Les secrets d’un nom d’artiste qui accroche
7 minutes de réflexion sur un choix fondateur à l’importance inestimable. Mais trop souvent arrêté faute de mieux.
“Salut, nous c’est The Vomits*…”.
Fin de la lecture de votre mail.
D e notre expérience dans le volubile music game nous décanterions un conseil: le nom joue. Forcément. Au delà de ses évidentes vertus de mémorisations, il peut aussi bien attiser qu’avorter tout intérêt chez votre interlocuteur.
Le pro saura en effet y scruter d’instinct un potentiel. Un blaze inopportun reste ainsi le bon moyen de goûter à l’indifférence de l’industrie & du public. L’inverse n’est bien sûr pas une garantie.
Si ce vaste sujet défie souvent la logique, une chose reste indéniable: trouver le nom-qui-tue est un challenge artistique aussi périlleux qu’engageant. Et mérite réflexion.
En effet un nom est une carte de visite. Une porte vers votre monde intérieur. Une marque que l’on représente et pour laquelle on travaille. Pouvoir l’assumer sans détourner le regard est un prérequis.
Mais entre références envahissantes, consensus démocratique et effets de mode, les bottages en touche sont légion. Les résultats pas toujours heureux.
S’il n’est pas de façon académiquement certifiée d’accoucher d’un blaze frappant -quelques lettres adroitement placées faisant parfois l’affaire-, il existe quelques utiles ficelles issues du savoir-faire communiquant.
Nous nous sommes dit que ces menus conseils pourraient intéresser quelques-uns de nos amis musiciens en quête de nouveaux départs. Aka rebranding.
Au programme
Une structure en 4 parties. Pas longues. Et illustrées.
- Partie 1 — Les pièges. Où on passera en revue quelques fausses bonnes idées.
- Partie 2 — L’incarnation. Où on reviendra sur ce qui doit faire votre force.
- Partie 3 — La technique. Où l’on droppera un peu de Science. Bitch.
- Partie 4 — Les effets. Où l’on verra comment utiliser tout ça à bon escient.
¡ Disclaimer !
- Oui, s’arrêter au nom sans donner sa chance à la musique est superficiel. Mais il ne s’agit au fond que de ressorts psychologiques humains fort compréhensibles. Un peu d’empathie.
- Ne pas chercher ici d’idées toutes faites pour accoucher sans douleur d’un possible blaze. Quelques techniques, oui: mais pour le reste, il vous appartiendra de vous racler la soupière.
- Nous inventerons dans la suite quelques noms pour illustrer nos propos. Il est à peu près sûr qu’on tombera sur certains déjà attribués. La chose serait bien sûr fortuite et ne vise naturellement personne.
→GO!←
Première Partie — Les Pièges.
On commencera par s’offrir l’économie de quelques écueils plus ou moins flagrants. Histoire de déminer le terrain et gagner du temps.
1 — Les Modes.
Comme tout, les patronymes musicaux sont sujets à des modes. Une originalité détonne, fonctionne, se fait copier. C’est de bonne guerre, mais suivre le mouvement, pas la meilleure des idées.
Rien ne dit mieux “je suis resté coincé sur Mtv2 en 2001” qu’un groupe suffixant son blaze d’un numéro random. Et plus personne -ou presque- n’utilise de particules en The, très marqué garage du milieu des années 2000.
Ainsi s’il vous semble aujourd’hui cool de vous baptiser SBWFR, sachez que vous ne ferez certainement que vous clouer à un gimmick connoté qui se ringardisera plus vite que vous ne le pensez.
2 — Les trucs “marrants”.
Ne vous arrêtez en aucun cas sur un nom issu d’un demi jeu de mots ou d’une blague foireuse émise par votre batteur. Le meilleur ami du musicien a souvent beaucoup de qualités. Plus rarement celle-ci ;)
Disons-le tout net: “Non mais c’est marrant!” ne saurait en aucun cas constituer la raison du choix si significatif d’un patronyme de groupe. Alors, oui: parfois, on s’en souvient si c’est drôle. Mais est-ce pour les bonnes raisons?
3 — Les inventions “stylées”.
S’il y a bien un truc dur à faire, c’est imposer un nom sortant de nulle part. Ces compositions improbables au sens tordu -quand il y en a un. Souvent conjuguées de façon créative avec force lettres exotiques & doubles voyelles.
