Le discours de John Green à Brandcast

Lexane
7 min readMay 1, 2015

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Crédit photo : http://www.bandt.com.au/marketing/brandcast-google-cashing-youtubes-success

J’ai eu l’occasion de parler devant environ 2.400 publicitaires (et beaucoup de mes collègues Youtubers et de fans) la nuit dernière au Brandcast annuel de YouTube. Certaines personnes ont demandé que je partage le discours. Le voilà.

Bonjour. Je suis John Green. Je suis un romancier et YouTuber et contrairement aux autres personnes qui parlent ce soir, je ne suis pas là pour vous divertir. Je ne suis pas ici pour vous renseigner, ni pour vous féliciter. Je suis ici pour vous effrayer.

La plupart des gens sur scène ce soir veulent vous expliquer pourquoi vous devriez faire de la publicité sur YouTube. Je vais plutôt vous montrer ce qui se passera si vous ne le faites pas.

D’abord, faisons un petit retour en arrière. Mon premier roman, Où es-tu Alaska, est sorti en 2005, un mois avant que je ne publie ma première vidéo sur YouTube. Vous avez peut-être entendu dire que 2015 est le dixième anniversaire de YouTube. Tout le monde se pisse dessus d’excitation. Enfin, félicitations, YouTube. Vous avez fait quelque chose qui n’avait encore jamais été fait. Sauf par à peu près n’importe quel élève de troisième.

Bref. Mon livre est sorti, a obtenu de bonnes critiques, a remporté un prix littéraire d’envergure, et s’est vendu en 8.000 exemplaires environ lors de sa première année. C’est ce que vous pourriez appeler un tirage modeste.

Dix ans plus tard, mon roman Nos étoiles contraires a été sur la liste des best-sellers du New York Times pendant 161 semaines consécutives, et l’adaptation cinématographique du livre a rapporté plus de 300 millions de dollars au box-office mondial.

Deux livres, deux résultats extrêmement différents. Alors, comment est-ce arrivé ? L’histoire de Nos étoiles contraires est complexe, mais je peux vous dire une chose : ce succès n’aurait jamais existé sans YouTube.

Le 1er Janvier 2007, mon frère Hank et moi avons commencé un projet appelé Brotherhood 2.0, dans lequel nous faisions une vidéo chaque semaine à tour de rôle. Huit ans plus tard, nous le faisons encore.

Grâce à ces vidéos, nous avons développé une communauté incroyable de fans qui s’appellent les nerdfighters, parce qu’ils vénèrent l’intellect et luttent pour défendre le côté “nerd” en chacun. Cette communauté a fait toutes sortes de choses étonnantes - ils ont prêté plus de $4,000,000 pour des entrepreneurs, majoritairement femmes, dans les pays en développement sur Kiva et ils ont organisé le Project for Awesome, un événement annuel de 48 heures sur YouTube où des milliers de créateurs font des vidéos sur leurs associations caritatives préférées pour amasser des fonds pour des organisations comme Partners in Health et Save the Children. Le Project for Awesome de l’an dernier a amassé plus de 1.2 millions de dollars de la part de plus de 21 000 donateurs.

Avec l'aide et le soutien de notre communauté, nous avons également été en mesure d'étendre notre présence vidéo en ligne. En 2012, nous avons lancé les chaînes éducatives SciShow et Crash Course. SciShow est une célébration de la recherche scientifique et de la découverte, et Crash Course présente des sujets variés allant de la chimie à l’Histoire du monde à un niveau légèrement supérieur à celui du bac. Cette émission est maintenant utilisée dans des milliers d'écoles à travers le monde.

Il existe une demande énorme d’éducation et de tutoriels : les gens veulent des informations bien documentées et pourvues d’un contexte clair, présentées de façon accessible, et aujourd’hui CrashCourse et SciShow ont tous les deux plus de 2 500 000 abonnés. Hank et moi sommes aussi co-propriétaires de DFTBA Records, qui distribue de la musique et de produits dérivés pour les créateurs de contenu en ligne ; chaque année, nous versions des millions de dollars à des YouTubers.

Donc, nous avons eu beaucoup de succès grâce à YouTube.

Mais voici la partie qui devrait inquiéter chacun d'entre vous : la plupart du temps, tout ce que mon frère et moi avons fait, nous l’avons fait presque sans publicité. Crash Course et SciShow sont financées principalement par les téléspectateurs qui font volontairement un don pour soutenir les émissions à travers Patreon. Et DFTBA records fournit plus de revenus de produits dérivés que tout ce que nous avons pu gagner en publicité - pas seulement nous, mais aussi de nombreux créateurs.

Aujourd'hui, Hank et moi avons 30 employés qui nous aident à créer des spectacles qui soient à la fois éducatifs et amusants à regarder. Et même si nos abonnés et vues ont été multipliés par 10 au cours des trois dernières années, moins de 20% des revenus de notre société provient de la publicité. Et ce pourcentage baisse de cinq pour cent chaque année.

