Les arcanes du code

Il s’avère que les mots de passe sont plus que des caractères aléatoires

Romain Pillard
6 min readApr 15, 2015

Le 20 novembre 2014, le New York Times Magazine a publié “La vie secrète des mots de passe.” C’est à la fois une étude de l’humanité, qui se dissimule souvent dans une simple suite de caractères, mais également une réflexion sur la raison qui fait que nous conférons un sens à ces codes lorsqu’on nous dit de ne pas le faire. Un mantra stimulant, une pique adressée à son patron, une ode à un ancien amour, une blague pour vous même, une cicatrice personnelle — il y a quelque chose de captivant, d’inspirant même dans ces babioles issues de notre fors intérieur.

Au cours de l’écriture de cet article, j’ai récupéré des mots de passe à chaque opportunité qui m’a été offerte : dans la salle d’attente du docteur, dans le train, lors de cette trêve ingrate que représente Thanksgiving en famille. J’ai interviewé des centaines de personnes, la plupart étrangères. Un nombre surprenant d’entre ces gens accepta de me faire entière confiance et me fit non seulement part de ses codes supposément confidentiels, mais me raconta aussi les secrets personnels ayant motivé leur création.

J’ai pris le temps d’un café avec un ancien détenu afin de savoir pourquoi son mot de passe contenait ce qui avait été son numéro de matricule de prisonnier
(“Un rappel afin de ne pas y retourner,” me confia-t-il).

Dans le parc, j’ai rencontré une femme que j’ai lentement amenée à parler du mot de passe de son fils (“Lamda1969”) après qu’il se soit suicidé. Elle a alors réalisé d’une manière douloureusement tardive, qu’il était gay.

J’ai eu une correspondance par mail avec un catholique en plein crise de foi et qui m’a expliqué comment son mot de passe intégrait la Vierge Marie (“Cela m’apaise secrètement”, me confessa-t-il).

Posé sur le bitume, je me suis assis à côté d'une femme sans enfant de 45 ans, qui a fini par me révéler que son mot de passe était le nom du petit garçon qu'elle avait perdu in utero (“Ma façon d'essayer de le maintenir en vie, je suppose,” elle a dit).

Magiques en tant que tels, ces joyaux évoquent aussi quelque chose de plus grand, à savoir combien les humains sont des créatures à la fois créatives et sentimentales, ce qui conduit à vivre des routines originales, et fait que nous transmutons nos chaînes en art. The New York Times Magazine et Medium ont proposé des articles à ce sujet. Et les lecteurs ont alors commencé à dévoiler les alcôves de leurs mots de passe, en voici 15 listées ci-dessous :

