Du droit de ne pas exercer son droit.

Marc-Antoine Navrez
7 min readDec 8, 2015

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Avoir le droit de vote, c’est aussi avoir le droit de ne pas l’exercer. Comme le droit de grève n’est pas en soi un devoir…

Les réactions au lendemain du premier tour des élections régionales françaises de 2015 ont été très virulentes envers les abstentionnistes, coupables désignés de cette percée du nationalisme. On a pourtant eu un peu moins d’abstention qu’aux dernières élections régionales et le FN continue inexorablement de monter.

Honte, gueule de bois, dégoût, les commentaires fusent sur les réseaux sociaux de la part d’une partie de ceux qui ont rempli leur “devoir” civique, ce qui leur octroie la légitimité collective de s’offusquer face à l’inaction qu’ils estiment être le moteur du fléau. Ils sont éloquents, grandiloquents, les mots frappent et les raisonnements fusent, les arguments impactent et les les leçons de morale sont le son de la vox populi des résistants démocratiques . La palme revient sans doute à Raphael Enthoven qui dans sa chronique matinale sur Europe 1 “abstention, piège à con” associe les abstentionnistes à des fainéants, ingrats, snobs, malhonnêtes, irresponsables…

Sur les réseaux sociaux défilent de très limpides “J’espère que vous avez honte”, “que ceux qui n’ont pas voté n’osent pas se plaindre de la situation”, “vous aviez le pouvoir d’éviter ça, en ne l’utilisant pas vous cautionnez ce qui arrive” “le vote est une arme que vous avez laissé à ceux qui savent s’en servir”.

Bref, abstentionnistes, vous êtes des collabos ! Les pratiquants du vote FN sont à la limite plus excusables que vous parce qu’ils n’ont au fond pas les moyens de comprendre vraiment ce qu’ils font, mais vous les sans voix vous êtes d’impardonnables inconscients procrastinants d’une république en péril.

Sur ces même réseaux sociaux, ceux qui ont voté FN, on ne les entend pas ou très peu. Ils savourent en silence et observent discrètement les bien pensants s’écharper, ils jubilent intérieurement face à cette jeunesse résistante qui s’exprime si bien dès que l’alerte des sondages est lancée et une fois que l’orage est passé.

J’entend que ceux qui votent front national n’assument pas et se terrent dans le protectorat de l’isoloir, ils s’engagent masqués, alors qu’ils sont partout autour de nous, majorité silencieuse parfois insoupçonnable.

Mais de l’engagement, je n’en vois pas non plus ailleurs. Être contre le FN est une posture acceptable à revendiquer et nombreux sont ceux qui ne s’en privent, mais ça ne nous dit pas ou se situe l’engagement de celui qui “est contre”. S’il est si méprisable de voter pour le front national sans l’assumer au grand jour, n’est-il pas aussi lâche de voter contre sans assumer le camp qu’on a choisi ?

Peut-être que ce camp n’existe plus en vérité, je ne connais pas les tendances politiques de 90 % de mon entourage, et pour cause : ils n’ont pas, ou ils n’ont plus vraiment de convictions politiques. Être de droite ou de gauche est un concept qui ne trouve plus de sens auprès de la grande majorité de la jeunesse actuelle, et même de la société en général. Aujourd’hui, au final, on est front national ou on est front républicain, voilà la nouvelle donne, voilà les deux nouveaux camps qui se dessinent pour les années à venir.

Je suis moi-même une contradiction politique : chef d’entreprise qui prône clairement la baisse des charges et des impositions qui pèsent sur les entreprises, qui est pour une libéralisation du travail avec plus de récompense du mérite, mais aussi fervent défenseur d’un modèle de solidarité sociale unique au monde qui nous permet de bénéficier d’une éducation gratuite, de soins accessibles, d’accompagnement à la transition dans une vie qui peut très vite changer de face… L’un est-il compatible avec l’autre ? Suis-je de droite ou de gauche ? Mais surtout qui de la droite ou de la gauche actuelle est le plus proche de mes idées ? En fait dans les deux camps il y a une ligne qui peut se révéler en phase avec mes convictions. Mais dans les faits les choses changent très peu. Et ça c’est vrai pour tout le monde.

