Et si on réécrivait l’Histoire ? Ouais, juste parce que le passé… ça craint !

H8ct0r
7 min readSep 18, 2016

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Sur Mars, on n’a pas vraiment de tableaux noirs et de bâtons de craie, mais bref ! Imaginons: l’Histoire; un grand, vaste tableau noir sur lequel j’ai écrit.

Grâce à quelques coups de coudes bien placés, je suis arrivé le premier dans la classe alors j’ai pu écrire ce que je voulais et j’ai bien pris toute la place — niark, niark — de sorte que ceux qui viendront après moi pourront le lire et se dire “ah mais c’est bien sûr ! C’est donc ce qu’il s’est passé ! C’est donc ce sur quoi je peux m’appuyer pour prendre mes décisions à l’avenir en toute sérénité”.

Sur ce tableau, on y lirait des choses magnifiques, des découvertes, des guérisons, des délivrances enrobées d’arabesques. Et, entre deux lignes, on y verrait du sang couler des mots “guerre”, “génocide” et… “hamburger”.

Ai-je le droit, deux jours ou deux siècles plus tard de revenir dans cette pièce ? Karcher à la main, pourrais-je en laver la craie ? Je serai le seul à savoir que j’en ai sur les mains. Quel mal y a-t-il à effacer une phrase ou deux, changer quelques qualificatifs et jouer du subjonctif ?

Je me posais la question depuis la lecture de ces propos:

François Fillon — aspirant professeur d’Histoire

“Non, La France n’est pas coupable d’avoir voulu faire partager sa culture aux peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Nord.”

Dressant le réquisitoire des programmes scolaires qui, selon lui, apprennent aux élèves français à avoir “honte” de leur pays, François Fillon estime nécessaire qu’ils soient réécrits afin de donner une image plus favorable de l’histoire de France. (L’express)

Mes collègues martiens me dévisageaient avec horreur dans le bureau ce mercredi, et ce n’était pas à cause des lunettes que M. Fillon portait.
On savait que le lancement de la campagne présidentielle française allait occuper une bonne partie de notre thèse. On s’était blindé. On savait que des déclarations abracadabrantes allaient sortir de toutes les bouches, massacrer les belles pensées, provoquer les cœurs purs. Mais là, on était tous sur nos antennes !

- Zut alors ! jura Ch9ng, un spécialiste de l’Asie. Voilà qui remet complètement en cause ma thèse. Moi, j’avais compris que la colonisation c’était une campagne menée pour accumuler un max de richesses, asservir des peuples, trouver de la main d’oeuvre pas cher, asseoir des idées de suprématie raciale. Si c’était juste un simple “partage de culture”, faut que je recommence tout à zéro sur le Vietnam.

- Mais non, surtout pas, répondit Mal33k, thésard sur le Moyen-Orient. Tu as bien compris, et peut-être y’a-t-il du vrai dans ces deux visions. Ce type voudrait juste que la France aborde ces conquêtes sous un angle positif, pour que les petits Français n’aient plus honte de leur Histoire.

Gu7tav, spécialiste de Pluton, pas franchement mon ami, éclata d’un rire tonitruant visant purement et simplement à ramener l’attention sur lui et la teinte bleutée qu’il arborait depuis qu’il avait testé les cabines du solarium.

- Voilà pourquoi j’ai choisi Pluton et non pas la Terre pour ma thèse, déclara-t-il théâtralement et plein de condescendance. Les Plutoniens sont si pragmatiques. Il ne leur viendrait jamais à l’esprit de romancer le passé car la seule raison pour laquelle ils le consignent et le rédigent, c’est pour éviter de reproduire les mêmes erreurs encore et encore. C’est pour ça que les Terriens passent leur temps à polluer les mêmes océans, construire les mêmes systèmes bancals, discriminer les mêmes personnes, consommer les mêmes cochonneries…Si tu dis qu’un pillage et un massacre sont un partage de culture, si tu effaces sa dimension barbare, qu’est-ce qui empêche les générations futures de refaire la guerre pour les mêmes raisons ?

Pendant la tirade de mon collègue, je filtrai discrètement à travers mon flux d’actualités, hochant ma grosse tête verte pour simuler une écoute active:

“Faut-il reconnaître aussi le rôle positif de la colonisation de la France par le troisième Reich?? Le rôle positif de l’invasion des pays de l’est par les troupes soviétiques ??” (Le scrutateur)

“La porte est grande ouverte… Tous les pays ont dans leur histoire des beaux moments, des grands moments et des périodes violentes ou pas grandioses, comme une personne a des qualités et des défauts.” (Le monde)

“Aucun pays n’a à avoir honte de son Histoire, sur cela on est OK. Par contre, il faut être honnête et dire la vérité. La colonisation c’est une histoire de pillage des ressources du pays colonisé. La colonisation n’est pas une oeuvre de charité mais une mission de guerre et d’humiliation.” (Oumma)

“Je dis que romancer l’histoire pour en occulter les mauvais côtés n’est pas mon fait. Les autres nations en ont autant sur la conscience. Au contraire, connaître tous les faits, même négatifs et en être conscient permet d’être un citoyen clairvoyant.” (Le monde)

Une idée germa dans mon esprit.
- Et s’il avait raison ? demandai-je naïvement. Et si l’unité de la nation passait par la rédaction d’un récit national qui gommerait tous les différents et montrerait la France sous son meilleur jour ?

