Comment passer du groupe ‘sympa’ au projet qui tue?

8 minutes de case study pour montrer comment une réflexion marketing peut révéler un projet musical.

Brass Stories
Brass Stories

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Nous avions couché dans un précédent article de menus conseils dans le but d’aider des copains artistes à se tailler une comm’ plus percutante. Avec 100K vues et des republications plutôt sympas à la clé, il apparaît que notre ambition initiale ait largement débordé…

Nous tenons ainsi à vous remercier pour vos partages, vos lectures et vos messages aussi indulgents que sympathiques. Ravis de savoir que notre guide vous a plu. Mieux : potentiellement servi.

Nous:

Malgré l’enthousiasme ambiant, quelques commentaires grincheux ont point. Ils n’émanèrent heureusement que de lecteurs diagonaux qui sans doute mécomprirent notre propos.

Certains lurent accolés des mots comme ‘musique’ et ‘marketing’ et hurlèrent à René la Taupe. A Pascal Nègre. A l’Antéchrist… D’autres virent là d’obscures élucubrations de cerveaux malades, sans formes d’applications concrètes. Un auto-érotisme vain et anti-artistique.

I am the Sword in the Darkness.

Ce sont à ces excellents veilleurs au grain des Internets que nous dédions amicalement cette étude d’un cas aux oignons.

Vous nous poussez à pousser le bouchon plus loin: Merci les amis !

Le Sujet

Comme le signifiait dans un commentaire Michael Leahy: le marketing ne fait qu’amplifier une réalité. Il ‘dit la vérité avec des feux d’artifice’. Merci pour cette formule, qui résume bien notre idée. On te la pique.

Dans le rôle de la vérité, nous disséquerons Malca. Malca est un artiste managé avec brio par Mohamed Sqalli, qui a ces derniers mois revu de fond en comble son positionnement artistique. Son feu d’artifice.

Impressionnés par leurs résultats illustrant à merveille le propos du précédent article, nous leur consacrons ici cette décortication en règle. Merci à eux de s’être prêtés au jeu et d’avoir collaboré à ce case study.

Au programme

A nouveau une structure en 4 parties. Pas longues et pleines d’images.

  • Partie une — L’Existant & le Constat. Où l’on verra la configuration initiale du projet et ses limites.
  • Partie deux — Le Diagnostic. Où l’on soulèvera ce qui pourrait être mieux dit, mieux fait.
  • Partie trois — La Transformation. Où l’on assistera à la naissance d’un nouveau papillon de lumière.
  • Partie quatre — Le Résultat et ses résultats. Qui ont plutôt de la gueule.

→GO!←

Partie Une — L’existant

Sur la minuscule scène du Dandy où nous l’avons découvert en 2013, Malca déchira sans sourciller un répertoire soul pourtant exigeant une bonne heure durant. Al Green, Otis Reading, Marvin Gaye, tout y passa.
A l’énergie.

Flyer vintage.

Les bases sont limpides: Malca c’est d’abord une voix. Un timbre soul puissant, étonnant chez ce petit gabarit. D’autant plus convaincant qu’il est généreux, témoin le litron de sueur laissé sur scène ce soir là.

Le projet s’est monté autour d’elle, de fil en aiguille. Mais sans réelle vision. Entre répertoire black music classique et reprises de morceaux plus modernes fourbies d’arrangements penchant vers le rock.

Malca et son band à ses débuts.

Comme l’explique si bien Mohamed:

“Le tout avait un côté très roots et la touche 90's était trop brouillonne pour être cool.”

Bref l’originalité fait hélas défaut et le propos n’est pas aisément lisible. Malgré une aptitude et une présence évidentes, nous sommes bien dans le cas d’un projet malheureusement assez mou. Mais sympa. Mais mou.

C’est le moment où une réflexion que d’aucuns pourraient qualifier de marketing entre en jeu. Le talent est là, le potentiel aussi : Que faire pour que ça marche? De préférence sans avoir à investir trop massivement, ni kickstaxer ses proches?

Comment, sans rien renier, rendre excitant ce projet prometteur, mais auquel il manque encore quelque chose?

Mode publicitaire: activé.

Partie Deux: Le Diagnostic

Dans cet état initial une question ennuyeuse se pose d’emblée: “C’est quoi Malca?”. Le nom du groupe? Le blaze du chanteur? Un pseudo? Un alias du frontman qui donne son nom au groupe?

On est d’entrée un peu perdu sur un truc pourtant bête.

