil…) en publiant dans des revues comme Mot Dit (Ottawa) et Bacchanales (Rhône-Alpes), ou encore des anthologies comme Quand l’amandier refleurira (Paris) et Diwan du jasmin meurtri (Alger), agencées respectivement par Samira Negrouche et Abdelmadjid Kaouah.
Il expose ses photographies lors d’événements individuels et collectifs, publics et privés, comme à la Galerie l’Harmattan, ou à l’Hôtel de ville de Paris. Il a notamment participé par ce médium au recueil de poésie de Katia Bouchoueva Alger céleste, et à l’étude de Nicolas Treiber sur le roman Chaînes de Saïdou Bakoum.
Narratives from Algeria
L’exposition Narratives from Algeria, au Photoforum Pasquart de Bienne, en Suisse, a lieu du 4 juillet au 6 septembre 2020. Elle a pour ambition de présenter un aperçu de la photographie contemporaine algérienne dans sa pluralité, sa richesse et sa diversité, alors qu’elle fait l’objet, à l’heure actuelle, d’une diffusion internationale limitée. Narratives from Algeria rassemble le travail de plus de 30 photographes internationaux aux liens étroits avec l’Algérie, dont une majorité y réside actuellement. Leurs projets livrent collectivement un récit multiforme de l’Algérie, de son présent complexe à la lumière de son passé difficile, et abordent des questions telles que l’identité collective et individuelle, l’engagement politique ou certaines facettes de la vie quotidienne dans le plus grand pays du continent africain.