Hommage à Philip Roth

Portnoy et son complexe

Frédéric Danset, écrivain
Frédéric Danset
2 min readJun 3, 2018

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« Drôle et émouvante variation sur le thème du sexe, de la culpabilité et des origines » pourrait-on lire sur l’affiche du film imaginaire tiré de cette histoire. Un film posthume pour cet immense écrivain américain qui nous a quittés le 22 mai 2018, et qui, s’il n’a pas toujours tout réussi, gardera toujours pour moi la fraicheur salvatrice des larmes d’un puissant éclat de rire.

C’est donc la fièvre sexuelle de sa prime enfance que Philip Roth exploite pour nous dévoiler l’être intime d’un homme contemporain. Sa confession insiste sur les émois libidineux du héros enfant en compagnie d’une tranche de foie de veau ou d’une bouteille de lait au goulot graissé, et nous fait hurler de rire devant l’appréhension néanderthalienne de ses parents pour tout ce qui touche l’ailleurs, les autres et la transgression des interdits de sa religion. Mais le rire ne serait pas si plein et salvateur s’il n’était pas le miroir personnel du désarroi et de la souffrance du narrateur pour qui la peur du grotesque occupe une place plus importante que la peur de Dieu.

Les premières pages traitent des problèmes de constipation du père, c’est l’occasion d’admirer l’affection comique avec laquelle le narrateur va considérer ses parents tout au long du livre. Tendresse et culpabilité s’y affrontent pour notre plus grand bonheur. Le regard du héros sur les conditions d’existence du milieu juif des années cinquante en Amérique vaut son pesant de causticité et de sympathie, il dessine avec pertinence un monde révolu et absurde ou les stratifications religieuses et morales empêchent l’édification du nouvel homme moderne. Il est l’enfant tourmenté par son désir, il est l’enfant tourmenté par les gentils. Il est le témoin de la corruption de la réalité par le prisme de la tradition, car la corruption de son monde viendra d’un au-delà plus puissant que la simple trahison aux valeurs de son clan, mais d’une trahison faite à lui-même, car la femme qu’il aime lui est un amour impossible par le seul jeu des conventions sociales (elle est stupide et illettrée), et le long monologue à son médecin qui est le prétexte au récit n’est que la recherche du sens de ce conflit intérieur. Les scènes où il se raconte avec ses parents puis plus tard avec son amante sont dignes de figurer dans une anthologie de l’humour au côté de certaines saillies de Coluche, vraiment ! Philip Roth nous livre un livre brillant et drôle en plus d’une réflexion sur le fait d’être un juif, et au-delà, d’être un homme dans le Nouveau Monde. Sa visite finale en Israël achèvera de le convaincre qu’il est étranger partout, parce qu’il est principalement étranger à lui-même et à la vie.

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