La bite-conomie de Tinder

Oui, les femmes utilisent Tinder pour baiser. Non, pas avec vous.

Lexane
9 min readMay 2, 2015

Par Alana Massey
Illustrations par Ana Benaroya

Mes Tinder matchs sont rapides et décisifs. Beau, mais pas de bio et que des selfies torse nu à la salle de sport ? La bite est une ressource abondante de faible valeur. Sa seule bio est un lien vers son profil Instagram ? La bite est une ressource abondante de faible valeur. Il cite Jack Kerouac ? La bite est une ressource abondante de faible valeur. Il est allé deux fois au festival Burning Man ? La bite est une ressource abondante de faible valeur. Il est membre d’une troupe d’improvisation ? La bite est une ressource abondante de faible valeur. Ceux avec qui j’ai eu un match n’étaient clairement pas le boys band de médecins musclés ni les banquiers anglais en costume Armani que certains mecs pensent que les femmes choisiront plutôt qu’eux. C’était un assortiment composé de cadres marketing banals, de quelques techos qui s’empêchaient à grand-peine de poster une photo d’eux portant des Google Glass, un paquet de vegans avec des chats qu’ils vénéraient visiblement et le géant Scandinave occasionnel, pour des raisons que je n’ai pas besoin de vous expliquer.

La bite est une ressource abondante de faible valeur. J’ai découvert ma nouvelle devise pendant la pire rupture de ma vie. Détruite jusqu’au plus profond de mon cœur par les insultes dégradantes que mon ex m’avait balancées, mais aussi en deuil à cause de la perte définitive d’une bite digne des plus grandes odes lyriques, je passais ma journée à rafraîchir Twitter mécaniquement et à lire des articles sur comment identifier les sociopathes. Je suis tombée sur deux tweets de Madeleine Holden, une avocate et écrivaine qui divertit régulièrement les masses de Twitter avec ses analyses sans pitié de la toxicité masculine et ses louanges de personnes extraordinaires s’identifiant au genre féminin :

1- Il y a une cacophonie de messages culturels qui nous disent que l’affection masculine est précieuse et qu’il y a une astuce pour la cultiver. Un ramassis de mensonges. // 2- À chaque femme qui lit un livre “comment séduire…” ou qui reste dans une relation insatisfaisante et routinière : la bite est une ressource abondante de faible valeur.

Dans mon souvenir, ces six derniers mots ont émergé de l’écran, leur contour aussi brillant que l’inscription de noir gravée sur l’Anneau Unique. Je fus transformée, que dis-je, transfigurée, par ce message.

Les conversations étaient régies par les mêmes règles que les matchs Tinder. Le mec qui attaque avec une blague sur ma chatte parce que j’ai parlé de mon chat ? La bite est une ressource abondante de faible valeur. Il choisit un lieu de rencontre qui ne tient pas compte du trajet que je dois faire ? La bite est une ressource abondante de faible valeur. Il demande trop tôt des photos de moi nue ? La bite est une ressource abondante de faible valeur. Il annule deux rendez-vous ? La bite est une ressource abondante de faible valeur. Il envoie une photo, que vous n’avez pas demandée, du bas de son corps dans son slip pas tout à fait propre, sa main posée de façon suggestive mais pas sexy sur sa demi-molle, le tout sans même prendre la peine de couper son pauvre chat de l’image ? La bite est une ressource abondante de faible valeur.

Certains vont interpréter ces nombreux rejets sur Tinder comme la preuve d’une hausse inquiétante des sentiments malveillants et anti-mâles chez les célibataires hétérosexuelles. Ce n'est pas ça. C’est la preuve que nous sommes enfin près d’arriver au point d’équilibre où les hommes ne peuvent plus juger les photos claires et nombreuses et les profils soigneusement élaborés des femmes tout en étant portés aux nues s’ils prêtent un minimum d’attention à leur propre profil.

Ce ne fut pas toujours ainsi.