- Tu ne peux pas être sérieux, coupa Ch9ng. L’Histoire n’est pas un instrument politique, une plaie béante qu’on soumettrait à la chirurgie esthétique que chacun pourrait modeler selon ses agendas politiques. L’Histoire ce sont des faits. Il faut l’assumer. Bien que la Chine n’en parle pas, les Chinois savent pour Tienanmen. Quelle naïveté de croire que maquiller le mal suffira à restaurer le calme. Les parents parleront aux enfants. S’ils réalisent le mensonge gouvernemental alors c’est la trahison, l’outil merveilleux de fabrication des ennemis la nation.

Il y eut un silence pesant, durant lequel on entendit seulement la respiration grasse des vers de l’aquarium.

- Faudra lui dire par contre à ce type, reprit Gu7tav, qu’il a intérêt à avoir un bon effaceur, parce qu’il reste encore à gommer : la première et la deuxième guerre mondiale, le taux de chômage, la crise économique, la baisse du pouvoir d’achat, les attentats, la polémique du burkini, les…

Il ne put poursuivre. Il était mort de rire.

Mal33k avait l’air beaucoup plus solennel.
- Tu comprends Ch9ng ? C’est pour cela qu’on doit écrire, dit-il. Même si un pays gomme son Histoire, il n’a pas le pouvoir de modifier le récit des autres nations ou celui qui se conte dans les cafés de ses propres villages. Observons et tentons de nous en tenir aux faits de la façon la plus objective possible. Puis, usons des mots les plus précis pour les décrire. Il n’y a pas une Histoire. Il y a des Histoires.

Gu7tav avait repris son souffle et poursuivait:
-…La pollution des calanques de Marseille, la déforestation, le bisphénol A, la viande de cheval dans les lasagnes, Nadine Morano,…

Et quelque chose me frappait dans sa litanie. Le problème ce n’était pas tant la colonisation et l’interprétation, certes toute personnelle que ce monsieur s’en faisait. Le problème c’était le droit qu’il s’octroyait dans les programmes d’Histoire et leur rédaction. S’il effaçait une phrase du tableau, quelle serait la prochaine sur sa liste ? Il y aurait bien d’autres choses, moins douloureuses qu’on pourrait effacer. S’en accordera-t-on aussi le droit ?

Le fait est que dans cette salle de classe, trop d’élèves ont vu s’écrire la colonisation, Tienanmen ou le génocide arménien sur le tableau. Si cet homme l’efface ou le modifie, ils poseront des questions et, pendant la récréation transmettront leur Histoire à leurs camarades de toute façon. Mais dans une classe moins remplie, sur une phrase que personne ne regarde...
Il n’y aura pas de question.
Pas de transmission.

Moi (en moins vert) à la fin de mon premier cours sur l’Histoire de la Terre.

Je sais. Je suis Martien. J’ai eu du mal à y croire quand on m’a conté l’esclavage, Hiroshima et les chambres à gaz. Ça m’a fait du mal de me dire que les humains que j’adulais tant étaient capables de ce qu’Hannah Arendt qualifie de “banalité du mal”.

Mais en même temps, ces récits sombres tant qu’ils existent, ne jouent-ils pas un rôle crucial ?
Celui qui fait qu’aujourd’hui certains se méfient de la montée de l’extrême droite comme de celle d’Hitler ?
Celui qui fait qu’on a abolit l’esclavage, qu’on condamne les génocides, qu’on adule le suffrage universel et la liberté d’expression ?
Celui qui a forgé les valeurs de “liberté, égalité, fraternité” ?

Je soupirai.
- Bah ! Te fais pas de sang rouge, H8ct0r ! ricana Gu7tav. Après tout, tout ça c’est derrière nous. Ils sont marrants ces humains, ils veulent réécrire le passé alors qu‘au présent les gens tirent une tronche à la Voldemort !

Tout le monde éclata d’un rire gras et décomplexé. J’esquissai un sourire. Le présent était le plus important. C’est maintenant qu’on prépare demain. Hier c’est trop tard. En tous cas sur Mars.

Et vous francophones qui me lisez, qui écrit votre Histoire ? A quoi vous sert-elle ? En avez-vous honte ? Voulez-vous l’arranger ? Allez-vous l’accepter et avancer ou êtes-vous prisonniers de ses reflets ?

Marsiennement vôtre,
H8ct0r.

Pour poursuivre dans ces réflexions sur Medium:

Un article calmement intitulé “L’Afrique doit mourir” par la plume acide mais savoureuse de Ace, qui exhorte à l’écriture d’une histoire riche, complexe et vaste de ce continent dont le tableau peut encore être bien rempli.

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H8ct0r

Martien, Bloggeur, Thésard en histoire de la Terre. Je vous aime les humains.