Facebook : la dictature de l’agitation.

Et pourtant, les réseaux sociaux peuvent nous inspirer.

Emmanuel Gervy
7 min readNov 16, 2016

Que fait un chien face à une petite balle ?

L’agitation, monnaie des réseaux sociaux.

Officiellement, nos likes, nos commentaires et nos partages sur Facebook sont appelés “engagement”. Ça fait propre, volontaire et positif. Moi j’appelle ça de “l’agitation”.

Cette agitation est la monnaie de Facebook, sa valeur. Plus nous interagissons, plus Facebook nous connaît et permet à ses annonceurs de nous cibler. Plus nous passons de temps sur Facebook, plus il a l’occasion de nous présenter ses publicités. Chacune de nos actions sur Facebook est une source de revenus pour lui. Vous lui donnez votre temps, il s’enrichit.

Pour augmenter ses revenus, il doit augmenter votre temps de présence sur sa plateforme. C’est pourquoi Facebook pousse en avant les contenus populaires qui y sont partagés. C’est-à-dire les contenus qui génèrent beaucoup de clics, de commentaires et de likes. C’est comme jeter une petite balle à une meute de chiens, ça va créer de l’agitation. Vous ne pourrez pas y résister.

Ces “petites balles” sur Facebook sont en général des sujets clivants qui nous permettent de nous indigner sans effort par des commentaires rapidement écrits, ou des sujets potaches faciles à ingurgiter, à aimer et à partager. Il y a du mouvement, des humeurs, des cris, des pleurs et des disputes, mais tout cela ne nous élève pas. On reste au fond.

(tiens, ça me fait penser à l’émission Touche Pas à Mon Poste)

Mais quand on touche le fond et qu’on s’agite, qu’est-ce qui se passe ? On fait remonter la boue.

(aïe, maintenant c’est aux dernières élections américaines que je pense)

A cause de ce besoin d’agitation de Facebook, les sujets instructifs qui ne déclenchent pas les passions, les contenus qui nous font grandir sans provoquer de grandes émotions et les informations d’une durée de plus de deux minutes sont relégués aux oubliettes. Parce que non rentables. Alors que ce sont justement ces contenus-là qui pourraient nous élever et nous éloigner de la boue qui traîne au fond des réseaux.

Sommes-nous ce que nous partageons ?

Un petit monde confortable mais biaisé.

Et puis, pour nous plaire, Facebook nous montre surtout des contenus qui correspondent à nos goûts et habitudes.

Ou en tout cas qui correspondent à l’image que Facebook s’est faite de nous, sur base de notre comportement bien sûr. Si vous likez les vidéos de petits chats, Facebook va vous en montrer plus. Si vous commentez souvent les photos de vacances de vos amis, il vous montrera encore plus de ces incontournables “photos de jambes devant la piscine”. Si vous partagez des articles sur Marine Le Pen, il vous en montrera d’autres. Sans nuance.

La question à se poser est : sommes-nous vraiment ce que nous faisons sur les réseaux sociaux ? Avouons-le, nous avons tendance à y créer une (fausse) image du type “Youpie, j’ai la plus belle vie du monde !”. Premier biais.

Ajoutons cela au fait que Facebook tente de nous définir par nos réactions aux contenus qu’il nous propose selon ses propres intérêts financiers ou sa lubie du moment. Un jour Facebook met nos amis en avant sur notre flux, puis un autre jour Mark Zuckerberg décide de mettre les news en avant. Oh et puis finalement non, parce qu’il ne veut pas devenir un “média” et assumer les obligations qui vont avec. Alors il ressort nos vieux souvenirs… Un autre jour quelqu’un chez Facebook pense que l’écrit va disparaître et que ce sont donc les vidéos qui doivent être mises en avant, que c’est ça que le peuple demande. Et ensuite ?

Toutes ces “petites balles” constamment renouvelées ne nous sont pas lancées que pour nous inciter à nous agiter. Elles permettent aussi à Facebook de nous définir par quelques mots-clés pathétiquement réducteurs, et influencés par les choix qu’il a lui-même posés. Second biais.

Au final nous sommes enfermés dans un petit monde confortable et distrayant mais qui nous montre un peu ce qu’il veut. Sous le contrôle d’un algorithme dont les choix sont définis par une poignée de personnes et par ce qu’il croit savoir de nous.

Allo Houston, nous avons un problème.

Un monde connecté ?

Pourtant, si on regarde sur le site de Facebook, on voit que sa raison d’être est “Connect with friends and the world around you”.

Mais sommes-nous vraiment connectés, à qui, et pourquoi ? Décomposons cette raison d’être.

Connect with friends.

Bon, je vous le dis tout de suite, l’objectif de nous connecter avec nos amis c’est fini, c’est du passé.

Nous nous sommes lassés de cette idée et nous y trouvons maintenant plus d’inconvénients que d’avantages. S’exposer en public amène trop de combats de coqs, si vous voyez ce que je veux dire...