Au final je ne vote plus pour des idées, je vote pour des personnes, jusqu’à ce que je ne vote plus pour personne... Lors du premier tour de ces élections dans ma région Nord Pas de Calais Picardie je me suis positionné pour Pierre de Saintignon parce qu’il est un des fondateurs du pôle de compétitivité numérique qui a permis à ma société de prendre son envol, parce que j’ai bénéficié du contrat de création régional qui a récompensé la création d’emplois dans mon entreprise, parce que j’ai apprécié l’homme et sa vision humaniste mais surtout le travail de l’équipe en place que j’ai pu constater directement. Pourtant j’apprécie aussi les coups de pieds dans la fourmilière donné par Macron que le clan Aubryiste rejette en bloc. Et je ne suis pas non plus en désaccord profond avec les lignes économiques du programme de Xavier Bertrand auquel le gestionnaire peut s’identifier facilement. Je suis pourtant fondamentalement contre la stratégie globale de la droite française actuelle qui joue clairement sur les plates bandes du nationalisme ambiant en se positionnant comme le seul recours crédible, fer de lance de la dédiabolisation du nationalisme. Quand j’écoute Xavier Bertrand qui ne parle que du FN, qui a ignoré volontairement le PS dans la campagne du premier tour, qui ne joue que sur la peur et ne va jamais au vraiment fond des idées et des mesures, je ne suis pas du tout enchanté d’être obligé de voter pour lui au second tour. J’en viendrais presque à admirer le maintien de Masseret en Alsace Champagne Ardennes. Ceux qui disent : “on a compris le message, on va faire comme le front national” sont-ils tellement à court d’idées innovantes qu’il n’ont d’autres choix que de dériver vers le populisme de base ? Quelle stratégie destructrice !

Bref, je suis un schizophrène politique, et je ne pense pas être le seul. Fondamentalement contre le nationalisme, ardent défenseur du modèle français sur lequel on ne cesse de cracher, dont presque tout le monde se plaint sans en défendre les atouts profonds et les vertus uniques. Mais j’ai décidé de ne plus jeter la pierre à ceux qui préfèrent s’abstenir parce qu’ils ne s’identifient plus à une ligne politique devenue sinusoïdale dans les faits. Si les idées sont floues et qu’on n’adhère pas à une personne en particulier, on a le droit de ne pas exercer son droit de vote. Encore plus si au final on n’a pas de choix devant nous. On parle de devoir républicain, mais je ne crois plus que c’est en ne s’abstenant pas de voter qu’on va empêcher le FN de monter. Ce n’est pas défendre l’abstention que de dire cela, c’est la comprendre et la respecter. Celui qui ne vote pas, c’est celui qui n’a été convaincu par personne, c’est celui qui n’a pas trouvé quelqu’un qui lui semble vraiment capable de bouger les lignes.

Le discours global des partis républicains pour ce deuxième tour est : Attention, si une région est présidée par le front national, elle va s’effondrer, elle va s’autodétruire, s’isoler, se ruiner, se diviser, etc. C’était la même chose lors des municipales et regardez les votes dans les municipalités dirigées par le FN. Ça sera la même chose en région. Le FN s’appliquera à distribuer en 1 an et demi le budget de 5 ans pour montrer à quel point il sait gérer, faire bouger les choses, s’abstraire des réseaux d’influences, montrer au peuple une once de changement concret, court-termiste mais palpable. La gestion d’une région sera un tremplin immense vers des responsabilités nationales. Voilà une bonne raison pour une mobilisation générale, ne pas leur laisser cette chance de faire leurs preuves à court terme pour mieux s’implanter dans le long terme avec toutes les conséquences que cela implique.

Se contenter de crier au loup est une stratégie suicidaire, tout comme obliger les gens à aller voter, y compris pour une liste à laquelle ils n’adhèrent pas. Ca ne marchera plus, ça ne passera plus, et en 2017 le front national aura encore monté d’un cran. Parce que j’ai l’intime conviction que parmi les abstentionnistes il y a aussi énormément de personnes qui sont sensibles aux idées lepeniste quoi qu’on en dise.

Il est facile d’exprimer sa honte d’être français ou sa honte d’être ch’ti, mais ne rendons pas coupable ceux qui ne le sont pas.

Chers hommes et femmes politiques de tout partis se disant républicains, faites concrètement et rapidement bouger les lignes si vous le pouvez, innovez, prenez des risques, rendez leurs actes de noblesses à votre fonction essentielle, testez des solutions sur le terrain et pas juste des lois dans vos assemblées, soyez opérationnels dans le fond comme dans la forme, car l’heure n’est plus à la défense de vos postes cumulés et de vos intérêts d’apparatchiks, si vous ne ramenez pas la société dans vos rangs par les actes, les nationalistes le feront à votre place.

Dimanche 13 décembre 2015 : c’est la dernière fois que j’irais voté sans vrai choix ! Car ce n’est pas du tout ma conception de la démocratie…

Marc-Antoine Navrez (@marcantoinavrez)

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Marc-Antoine Navrez

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