Fake News : les illusions perdues de la démocratie connectée

Eric Léal
4 min readFeb 9, 2017

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Mobilisation générale pour la vérité sur Internet. C’est le nouveau mot d’ordre de ce début d’année où un grand nombre d’initiatives ont été prises, en France et dans le monde, pour endiguer le phénomène des « fake news » (fausses informations) qui circulent sur la toile. Après les polémiques accusant le réseau d’avoir favorisé l’élection de Donald Trump, Facebook a décidé de déployer avec plusieurs médias, un dispositif pour lutter contre la prolifération des fake news en acceptant pour la première fois de modifier ses algorithmes. Idem du côté de Google qui annonce le lancement de « CrossCheck », un outil qui permettra de vérifier la véracité des contenus en ligne, avec là-aussi l’appui de plusieurs médias. Et les médias eux-mêmes s’emparent du sujet, comme Le Monde avec Decodex, qui propose plusieurs outils (un moteur de recherche, un programme pour son navigateur et un bot pour Facebook).

Comment sortir de nos bulles cognitives ?

Cette mobilisation témoigne d’une prise de conscience des dangers que représente la circulation de fausses informations grâce notamment à la viralité numérique des réseaux sociaux. Au point que certains y voient l’origine des résultats du référendum sur le Brexit ou de l’élection américaine. De toute évidence, l’exposition aux fausses informations, aux rumeurs, à la propagande et aux théories complotistes ne laisse pas indifférent et agit sur l’opinion. Facebook est devenu une source primaire d’information alors qu’une majorité d’internautes ignore encore que leur Timeline est filtrée par un algorithme. Ce basculement dans ce nouveau mode de consommation de l’information implique donc de nouvelles responsabilités.

En premier lieu, évidemment, la responsabilité des plateformes est évidente compte tenu du rôle croissant qu’elles jouent désormais dans l’information. Il devient de plus en plus difficile pour ses dirigeants de se considérer uniquement comme des entreprises technologiques, et non comme des médias. La première critique qui leur est adressée touche au filtrage des algorithmes. Les données de chaque utilisateur sont analysées pour lui fournir les informations qui l’intéressent. Ce sont les fameuses « filter bubbles » (bulles de filtre) dénoncées par l’américain Eli Pariser, qui enferment les internautes dans une « bulle cognitive ». Le rêve d’un internet qui deviendrait une agora planétaire pour se parler et faire tomber les barrières culturelles s’est envolé. Les réseaux ne nous relient pas au monde mais à nos amis et à ceux qui partagent nos points de vue. La démocratie numérique porte en elle un paradoxe : il n’y a jamais eu autant de conversations et si peu de débat.

Il n’y a jamais eu autant de conversations et si peu de débat.

Dans les formules secrètes des algorithmes, la priorité accordée à la popularité des contenus sur leur fiabilité, est également mise en cause. C’est la prime au clic. Avec cette nouvelle économie de l’attention, c’est le statut même de l’information qui se transforme. Ce que traduit le concept de post-vérité qui désigne selon l’Oxford Dictionary « les circonstances dans lesquelles les faits objectifs ont moins d’influence que les appels à l’émotion et aux croyances personnelles ». Ainsi, l’information cède le pas à l’opinion, et l’idéologie compte davantage que la réalité. Ce phénomène se nourrit de la défiance vis-à-vis de la presse. La voix des journalistes professionnels devient, dans le meilleur des cas, une source d’information parmi d’autres. La presse n’a plus le monopole de l’information et a perdu son rôle historique, qu’elle avait acquis depuis plus d’un siècle, de filtre critique et démocratique.

Le crépuscule de la pensée critique

Mais la presse, qui aurait tort de ne pas réagir car c’est bien son existence qui est menacée, n’est que la pointe visible d’un bouleversement plus profond. A travers elle, ce sont les fondements de notre culture démocratique, basée sur l’exercice de la raison, le respect des faits et l’esprit critique, qui menacent de se désagréger si nous n’y prêtons pas attention. Face à un enjeu de cette taille, les initiatives prises par les médias pour lutter contre la désinformation, aussi louables soient-elles, risquent malheureusement d’être insuffisantes. Les fausses informations ne sont pas nées avec Internet. Ce qui pose problème et qui nous fait changer d’échelle, c’est moins leur existence que l’écho qu’elles rencontrent et la mise en doute systématique de toute parole institutionnelle. Les plateformes, qu’il ne faut certainement pas absoudre, sont à ce titre des cibles utiles pour échapper à nos propres responsabilités.

Chaque internaute, en devenant son propre média, dispose de son terrain d’influence et doit en assumer les nouveaux devoirs. On ne s’émancipe pas en colportant mensonges et contre-vérités, on devient l’instrument d’une idéologie, au sens où la définissait le philosophe Lucien Jerphagnon, c’est-à-dire « ce qui pense à votre place ». L’école a sans aucun doute un rôle éminent à jouer, à condition d’armer les enseignants face à un ennemi aussi puissant qu’invisible. Comment construire du commun dans le nouvel espace public numérique ? Voilà la grande question à résoudre pour plonger à tout jamais les « fake news » dans les oubliettes de l’histoire d’Internet.

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