Les amérindiens Wayampis, citoyens français d’Amazonie

Matthieu Delmas
6 min readSep 13, 2014

Aux confins de la Guyane, sur les rives du fleuve Oyapock qui marque la frontière avec le Brésil, vivent les amérindiens Wayampis, l’une des six communautés autochtones que compte le département.

L’ébène rose est considéré comme sacré par les amérindiens Wayampis.

La découverte des villages de Trois-sauts rompt soudainement le spectacle saisissant de l’Amazonie guyanaise survolée une heure et demie durant depuis Cayenne. La canopée est parsemée de méandres aux courbes sinueuses. Tel des serpents, ces cours d’eau dessinent des formes douces. Leur eau saumâtre parait se faufiler dans cette forêt aux allures d’océan. Ici et là, on distingue des bouquets roses qui couronnent le velours de la forêt. Il s’agit de l’ébène rose, tayi en wayampi, au bois plus dur que le fer. Les amérindiens l’utilisent comme remède contre la fièvre. Considéré comme sacré. On ne le coupe pas. On attend qu’il tombe au sol, comme un cadeau de la nature.

Le Haut-Oyapock, fleuve frontalier avec le Brésil. ©Matthieu DELMAS

Un territoire enclavé

L’hélicoptère entame sa descente vers le village Zidock. Nous sommes en pleine jungle. Aucune route ne relie les villages de Trois-Sauts au reste du département. Il faut compter cinq jours de navigation depuis Saint-Georges de l’Oyapock, deux-cents kilomètres en aval. Le site est uniquement accessible par hélicoptère ou par pirogue. Les villages sont situés dans la zone d’accès réglementé définie par arrêté préfectoral. Nous sommes à 7245 kilomètres de Paris, au cœur de la forêt amazonienne. Ici, répartis sur quatre villages (Village Roger, Zidock, Yawapa, Pina), vivent huit-cents citoyens français. Les amérindiens Wayampis. L’un des six peuples autochtones que compte le département.

Le village Zidock. ©Matthieu DELMAS
La préparation du manioc, aliment de base pour les Wayampis. ©Matthieu DELMAS

« Camopi n’est pas une commune amérindienne, c’est une commune française gérée par les amérindiens » insiste Réné Monerville, maire de la commune de Camopi.

A droite : Réné Monerville, maire de Camopi. ©Matthieu DELMAS

Pour Damien Davy, anthropologue à l’observatoire homme-milieu Oyapock du CNRS, la francisation a débuté en 1969, lors de la création des communes de Maripasoula et de Camopi.

L’institutrice au village Zidock. ©Matthieu DELMAS

Aujourd’hui, les quatre villages regroupés autour de Trois-Sauts disposent d’un dispensaire, d’une école et depuis 2013, d’une annexe de la mairie car la communauté est rattachée au bourg de Camopi, situé en aval à deux jours de pirogue.

Les élèves rentrent de l’école. ©Matthieu DELMAS

Citoyens français d’Amazonie

Reconnus comme citoyens français, les peuples amérindiens de Guyane ont parfois le sentiment d’être considéré comme des citoyens de seconde zone. Aujourd’hui, les communautés se battent pour faire reconnaître leurs droits et préserver leurs traditions.

Les Wayampis sont de croyance animiste. C’est un peuple de chasseur-cueilleur qui sait gérer les ressources de la forêt pour se nourrir. Les Wayampis pratiquent l’agriculture sur brûlis dans les abattis. La culture du manioc couvre les besoins alimentaires essentiels.

Pour Damien Davy, « ce sont sans aucun doute les plus écolos des citoyens français ».

“Chaque action , que ce soit la pêche ou la cueillette est l’occasion d’entrer en communication avec la nature” assure Alexis Tiouka, expert en droits humains et chargé de mission de la commune de Camopi.

Alexis Tiouka, expert en droits humains et chargé de mission de la commune de Camopi. ©Guyaweb

Les esprits des ancêtres sont très présents dans la pensée des Wayampis. “Traditionnellement, on enterre nos morts devant chez nous. Pour que l’âme reste toujours dans la famille. L’idée d’emmener quelqu’un dans un cimetière est arrivé avec l’évangélisation il y a 50 ans” confie Alexis Tiouka.