Bien sûr, cela ne vaut pas pour tous les vidéos en ligne : beaucoup d’entre elles sont bien financées par la publicité et orientées vers ces modèles publicitaires. Mais la plupart des communautés plus puissantes, qui constituent la majeure partie de mon contenu préféré dans la vidéo en ligne, sont franchement sous-évaluées par les annonceurs.

Cela force ces créateurs à trouver d'autres moyens - ils organisent des événements en direct et éditent des livres, ils font des campagnes de crowdfunding et produisent des albums et obtiennent des subventions d’organisations à but non lucratif. En bref, ils construisent un monde où ils n’ont pas besoin de compter sur les annonceurs. Et ils s’en sortent très bien. Vous ne voyez pas forcément ce succès, mais il existe.

Donc, vous connaissez probablement ce cliché dépassé qui veut que les jeunes ne s’intéressent qu’au divertissement et n’aient aucun intérêt pour le monde en dehors d’eux-mêmes, mais mon expérience m’a montré le contraire. Alors que le monde parle de l’insularité et du solipsisme des jeunes, ils créent un monde en ligne complexe et fascinant dans lequel ils s’engagent sincèrement et passionnément, un monde dans lequel ils ne regardent pas simplement le contenu, mais deviennent une partie de celui-ci en étant des membres d’une communauté dont les commentaires, les fanfictions et les œuvres d'art et la passion ont de profondes répercussions sur la culture au sens large.

Une de ces jeunes était Esther Earl, qui a inspiré une bonne partie de mon roman Nos étoiles contraires. Esther a été l’une des premiers nerdfighters et un partisan clé du Project for Awesome, qui vivait aussi avec le cancer. J’ai appris de Esther que les personnes handicapées ne sont pas définies par ces handicaps, que leurs vies et leurs amours sont aussi importants et complexes et significatifs que ceux de tout autre, et qu'une vie courte - elle est morte en 2010, à seulement 16 ans - peut également être une vie riche.

Sans la communauté YouTube, je ne l'aurais jamais rencontré Esther. Je n’aurais jamais écrit mon livre. Et je n’aurais peut-être jamais vu à quel point cette nouvelle génération de fans peut être passionnée, engagée et soudée.

Pendant ce temps, nous, les adultes qui critiquons cette génération pour son apathie et son narcissisme, nous regardons CSI Miami et The Blacklist et nous nous félicitons de notre sophistication intellectuelle et de notre ouverture à la technologie.

Mais voici la vérité : tout au fond de ce que Robert Penn Warren appelait “l’obscurité que vous êtes”, il y a le grand et terrible sentiment que notre vie et notre travail n’ont pas de sens, une peur étouffante que tout ce que nous faisons ne serve à rien. Et CSI Miami est très fort pour nous détourner de cette peur. Ne vous méprenez pas, je pense que c’est très bien. J’aime les distractions. Le divertissement est un business génial et comme le nombre d’yeux qu’une distraction attire est un assez bon moyen de juger de son efficacité pour détourner les gens du réel, la publicité le finance très bien.

Mais les créateurs les plus passionnés sur YouTube et moi-même… nous ne sommes pas dans le domaine du divertissement. Nous sommes dans le domaine de la communauté, et le nombre d’yeux braqués sur nous est une mesure terriblement mauvaise pour nous. Je peux dire “Nos vidéos ont été visionnées plus d’un milliard de fois” et cela semblera impressionnant, mais ce nombre n’a pas vraiment d’importance pour moi. Je ne me soucie pas de combien de personnes regardent ou lisent quelque chose que je fais. Je me soucie de combien de gens aiment ce que je fais.

Et cet amour est plus difficile à mesurer. Par exemple, je vais joyeusement regarder 44 minutes de Deadliest Catch et je pourrais même tweeter à ce sujet, mais ça sera loin d’être aussi important pour moi que de passer trois minutes avec Vi Hart alors qu’elle m’explique comment nous savons que l’ensemble infini des nombres réels est plus grand que l’ensemble infini des nombres naturels. Deadliest Catch est quelque chose que je regarde. Le contenu original sur YouTube - que ce soit des critiques de jeux ou des tutoriels beauté ou des introductions à l’histoire du Nigeria - est quelque chose que je chéris.

Donc si vous voulez rester dans le secteur de l’audimat, c’est très bien. Je ne vous blâme pas. C’est un bon domaine, même s’il est en pleine récession. Mais vous risquez de perdre votre pertinence pour toute une génération de gens qui regardent les vidéo pas seulement pour la distraction, mais aussi pour s’engager et partager.

Et voilà où il y a une formidable opportunité, une opportunité que vous ne trouverez pas à la télévision ou n'importe où hors ligne : si vous soutenez les créateurs grâce à la publicité, nous pouvons construire et favoriser des meilleures communautés plus diversifiées. Si nous sommes en mesure de compter davantage sur vous pour nous soutenir, nous pouvons passer plus de notre temps à construire des relations plus profondes avec notre audience, ce qui se traduira par de meilleures relations avec vos marques. Nous pourrons apporter plus de choses intéressantes au monde. Et si vous nous y aidez, nos téléspectateurs le remarqueront, et vous gagnerez le cœur de cette prochaine génération tout comme vous avez séduit les générations précédentes.

Merci.

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