Anj Pambüh
3 min readOct 15, 2016

Éloge de la bibliothèque municipale.

A la mention “Bibliothèques” de son bric-à-brac de Bardadrac, Gérard Genette laisse entendre que Roland Barthes avait une phobie avouée des bibliothèques. “Je me suis fait structuraliste pour ne plus avoir à aller en bibliothèque, mais voilà que le structuralisme lui-même est devenu une vaste bibliothèque”, aurait dit le grand homme. Une phobie partagée par Genette lui-même, croit-on lire entre les lignes. Ce qui m’a grandement rassuré : moi non plus, chuis pas super fan des bibliothèques. En Fac, combien de fois suis-je allé à la bibliothèque, au-delà des deux premières semaines en première année où on est tout exalté d’être là et comme euphorique quant à la perspective de découvrir ces hauts lieux de la mythologie universitaire que sont, en plus de l’amphi, la B.U. et le Resto U ? Pas beaucoup. Certains dans mon entourage s’étonnent qu’à ce jour je ne ne sois encore jamais entré à la BnF, pas même une fois, ne serait-ce que pour aller y voir.

Il y a des raisons objectives à ça : j’aime mieux travailler chez moi (parce que je peux le faire couché, ma position favorite) et j’ai toujours préféré acheter, avec les livres eux-mêmes, la liberté d’y griffoner à loisir, de les tordre et de les (re)lire quand j’en ai envie. Et puis, ce n’est pas comme si je travaillais sur des (res)sources introuvables nulle part ailleurs que dans des bibliothèques !

Mon aversion des bibliothèques serait sans équivoque et moins conflictuellement vécue si, gosse, je n’avais pas eu pour rêve (auquel je n’ai pas encore tout à fait renoncer) de construire des bibliothèques en Afrique. Et si, par un de ces mystères de la vie, toujours bonne fille comme chacun sait, je n’avais conçu, au cours de ces dix dernières années, une étonnante affection pour les bibliothèques municipales : chaque fois que j’ai changé de ville ou de quartier au cours de cette période, c’est comme si ma bibliothèque municipale avait fait le déménagement avec moi.

Ce n’est pas seulement parce qu’elle me permet de lire des livres que je ne veux pas ou ne peux pas acheter que j’aime la bibliothèque municipale de mon quartier. Bien sûr, il y a tout le toutim sur la bibliothèque comme concrétisation de la promesse démocratique de l’égal accès de tous à la culture et aux biens communs de la connaissance (au livre, en tout cas) et comme espace de sociabilité à travers et par-delà l’offre documentaire. Mais, ce n’est pas encore tout à fait là que se trouve ce qui fait l’essence de son attrait pour moi.

Si j’aime la bibliothèque municipale, c’est surtout parce qu’elle n’intimide pas. Le côté cathédrale ou temple romain du savoir ? Trop peu pour elle. Du coup, c’est le livre même qui s’y trouve désacralisé et défétichisé. Pas grand monde n’ose toucher aux choses (con)sacrées. Or, les livres, c’est fait pour être touché. D’où l’importance de faire en sorte que les gens n’en aient pas un respect mortifère et que les lieux censés leur offrir abri (aux gens et aux livres) et organiser leur rencontre permettent la déréligiosisation de la démarche et de l’acte même (d’emprunter des livres et de les lire).

Ce que fait parfaitement la bibliothèque municipale, me semble t-il, par une forme d’humilité que traduisent tout à la fois sa modestie architecturale (en général), ses grands prêtres humanisés (les bibliothécaires) situés sur le plancher des vaches (plutôt que dans l’espace intermédiaire situé entre le dieu des livres et vous), sa lithurgie simplifiée (pas besoin de démarches administratives longues et complexes pour obtenir une carte de pret), et aussi sa très grande générosité (on peut emprunter un grand nombre de livres pour une période relativement longue).

Bref, si j’aime la bibliothèque municipale, c’est principalement parce qu’elle place le livre à hauteur d’homme.

Anj Pambüh

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