Il n’existe pas d’obstacle entre la vie et la mort. Il y a une continuité. Lors d’un décès, la communauté organise une veillée funéraire. Les gens pleurent puis se rendent dans la maison du défunt. Des proches racontent sa vie, vantent ses exploits, en matière de chasse, de pêche ou de spiritualité.

“La famille entre en deuil pour une année pour que l’âme revienne vers l’Amazone. Il faut enterrer le corps avec la tête en direction du soleil levant” précise Alexis Tiouka.

Les villages de Trois-sauts sont situés sur la rive de l’Oyapock. En face, c’est le Brésil. ©Matthieu DELMAS

Des croyances ancestrales

Chaque élément de la nature est guidé par un esprit. L’esprit de l’eau, Pilawi est celui qui régit les ressources halieutiques. Si le pêcheur capture plus que ses besoins, Pilawi peut se venger sur sa famille et provoquer une pénurie de poisson dans l’avenir. L’esprit de la forêt, le Kouyouli est craint par les Wayampis. Il peut se transformer. Le rôle des chamans est de le dompter.

Le fleuve fait partie intégrante du quotidien des Wayampis. ©Matthieu DELMAS

La vision du monde se symbolise par des cercles concentriques autour du village. On avance du connu vers l’inconnu. Il y a le village, l’abattis, la forêt proche puis la forêt primaire, le royaume du Kouyouli.

Les enfants sont libres de se promener dans le village. ©Matthieu DELMAS

Le chamanisme est encore pratiqué. Lors du passage de l’enfance à l’adolescence à 11 ans, l’enfant doit affronter un rite initiatique. Le chaman applique des fourmis flamands sur le bras et le dos de l’enfant.

Les élèves lors d’une remise de fournitures scolaires organisée par le Lions Club de Kourou. ©Matthieu DELMAS

“A travers le chaman, l’enfant récupère un esprit protecteur” explique Alexis Tiouka.

Les enfants dansent ensuite avec les chamans. Ce sont les musiciens qui déclenchent les piqûres des fourmis avec des incantations. Cette cérémonie est « une fierté et un symbole de dignité ».

Le Cachiri se boit traditionnellement dans une calebasse.

La musique jouée lors des rituels est une musique profonde, funéraire. Pendant les cérémonies, les Wayampis boient le cachiri à l’intérieur d’une calebasse. Elle est faiblement alcoolisée (3°) et fabriquée à base de manioc ou de patate douce.

Les amérindiens en consomment de grande quantité (plusieurs litres) jusqu’à vomir. “Afin de se purifier le corps” précise Alexis Tiouka.

Une histoire douloureuse

Une femme part pour l’abattis situé sur l’autre rive de l’Oyapock. ©Matthieu DELMAS

Les Wayampis pratiquent une langue d’origine tupi-guarani. La communauté a migré à son emplacement actuel dans les années 70. Le peuple est originaire du Bas-Xingu, l’un des affluents de l’Amazone, plus au sud dans l’actuel Brésil. Dès 1699, les portugais cartographient leurs villages sur la rive gauche du bas-Xingu en face de l’embouchure du rio Pacarà.

Leur présence dans le bassin amazonien remonte au VI ème millénaire avant J.C comme l’attestent les nombreux vestiges de peuples amérindiens (poteries, gravures).

C’est au début du XIXème siècle que commence leur lente migration vers le nord, dans l’actuel Etat brésilien de l’Amapa.

En 1736, les Wayampis franchissent l’Amazone et s’installent sur les rives du bas-Jari. La communauté compte alors 6000 personnes et continue sa migration vers la Guyane actuelle. Entre 1815 et 1830, pendant les guerres napoléoniennes, les Wayampis s’affranchissent définitivement des colons portugais.

C’est l’arrivée des Français qui signe le début de leur déclin. L’importation de maladies décime les Wayampis. En 15 ans, 75% de la communauté disparaît. La population chute alors à 1500 individus. Lorsque les contacts se renouent avec les français en 1940, il ne reste plus que 230 Wayampis répartis sur deux villages.

Matthieu DELMAS

twitter : @delmas_matthieu

Le village Roger. ©Matthieu DELMAS

Remerciements au Lions Club de Kourou, à Damien Davy (anthropologue à l’observatoire homme-milieu Oyapock du CNRS), à Alexis Tiouka (expert en droits humains et chargé de mission de la commune de Camopi), à Jocelyn Thérèse (président du conseil consultatif des populations amérindiennes et bushinengue) et France-Guyane.

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