Malca, qui est donc le nom de famille du chanteur, aime la soul à l’ancienne, la scène Stax/Motown des 60's, etc. Cette inspiration louable est toute à son honneur. Cependant la corde du positionnement soul/funk néo-vintage commence a être bien rappée. Qu’elle qu’en soit la sauce… Remember:

Il s’agit donc de sortir de cette esthétique noir et blanc à l’ancienne, inspirée de l’Amérique Noire des 50's aux 70's. D’autant plus que Malca, non originaire de Détroit mais de Casa, n’est pas hyper-crédible dans le rôle.

Plus pratiquement, au-delà de ce déficit de cred, cette mono-inspiration limite de fait l’étendue de ses partenaires hexagonaux naturels (Motown et des acteurs indés spécialisés). Chez lesquels il y a déjà du monde au balcon.

A ce stade, le projet a en fait besoin de commencer à développer une identité propre. Et pas empruntée à ce qu’il ne saurait être. Surtout si cela ne le démarque pas. Pire: le fait passer -bien- après d’autres dans les esprits.

Malca doit trouver sa vérité à raconter, avant de penser au feux d’artifice. Mener une réflexion de fond sur une idée à incarner. Un truc original et personnel qui lui permette d’être en accord avec lui-même. Trop sont ceux qui essaient de jouer à ce qu’ils ne sont pas.

Ce positionnement doit de plus rendre Malca instantanément lisible. Tout en l’accrochant à une idée sexy de l’imaginaire collectif, afin de favoriser sa mémorisation. Ah oui: si possible à moindres frais.

Comment réussir ce tour de force?

Partie Trois: la Transformation

Musicale tout d’abord. Sans tout chambouler, le projet se met à respirer des horizons plus variés. Malca, ce qui lui plait vraiment, c’est le groove. Peu importe la couleur musicale.

Il digère alors du R&B moderne aussi bien que de la pop archi-décomplexée. Le but est de sortir de la référence, de la rétro-vision. Injecter une petite surcouche d’influences plus fraîches au projet, sans trahir son essence.

Malca fait aussi rentrer dans le projet Louis Sommer qui deviendra son réalisateur et co-arrangeur. Il l’aidera à dépoussiérer son son. Si si.

Blood Orange & Frank Ocean.
Kindness & Madonna old-school… Entre autres.

Au positionnement, les grands travaux. Au cœur de la réflexion: un rôle d’artiste solo et une identité Casablancaise pleinement assumés. Identité à laquelle le son apportera un petit twist.

Pour propulser le projet dans la noosphère, une idée au vent en poupe pour toile de fond: le nouveau souffle artistico-hipster régnant sur le Maroc en général, Tanger en particulier. Encore récemment mis en lumière par une expo à la Gaîté Lyrique. Excusez du peu.

Cette vidéo illustre bien un point de l’article précédent: “La meilleure traction est à chercher dans la remise en cause d’un certain statu quo”. Elle vient ici en effet bousculer certains clichés sur la société marocaine. C’est ce qui intrigue: le même contenu Bvd St-Germain aurait enfoncé des portes ouvertes. Inintéressant.

Malca se rapproche alors d’univers d’artistes africains contemporains, s’inspire des travaux du marocain Hassan Hajjaj ou du nigérian Kehinde Wiley. La tradition picturale arabe y clashe une imagerie hip-hop occidentale. Le mélange chatoyant, assume les télescopages les plus kitsch.

Mais alors qu’est-ce que ça donne au final ?

Le sigle Nike sur les babouches, personnellement je suis fan.

Partie Quatre : Le Résultat

1 — L’Esthétique

Malca explique aujourd’hui sa vision dans un shortpitch de tueur: “Créer une Californie casablancaise, bien sûr complètement fantasmée*”. Il juxtapose pour cela des éléments antinomiques: mosaïques arabes et motifs échappés de Parker Lewis. Culture marocaine et esthétique made in Tumblr.

On aime ou pas cet univers coloré et décalé. Vrai qu’il peut piquer les yeux. Vrai qu’il est moins consensuel. Mais nous sommes au moins là sur quelque chose de tranché, d’enfin violent dans son parti pris.

Le jour et la nuit avec son ancienne identité. Ou manque d’identité.

2 — Le Clip

Cette esthétique “arabe / 90's” comme la décrit Mohammed sera déclinée en un clip fait maison. Celui-ci détourne habillement une tradition télévisuelle populaire marocaine: le chaabi.