Quand j’ai rejoint OKCupid il y a six ans, j’ai consciencieusement créé un profil complet avec des photos honnêtes et des réponses réfléchies aux différentes questions posées par le site ; bien que je n’aie que 23 ans, j’ai généreusement placé ma limite d'âge à 40. J’ai immédiatement été récompensée pour mes efforts avec une boîte de réception pleine de messages qui étaient pour la plupart des variations sur “hey ☺” et “Quoi de neuf” provenant d’une armée de selfies flous et parfois décapités qui soit n’avaient pas lu mon profil, soit cherchaient activement des femmes avec lesquelles ils ne partageraient qu’un mépris mutuel.

Le premier message que j’ai reçu et qui semblait me considérer comme un être humain m’a tellement ravie dans sa nouveauté que je n’ai presque pas été dérangée par ses 41 ans et son absence de photo de profil. Quand je lui ai demandé des photos, il a choisi de se décrire à la place. Toujours polie, je n’ai pas insisté. Mais quand il a suggéré que nous nous rencontrions, je lui ai dit que je devais voir des photos avant d’accepter. Les photos étaient douloureusement médiocres, tant en termes de qualité d'image que de sentiment que m’inspirait l’homme en chemisette de golf qui y figurait. Bien que les images soient floues et prises de loin, il était clairement un homme plus vieux que ce qu’il m’avait dit, et je n’étais pas enchantée par ce que je voyais. Ayant le sentiment d’avoir perdu mon temps, et pas particulièrement passionnée par notre conversation, j’ai choisi de ne pas répondre.

Je souhaitais qu’il se rende à l’évidence et qu’il réagisse comment je l’aurais fait face un rejet : s’éclipser dans une grotte le plus loin possible dans l’espoir d’y trouver une mort subite et miséricordieuse. Au lieu de cela, il a inondé à la fois ma boîte mail et mon profil Facebook en m’accusant de superficialité flagrante et en changeant brusquement d’avis sur ma propre apparence physique. Même une fois les messages arrêtés, il tentait occasionnellement de m’ajouter en amie sur Facebook et apparaissait souvent parmi les “personnes qui ont consulté votre profil” sur LinkedIn. Sa tête trop confiante posée sur un polo m’a narguée pendant des mois.

Je ne porte donc pas le deuil du dépotoir qu’OKCupid est devenu. Et, malgré tous ses défauts, je trouve encore Tinder génial. J’ai maintenant 29 ans, et j’ai fixé ma limite supérieure d’âge à un 37 raisonnable et la borne inférieure à un 23 scandaleux. Personne ne peut me parler sans mon consentement, que je peux retirer avec un simple “Unmatch” à tout moment. Et quand je rencontre un profil vierge ou une photo granuleuse ou un homme qui ment visiblement sur son âge, je me souviens de ces images floues et de la colère de cette première rencontre. J’éprouve une joie toute particulière à glisser de tels profils sur la gauche, les renvoyant dans les entrailles de leur créateur, Hadès.

Quand Tinder est arrivé, il a été salué par certains comme le Grindr pour les hétéros et une application pour baiser que les femmes utiliseraient vraiment. Les hommes se sont préparés à ce qui était censé être une ruée de bombasses, de femmes tout droit sorties des confins d’une VHS Girls Gone Wild!, qui ne demanderaient qu’à ce qu’on vienne leur enlever leurs vêtements. Des filles simples, des filles chaudes. Lorsqu’un match Tinder avait lieu, ces hommes faisaient irruption dans notre messagerie avec toute la grâce de Steve fucking Urkel mais aucune de sa sincérité attachante avec des messages comme “Robe sexy. On baise ?” Ils ont utilisé le précieux espace de leur bio pour se plaindre des femmes plutôt que de les attirer. Ils portaient les maillots d’équipes de merde. Ils ont tenté de commander des femmes à domicile, comme si elles étaient des ailes de poulet sur Alloresto. Et presque chacun de ces putain d’abrutis trouvait son habitude de boire du whisky terriblement sexy.

