Le Web et la localisation

Claire Desbois
Floe design + technologies
5 min readNov 4, 2016
Crédit photo: Nasa

Dans une société où les échanges mondiaux sont de plus en plus importants, il est logique que de plus en plus de sociétés veuillent toucher un large public qui dépasse les frontières de leur pays. Sur le web, cela se matérialise en proposant des sites s’adressant à diverses régions du monde, généralement en plusieurs langues. Le problème, c’est que la seule traduction d’un site web n’est qu’une des clés pour toucher un public international. La problématique est humaine et, techniquement, bien plus complexe que de proposer un site en anglais et en français pour toucher l’intégralité des anglophones et francophones dans le monde. Cette problématique a un nom: la localisation.

La localisation est différente de la traduction et se définit par un processus d’adaptation au public visé par le produit. Cette adaptation peut autant être linguistique que physique, culturelle ou technique. Avant de permettre la localisation d’un produit, une étape est nécessaire. Il s’agit de l’internationalisation, qui consiste à designer et développer le produit de manière à permettre facilement sa localisation. Bien entendu, ces deux processus ne sont pas limités au web et peuvent aussi se poser pour des produits physiques, comme des chaines de restauration rapide ou des voitures, qui n’ont pas les mêmes noms et ne sont pas présentés de la même manière selon les régions du monde.

Le but de la localisation est de proposer un produit qui répond aux attentes locales et qui n’entre pas en conflit avec la culture, les coutumes locales ou encore la loi. En effet, ce qui peut nous sembler adapté de notre point de vue n’aura peut-être pas du tout le même impact pour une personne ayant une culture différente et pourra être perçu comme de l’exclusion, de la paresse ou de l’irrespect.

Sur le web, cette problématique n’est pas nouvelle et des travaux de réflexion repris par la W3C sont menés depuis plusieurs décennies pour
proposer des technologies. On trouve par exemple dès 1995 une RFC définissant un standard pour un tag d’identification de la langue sur le web qui sera utilisé par HTML 4 et les versions suivantes. La version actuelle
du document, la RFC 5646, définit un tag d’identification d’une langue comme suit:

Language tags are used to help identify languages, whether spoken, written, signed, or otherwise signaled, for the purpose of communication. This includes constructed and artificial languages but excludes languages not intended primarily for human communication, such as programming languages.

Ce document de 84 pages décrit donc un standard qui permet de définir autant l’espagnol d’Amérique latine que le vieil anglais, le latin, l’espéranto ou le klingon, et est ouvert à des langues futures. Cette définition est donc adaptée pour la localisation, mais montre également toute sa complexité puisque le découpage du tag se résume comme suit:

Découpage du tag de langue défini par la RFC 5646 (Image provenant de la W3C)

Chez Floe nous utilisons principalement Drupal, qui a l’avantage d’être adapté à la localisation. Avec plusieurs modules d’internationalisation, il est possible pour ses utilisateurs de proposer un site différent en fonction de la langue ou de la position géographique des utilisateurs. Mais avoir les outils techniques ne suffit pas à faire une bonne localisation d’un site web, il faut aussi connaître et comprendre toutes les différences qui demandent une adaptation localisée.

On peut prendre comme exemple les réseaux sociaux. Si les utilisateurs occidentaux utilisent majoritairement Facebook, Twitter ou LinkedIn, ce n’est pas le cas des utilisateurs chinois qui n’ont pas accès à ces services dans leur pays. Leur proposer de partager du contenu sur ces réseaux sociaux comme on le fait pour des utilisateurs américains n’a donc aucun sens. En Russie, le réseau social le plus utilisé est VK, un concurrent de Facebook, donc il s’agit pour eux de préférence plutôt que d’accessibilité.

Crédit photo: Daryan Shamkhali

Le problème se pose aussi avec les services sur le web dont l’utilisation peut varier selon les régions du monde. Les services de carte en ligne sont un très bon exemple. Si Google Maps est largement utilisé en Amérique du Nord et en Europe, il est délaissé par les utilisateurs asiatiques qui lui préfèrent
d’autres produits pour des questions de qualité, d’options ou de visuels. Leur présenter des cartes sur Google Maps peut donc s’avérer désagréable et aura un impact négatif sur leur visite.

Les informations pratiques ne sont pas les mêmes en fonction des régions. Le système métrique peut changer en fonction des pays, tout comme le format des dates, des adresses postales, des numéros de téléphone ou la devise. Il est de même pour les informations personnelles, les formats pouvant être très différents d’une culture à une autre. S’il peut paraître usuel
d’avoir un prénom et un nom, certaines cultures acceptent plusieurs prénoms, d’autres un seul nom. Il peut également être considéré comme intrusif de demander certaines informations telles que l’ethnie selon les cultures, la collecte de telles informations pouvant d’ailleurs être encadré par la loi dans certains pays.

Les questions juridiques ne sont d’ailleurs pas rares dans la localisation. Pour un magasin en ligne, il faudra faire attention de ne pas vendre des produits interdits dans un pays. Amazon Australie ne vend pas certains jeux vidéo dans son magasin, car ils sont bannis en Australie. On les retrouvera par contre dans ses autres magasins. En France, les magasins en ligne n’ont
pas le droit de proposer un service de livraison gratuit pour les livres
.
Il existe des lois rendant obligatoire l’affichage de certaines informations. Pour une entreprise localisée en Europe, il est obligatoire de prévenir les utilisateurs de l’utilisation de cookies sur le site web, ce qui n’est pas le cas dans le reste du monde.

Même avec un bon outil internationalisé, les problèmes techniques s’avèrent plus complexes et plus subtils. Un moteur d’indexation sur un site ne fonctionnera pas de la même manière en fonction de la langue indexée et demandera des configurations différentes pour travailler avec des langues asiatiques. La qualité du réseau ou du matériel n’est pas nécessairement
la même partout dans le monde. De nombreux pays n’ont pas accès à une connexion internet haut débit et le téléphone cellulaire est parfois le principal appareil qui permet aux usagers de naviguer sur le web. Des considérations à prendre en compte lorsque l’on veut proposer des produits qui demandent un bon matériel ou une bonne connexion.

Et au-delà des aspects pratiques, on peut rencontrer des différences sensibles. On peut proposer un design, une expérience utilisateur ou un contenu différents selon la région et la culture visée pour avoir un impact plus positif auprès du public.

Tous ces points ne sont qu’une part d’un ensemble très vaste. Pour bien localiser un produit, que ce soit un site web, un logiciel ou autre, il faut tenir compte de toutes ces problématiques; se poser des questions, avoir une bonne connaissance de la culture, écouter son public et garder l’esprit ouvert.

Voir plus loin:

- Le portail d’internationalisation de la W3C
- Falsehoods Programmers Believe
- Falsehoods Programmers Believe About Phone Numbers

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