Ce que j’ai appris en lâchant mon CDI pour le free-lance

Judith Duportail
7 min readAug 19, 2016

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J’ai toujours été du genre à prendre TOUS les risques

Il y a pile un an, à mon retour de vacances d’été, j’ai plaqué mon CDI au Figaro pour me lancer dans le journalisme en free. J’ai adoré mes 4 ans au Figaro, j’y ai tout appris. Mais je n’y étais plus à ma place, je ne voyais pas comment y continuer à grandir et faire évoluer ma carrière. J’ai choisi de partir avant d’être aigrie et toute grise. Pour qui hésite à sauter le pas, voici deux-trois petits tips que j’ai appris sur la route.

Il va y avoir des moments nuls

Être en free-lance c’est avoir des semaines où la vie est grandiose, où tout le monde veut bosser avec toi, dèj avec toi, connaître ton avis sur un projet, te payer pour connaître ton avis, limite te payer pour dèj avec toi.

Mon tout premier conseil sera de garder la tête froide durant ces moments de win. Car il y aura d’autres semaines, et il va falloir apprendre à gérer cet ascenseur émotionnel. Tu te souviens le samedi après-midi quand tu étais petit, et que tu avais un gros coup de blues quand tous tes copains étaient partis de ton goûter d’anniversaire ? Bien. Il va falloir composer avec cette émotion là, à nouveau, quand d’un mardi sur l’autre tu seras sur-sollicité ou encore en pyj à 15 heures, à rafraichir ton Gmail dans le vent. Et plus t’auras pris le melon, plus dure sera la descente.

Apprends à sublimer ta loose

Une des raisons pour lesquelles je voulais me lancer en free-lance était d’avoir du temps, et de le gérer comme je le voulais. Laissez moi par exemple vous dire que je me cale au moins une sieste peinarde par semaine. Quand tu rentres de dej et t’endors devant ton ordi, il y a des chances pour que moi, je dorme vraiment. Mais faire la sieste n’étant évidemment pas mon unique ambition, je voulais bien sûr aussi faire “d’autres choses”.

Et quand on a enfin ce temps, parfois, on se sent écrasé, désœuvré, voire minable si on a une petite tendance à la flagellation/exagération.

Dans ce cas, une seule solution : fous-toi un putain coup de pied au cul.

Nourris-toi de la créativité des autres et lis compulsivement des milliards de trucs. Moi mon truc c’est de me dire que je passe en mode “buldozer”, je ferme Facebook pendant une heure et demi (c’est si peu… et ça me demande déjà tellement !) et je me fais une crise de boulimie de lecture. Le matin ça marche bien pour moi, mais après chacun son horloge interne. Je lis tout ce que je trouve et je m’imagine être une colonel dans une situation room qui lit un rapport d’avancée de ses troupes avant de prendre une décision capitale.

Ouais, j’imagine vraiment ça. Ça marche aussi avec les podcast, les docus, mais moi je préfère lire. Ne te pose aucune question et lis TOUT. Jusqu’au bout. Laisse ensuite macérer tout ce matériel dans ton petit cervelet, n’y pense pas. Tu vas voir, deux ou trois jours plus tard, sous ta douche, dans la rue ou dans le métro tu vas avoir une idée géniale. Soigne-là !

Les redchefs ont autant besoin de toi que tu as besoin d’eux

Montage : Acrimed

Parce que les idées, quand tu es en free-lance, c’est ta came. Tu es dealer de bonnes idées. Alors il faut les soigner, les aiguiser comme des couteaux, et bien les valoriser. Il ne faut surtout pas te voir comme un sous-journaliste qui supplie pour qu’on le laisse caser son papier quelque part. Ça ne veut pas dire qu’il faut être mégalo ni choper le maxi melon, encore une fois, le melon est ton pire ennemi. Ni qu’il ne faut pas bosser. Mais bien avoir en tête que les redchefs, chefs d’édition, directeurs de l’info, who-ever qui a le pouvoir de te prendre un sujet est dans la même galère que toi. Ils font partie du même système.