  1. Nourrissant l’idée que nos mots de passe, à force d’être tapés et retapés de façon répétitive peuvent être une source de motivation et d’inspiration, Shelly Bredau a choisi d’utiliser “StrongMe” (“Je suis forte”) pour retrouver le moral après un divorce inattendu survenu au bout de 20 ans de mariage. Mais elle a du le changer car elle tapait toujours “StrangeMe” (“Je suis étrange”). “D’étranges nouvelles dispositions, d’étranges nouveaux avocats, d’étranges nouvelles légalités.”
  2. Tim, qui a demandé à ce que son nom de famille ne soit pas révélé, se demande toujours pourquoi il à longtemps utilisé “Waganaki,” le nom du camp d’été pour jeunes au cours duquel il avait été sexuellement abusé, ainsi que d’autres références à cet été spécifiquement dans ses codes. “Je ne suis pas certain de comprendre pourquoi je continuais à me torturer avec ces mots de passe”, écrivit-il. “Peut-être était-ce parce que pendant des dizaines d’années je n’ai pas pu en parler.”
  3. Le mot de passe de Joy Chen tient en le nom d’un personnage d’une nouvelle qu’elle a entamée puis mise de côté mais sans pour autant jamais complètement l’abandonner. “Une fois qu’une idée est née, elle ne cesse jamais vraiment d’exister.”
  4. Aditya Joshi, un homme gay de Bombay qui a mis un certain temps à assumer son orientation sexuelle, me confia que son code n’avait pas changé depuis des années et était “Iamgay” (“Je suis gay”). A chaque fois qu’il tapait son mot de passe, me confia-t-il, sa confiance en lui grandissait un tout petit peu.
  5. WhyDoTheDogsWakeMeOnSundays,” (“Pourquoileschiensmeréveillentlesdimanches”) et “Toomuchbakingsodamakesyourcakeabitfizzy” (“Tropdelevuresodarendvotregâteauunpeupétillant”): Darren Pauli avait simplement décidé de faire rire ou sourire sa femme lorsqu’il partagerait les mots de passe avec elle.
  6. Le mot de passe de Nestor L. Reyes tient en le numéro de série de son M-16, 1132859. Membre de la 82ème aéroportée, il a dormi, mangé des nouilles et sauté en parachute avec. “Adorable et mortelle. A la différence des gens, elle ne me laisse jamais tomber,” dit-il.
  7. “Mon mariage bat de l’aile. Je veux que tout s’arrange,” a écrit une certaine Sadie Welsh. “C’est incroyable comme les gens cessent simplement de se parler.” Son mot de passe, “1WordBrandon,” (“1MotBrandon”) est un rappel, “pour dire quelque chose à mon mari au moins une fois par jour.”
  8. Dans son mot de passe, “10yearstogo,” (“Encore10ans”) repose une promesse qu’elle s’est faite il y a des années, à savoir, sortir des études à 23 ans. Melisa Fernando en a aujourd’hui 22, et elle est à un an de son examen final.
  9. Iwillmisspeggy4ever” (“Peggyvamemanquerpourtoujours”) : la femme de Floyd Chaffee est décédée dans un accident de tracteur en 2001. Son mot de passe l’aide donc à “rester connecté à ce qui a été perdu.”’
  10. Quand Rosemary Kuropat était jeune les plaques d’immatriculation personnalisées étaient hors de prix. Son mot de passe “MilK071120,” rend hommage à sa mère (Mil K. née le 11/07/1920) et à la plaque minéralogique que sa mère aurait acheté si elle avait eu assez d’argent.
  11. A son entrée au collège, Dorothy Pippin apporta son violon, ce qui lui valu le surnom (et plus tard le mot de passe) de “Dillinger” une référence à ce fameux truand qui portait son Tommy Gun dans un étui à violon. “De très bons moments de mon enfance.”
  12. Le mot de passe de Vivian Tan Bo Yee est : “sushifreak1308,” et combine à la fois le surnom que lui donnent ses amis, sa nourriture favorite et la date à laquelle ses parents se sont séparés (Août 13). “Le confort dans des choses qui jadis nous effrayaient.”
  13. Le mot de passe de David Agudelo Restrepo est “eccehomo,” et fait référence au dernier ouvrage écrit par Nietzsche Ecce Homo: How One Becomes What One Is, qui l’a tellement aidé à surpasser ses troubles obsessionnels. Cela lui rappelle que : “Je suis juste un homme, rien d’autre, ni de plus.”
  14. Madison Romero a toujours suivi les règles, mais un jour il a décidé de faire quelque chose d’assez inattendu : il a acheté une tarentule pour faire peur à ses amis. Cependant cela n’eut pas tout à faitl’effet escompté, au lieu de cela ils furent fascinés. Cet échec plutôt drôle lui a donc valu le surnom (qui est devenu son mot de passe depuis…) de “scaryspider.”
  15. Après un été désastreux entre cambriolage et séparation, Allison Sherry a choisi pour mot de passe “bettersummer2014” (“Meilleurété2014”). “Jetant de fait un voeu profond dans l’éther de mon monde virtuel”. Et ça a marché !

Le projet de rapport est toujours d’actualité. Si vous avez des histoires de mot de passe à partager, s’il vous plaît écrivez-moi à urbina@nytimes.com

Crédit image : Daniel Foster, via creative commons

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