Et puis c’est rarement intéressant : photos d’amis au restaurant, d’amis sur la plage, d’amis amoureux, d’amis au concert, d’amies à cheval, enfin bref, toute la collection des “Martine”.

Au final, ce Facebook-là n’est pas très bon pour notre moral. C’était une fausse bonne idée. Nous nous sommes rendu compte que, finalement, ce n’était pas pour rien que nous avions perdu de vue certains amis.

Et puis, une nouveauté me fait penser que l’avenir est loin d’être rose pour cette raison d’être de Facebook. Figurez-vous qu’une startup est occupée à créer une intelligence artificielle qui va gérer nos réseaux sociaux à notre place. Ainsi les commentaires ou “likes” que nous recevrons d’un ami seront peut-être écrits par une machine qui le représente, et dont l’objectif est d’extraire le plus possible de valeur de nous (dixit le fabricant) :

By optimizing each interaction, Doliio helps you to get as much value out of each person as possible.

Après Facebook qui extrait de la valeur de nos interactions, voilà que nos amis veulent aussi extraire de la valeur de nous-même. Nous sommes encore plus réduits en une ressource à exploiter.

Extraction de la force de vie. Film “Dark Crystal” (1982).

Bref, le “Facebook des amis” va se faire bien pourrir par les robots.

Connect with the world around you.

Le second objectif de Facebook, se connecter au monde, pourrait être formidable : il pourrait nous élever, nous inspirer et nous apporter du sens.

Je prends souvent le même exemple pour illustrer le potentiel positif des réseaux sociaux : les photos partagées sur Twitter par les astronautes de l’ISS qui donnent de la hauteur, effacent les frontières et allument en nous une conscience collective.

Samantha Cristoforetti — ESA

Malheureusement, au lieu de nous montrer des contenus qui nous élèvent, Facebook nous sert une grosse soupe indigeste : un peu de tout et surtout du n’importe quoi, choisi par des algorithmes sur base des critères du moment mais toujours influencés par la nouveauté, la popularité et l’agitation.

Notre humanité mérite mieux que ça. Trop de concepts humains ne répondent pas bien à ces critères de sélection. Comme le bonheur, la créativité, le sens, l’inspiration, l’absurde. Voulons-nous être le jouet d’algorithmes grégaires ou faire des choix conscients et individuels ?

En tout cas, il est clair que ce bel objectif de nous connecter au monde est lui aussi raté. Du moins tel qu’on utilise Facebook aujourd’hui.

Comme Voyager 1, sortons du système.

Chercher l’inspiration.

En effet, rien ne nous oblige à obéir à la volonté de Facebook. Une fois que nous avons pris conscience de sa mécanique, nous pouvons reprendre le pouvoir. Refuser la dictature de la nouveauté, de la popularité et de l’agitation.

Josh Miller, un entrepreneur dont la startup “Branch” avait été rachetée par Facebook en 2014, a récemment déclaré :

I think it’s crazy that we have this technology that lets us connect to anybody around the world instantly, and we only talk to people that we know.

La solution est pourtant simple et ne dépend que de nous :

  • Devenons actif et maître du flux qui nous est présenté. Ne nous laissons plus guider par les algorithmes. Remplaçons nos amis sur les réseaux par des gens inspirants et diversifiés.
  • Sortons de la bulle. Ne nous contentons pas de Facebook, soyons curieux. Facebook n’est pas internet.

Une petite quantité d’individus dans le monde, quel que soit le domaine d’intérêt, est activement inspirante, intéressante ou enrichissante. Les réseaux sociaux nous permettent d’accéder à eux, où qu’ils soient. C’est génial ! Alors suivons-les. Évitons l’entre-soi, confortable mais limitant. Le monde est vaste, multiplions les points de vue.

Une expérience récente a montré que les individus qui ont un réseau Twitter diversifié, qui les expose à des idées et des gens qu’ils ne connaissaient pas encore, ont tendance à avoir de meilleures idées.

Le monde change de plus en plus vite, il se liquéfie, la stabilité se fait rare. S’ouvrir au monde permet de voir venir et comprendre les changements, d’avoir moins peur et de faire des choix en connaissance de cause.

Le secret de la découverte n’en est plus un.

La curiosité est une qualité.

Purgeons nos réseaux sociaux et reconstruisons-les sur base de nouveaux critères : le sens et l’inspiration. Refusons la quantité. N’ayons pas peur de devenir passifs en ne partageant plus notre vie sur les réseaux. Soyons actifs par notre curiosité.

Au final, nous devons faire un choix. Etre dans une bulle gérée par un algorithme qui choisit pour nous ce que nous devons voir, selon des critères basé sur ses intérêts ? Ou nous balader librement sur internet, selon nos choix et aspirations ? Confort ou découverte ?

À vous de voir…

PS : la légèreté est bien sûr toujours admise. La preuve :

Quel talent. :-)

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Emmanuel Gervy

Aimerait mettre la technique au service de l’homme et de l’inspiration. Techno-critique, belge et full-stack web integrator. Co-fondateur de Bulbme.com.