Lorsque ces tactiques ont échoué à plusieurs reprises, ces hommes ont supposé que les femmes étaient si débiles qu’elles ne comprenaient pas le but de Tinder, et sont partis se plaindre sur Internet du troupeau de saintes-Nitouche qui les ignorait ou cessait de leur répondre. Un tweet affirme : “Mes résultats montrent qu’environ 80% des femmes ne savent pas pour quoi Tinder est fait”. Un autre dit: “je tombe toujours sur les filles de Tinder qui ne savent pas à quoi sert Tinder, SMFH (NdT : trop de haine, putain).” Je pourrais être triste qu’ils aient admis, par inadvertance, qu’ils sont parfaitement incapables de coucher, s’il n’y avait pas une telle méchanceté et un tel sens de “droit” dans ce qu’ils expriment. Ils sont adorables, ces petits chéris en chien. Pendant ce temps, un certain nombre d’autres hommes a compris que les femmes utilisant Tinder pourraient apprécier des gestes romantiques incroyables, comme utiliser la ponctuation dans des phrases au lieu de smileys “clin d’oeil”, ou demander sur quel ligne de métro on pourrait les retrouver pour que le lieu de rencontre soit pratique pour nous deux, ou apporter leurs propres préservatifs parce que la sécurité doit être l’affaire de tout le monde. Ces hommes qui se soucient plus de la réalité des femmes que leurs propres fantasmes sont ceux qui arrivent encore à baiser grâce à Tinder.

Alors que certaines femmes utilisent Tinder uniquement pour chercher des relations à long terme, la vérité est que beaucoup d’entre nous cherchent vraiment à ken sans s’engager et que la plupart est prête à au moins réfléchir à le faire à la première rencontre. Il est compréhensible que pour bien des femmes, cette rencontre ait lieu en public, parce que la loi n’aime pas trop qu’on se fasse violer en arrivant chez un inconnu et n’apprécie pas plus qu’on accueille des inconnus chez nous. Je fais partie de ces nombreuses femmes qui ont transformé ces premières rencontres en partie de jambes en l’air et j’ai gagné un certain talent pour sélectionner seulement les meilleurs coups à chaque glissement vers la droite.

Un type avait 20 minutes de retard à notre rendez-vous au musée et quand il s’est avéré qu’il était fermé, nous sommes allés à Ikea à la place. Ikea, le cimetière de l’amour ! Ikea. J’ai porté ses lampes moches à chier dans une zone industrielle de la ville en pleine chaleur d’août, en jean skinny et pourtant, il m’a vue nue ce soir-là. J’ai plus ou moins couché avec un banquier d’investissement qui a insisté pou emmener son petit chien de merde dans l’antre immaculée de mon chat. Un homme qui travaille dans les médias était tellement divertissant par SMS que je lui ai envoyé une série de photos interdites au moins de 18 ans avant même que nous nous rencontrions, en partie parce que je le voulais, et en partie par vengeance contre un étron vivant qui, quelques secondes plus tôt, avait tenté d’utiliser une mauvaise métaphore à base de moto pour faire un sous-entendu sexuel puis m’avait qualifiée de coincée quand je suis restée insensible à cette tentative de charme. La vérité, c’est que les salopes dans mon genre sont partout sur Tinder, mais que nous ne sommes pas impressionnées par les hommes qui sont absolument terrifiés à l’idée de devoir faire des efforts pour ken, et que nous n’aimons pas non plus quand ils se moquent de nos amies qui veulent utiliser Tinder pour trouver un copain.

Pour beaucoup de filles, devoir gérer les héritiers de Beavis et Butthead et leurs érections était de trop, et elles se sont débarrassées de Tinder pour de bon. Tinder, pour elles, contient trop de bios à un mot, de selfies mal cadrés révélant des tatouages moches, de messages demandant des photos d’elles à poil avant de demander comment s’est passée leur journée. Mais j’ai trouvé assez d’intérêt à Tinder pour continuer, faire glisser les profils à gauche et à droite, unmatcher les profils au premier signe d’attentes déraisonnables. Leur coin de Tinder est un endroit sombre, peuplé d’âmes errantes qui n’ont pas encore compris que les siècles de surévaluation de la bite sont terminés.

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