Il s’agit de vidéoclips “très kitsch, dans lesquels règnent encore une ambiance 90's malgré des tournages récents”. Ils habilleront le morceau identifié par Mohamed comme le single, un track qui sent bon l’été.

Remarquez le packshot final sur la kitchissime Cassette de l’EP, qui personnellement a achevé de me vendre le projet.

“Le chaabi est une musique de cabaret. Les paroles, souvent suggestives, évoquent relations adultères, alcool, plaisirs et passions amoureuses. Des sujets rarement tolérés par la société marocaine et sa chape de plomb. Le clip est donc un hommage festif à ces gens qui bravent les interdits, font danser et donnent du bonheur”

Qu’est-ce qu’on disait sur la subversion et le statu quo déjà…?

3 — Les Retombées

Ce repositionnement a des effets quasi-immédiats sur la carrière de Malca. Dans le bon sens.

La fraîcheur du clip et du projet convainquent la presse féminine. Après avoir reçu un début de visibilité via des blogs, She Gets Too High se trouve ainsi le morceau de la semaine chez ELLE et republié par Cosmo. Un truc qui coûte normalement une agence de RP, sans certitudes de résultat.

Tous supports confondus le clip culmine ainsi à 35K vues en quelques semaines. Pas mal pour un montage à 250€ et un investissement zéro dans la promotion ou la RP.

Mais l’histoire ne serait qu’ordinaire si elle s’arrêtait là. En effet, auréolé de sa presse parisienne, Malca est acclamé au Maroc. Il se retrouve programmé au prestigieux festival Jazzablanca. Ce qui lui vaut un passage collector au JT de la télévision marocaine.

“Le Génie des Claviers”

A la suite de quoi les booking marocains s’enchaînent et la taille de ses cachets s’accroît de façon spectaculaire. Dépassant de loin la magnitude de son fee initial.

Qualitativement, les choses s’accélèrent également. Malca s’attire les faveurs de nombre de festivals marocains dont le Mawazine*. Ainsi que d’autres dont il vaut mieux que je ne parle pas. Hashtag Négociations.

4 — L’Actualité

Le plus important: Malca ne cherche plus. Il sait exactement ce qu’il peut être. Son propos est clair et net. Il sait où il va et peut faire évoluer à loisir son personnage en sachant qu’il restera cohérent et pertinent.

Le projet est lancé sur une base de communication solide. Une identité originale, crédible et culturellement riche. Un parti pris artistique puissant. Le mou est bel et bien derrière lui. La différenciation, faite.

Les dernières photos de Malca.

Économiquement, ce repositionnement a aussi montré sa pertinence. Les -petits- investissements requis ont largement été rentabilisés, ne serait-ce qu’en terme de earned media. Le genre d’infos qu’aime bien l’industrie.
Un autre intérêt de bien penser sa deep strategy de communication.

Point carrière: pour info, Malca et sa team travaillent actuellement sur un set live plus conséquent pour cet été. Des négociations seraient entamées avec des labels dont l’on ne peut dévoiler la teneur. Mais nous ne doutons pas d’une signature à la clé.

Inch’ Allah !

←La Conclusion→

Le cas Malca expose parfaitement les rouages d’une bonne réflexion stratégique. Cette dernière n’est bien sûr pas une garantie absolue. Mais s’il continue ainsi, on ne se fait que très peu de soucis pour lui.

Nous espérons avoir montré qu’on peut mener ce genre de réflexion, certes pragmatique, en restant authentique, sans se trahir. Et que ce procédé est loin du brassage de vent, de l’onanisme superflu. Bien conduit, il sublime le talent. Surtout: il économise argent, temps et énergie à tout le monde.

Encore une fois, loin de nous l’idée de vouloir décourager qui que ce soit. Mais avant d’investir tête baissée dans le feu d’artifice, soigner sa vérité peut s’avérer malin.

¿ Les Remarques ?

Quelques notes avant d’aller au lit.

  • Refaites-vous un petit avant-après du projet. Toujours spectaculaire.
  • Observez comment She Gets Too High, qui sonne objectivement très Breakbot, s’en différencie complètement par la seule force de l’image.
  • Apparemment le chanteur de chaabi dans ledit clip, celui qui ne ressemble pas à grand chose, serait une énorme star au Maroc.
  • Grâce à Malca et son article sur la scène mipster pour le HuffPost Magreb, Mohamed Sqalli arrive en première position de Google Image pour la recherche “hipster marocain”. On avait promis de l’afficher ici: merci pour lui.

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