Un système affamé et insatiable, boulimique de nouvelles têtes, de nouvelles idées, de nouveaux concepts. Si les médias se copient entre eux, publient des marronniers, ressortent 14 fois les mêmes couv’ c’est avant tout parce qu’il est extrêmement difficile de se renouveler et de se réinventer en permanence. Ils ont donc besoin de ton petit cerveau frais et frétillant et de tes idées. Mets toi à la place du boss à qui on propose 42 sujets mal anglés, mal choisis et mal pensés par jour. Quelle angoisse ! Heureusement que tu es là avec ton petit pitch bien roulé pour lui ensoleiller sa journée.

Ne te formalise pas

Je pense que les redchefs décident environ en 2 secondes 30 s’ils veulent ton sujet ou pas. D’ailleurs tu le verras, souvent quand ils veulent ton idée ils te répondent limite dans la minute. Si tu n’as pas de nouvelles au bout de deux jours, ne fais pas de drame et avance. Tu peux très bien réécrire à la même personne avec une autre idée même si elle n’avait pas donné suite la fois précédente. Tout le monde fera comme si le précédent mail n’avait jamais existé. Ce n’est ni bien ni mal, c’est comme ça.

Des amis chefs m’ont dit que j’étais un peu dure, une petite relance bien amenée n’est pas mal vue, parfois ils oublient vraiment de te répondre. C’est vrai, les chefs reçoivent des dizaines et des dizaines de mails par jour. Mais dans tous les cas, le propos est le suivant : on ne déprime pas quand on se prend un râteau, on enchaîne et on repasse en mode buldozer. En fait, résister aux râteaux est une qualité essentielle du journaliste.

Les questionnements existentiels, les “suis-je vraiment fait pour ce métier”, “suis-je au niveau”, “où va ma vie”, garde les pour les pintes que tu vas descendre avec les confrères (et ceux en CDI, ne t’inquiète pas, ils les partagent aussi). Mais ne les ressors pas à chaque fois qu’un mail reste dans le vent. C’est interdit, c’est tout. En plus, on ne sait vraiment pas ce qu’il se passe du côté du destinataire de ta missive. J’ai déjà envoyé une proposition de pige à journal qui ne m’a jamais répondu, avant de tweeter, une fois le papier sorti ailleurs : “Super idée, on aurait aimé l’avoir !”.

Entoure-toi

Tu as tout à gagner à te trouver une meute de free-lance avec qui se retrouver pour travailler, à qui demander de l’aide pour comprendre la galère de la paperasse, avec qui discuter des sujets. Et surtout se torturer ensemble en se demandant si l’on est vraiment faits pour ce métier autour d’un verre de pinard un mardi à 16 heures (parce que c’est quand même ça aussi hein, le free). Si en plus tu peux te trouver un mentor qui saura t’engueuler ou te caresser dans le sens du poil en fonction des besoins du moment, c’est encore mieux. En gros mon message c’est, si tu veux durer, joue pas au Rambo. Ce n’est pas un déshonneur de parfois sortir du story-telling de sa vie et de dire “comment tu fais toi, moi j’ai peur/je galère/je comprends rien, etc.”

L’argent va t’angoisser

De façon complètement irrationnelle. Parfois pas du tout alors que tu es sacrément mal barré parfois grave alors que t’es pas si mal. Il faut vivre avec aussi. Et ne pas dépenser l’argent qu’on n’a pas encore gagné. Ça a l’air évident dit comme ça, mais la tentation est grande quand tu viens de signer un truc cool d’arroser les potes en terrasse. Fais-le une fois, et après tu comprendras vite pourquoi tu ne recommenceras pas.

Mais ça vaut le coup

Parce que tout ce j’ai énuméré ici c’est tout simple, ce n’est rien d’autre que le prix de ta liberté. De choisir avec qui tu bosses, où et à quelle heure, de choisir ce que tu fais, de faire ce que tu aimes. D’être le boss, baby !

Je vous laisse, je vais faire la sieste.

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