Pas que ce soit toujours nul. Mais voulez-vous que le public découvre votre projet sur un flyer mal orthographié? Prononcé incorrectement par le MC de votre prochain concert? Première impression foireuse garantie.
Alors n’y prêtez pas le flanc.
4 — Les connotations ordinaires.
Certains styles musicaux disposent d’esthétiques bien à eux. Et de traditions patronymiques qui vont avec. Sans vouloir souffler sur les clichés, vous devinez qui-est-qui parmi The Zion Lions ou Irön Death Killer ?
On pense assurer là sa crédibilité. Son lignage avec la légende. On saisit en réalité le ticket d’attente d’une agence SNCF musicale imaginaire, et l’on découvrira bientôt le numéro conséquent qui y est inscrit.
Ne rejoignez pas cette queue.
Deuxième Partie — L’incarnation
Après avoir évité quelques faux pas classiques, voyons comment inaugurer une réflexion constructive. Ça va sans dire, mais mieux en le disant: le résultat doit vous ressembler. Vraiment.
Ça commence par une petite introspection artistique. Et ses questions qui font peur: Quel est mon message, au fond? Qu’est-ce que je veux dire?
Et pourquoi? Comment?
Bref: c’est quoi l’idée derrière l’idée?
En cas d’hésitation dubitative, nous avions déjà abordé cette réflexion plus ample dans un précédent article. Plus généralement consacré à la comm’ et ses secrets, nous en conseillons une petite relecture à ce point.
Un nom doit idéalement refléter d’une façon ou d’une autre le résultat de cette quête de sens. Cette réflexion est aussi valable pour les artistes solo, pour lesquels le coup de l’alias prend alors tout son sens: vous croyez qu’il s’appelle vraiment Joey Bada$$ ?
Être au point avec soi-même sur la véritable ADN de son projet ne peut que vous aider à accoucher d’un nom qui vous représente.
Mais peut-on le rendre plus accrocheur?
Troisième Partie — La Technique
Maintenant au point sur ce que cherche à dire et incarner son projet,
les choses devraient se préciser. Il peut aider de faire des parallèles.
Navigue-t-on un imaginaire pop et coloré, fait de synthés tokyoïtes?
Un romantisme coppolesque évanescent? Ou une réalité grise, froide et coquette comme l’arrière d’un frigo…?
Un nom est un microcosme. Et au-delà de votre adéquate représentation, l’univers miniature qu’il véhicule influe largement sur sa mémorisation par le public. Explications.
Ici commence la partie un peu technique de l’article. Mais rien d’obscur.
Ça reste basique. On pourrait résumer l’essentiel en ces quelques mots:
Il est plus facile de s’associer à une idée pré-existante, que d’en imposer une de nulle part.
Illustrons. Prenons deux exemples de noms génériques, hypothétiques et dépourvus d’intérêt esthétique, qu’il s’agirait -pour l’expérience- vous faire retenir. Ou faire retenir à quelqu’un…
Le 1er est une compo inédite, au hasard: Skebaradoo. Dur. En effet, ce mot incongru, qui ne correspond à rien, devra être martelé pour être retenu.
Pas le choix.
A l’inverse un Cappuccino, mot lié à une image figurant -a priori- déjà dans votre psyché, jouira d’une meilleure mémorisation. Il réussira d’avantage à activer votre imagination. Sera par là plus vite et mieux retenu.
Ce qui ne veut pas dire que c’est un bon blaze, juste plus mémorable.
Ce harponnage d’imaginaire est d’autant plus efficace que l’idée éperonnée est forte, chargée de sens et d’émotions… Plus il donne matière à réagir, même inconsciemment, plus la partie est gagnée.
Exemple typique au débotté de ce phénomène avec un petit groupe indé dont on a tous retenu instantanément le patronyme, même sans matraquage : Justice. Une abstraction puissante, pénétrante, qui concerne et interroge… Bingo!
C’est le principe de la mémoire Velcro. Pour être mieux mémorisé, il s’agit de maximiser le nombre de “crochets émotionnels” d’une idée pour solidifier sa prise dans les esprits. Par les associations d’idées qui peuvent lui être faites.
Typiquement: quel était le premier exemple -dépourvu de ces accroches puisque ne correspondant à rien- explicité plus haut?
Vous ne savez plus?… Exactement.
Partie Quatre — Les Effets
Comment injecter ces nouveaux principes dans votre réflexion?
On peut déjà jouer sur certains effets, toutes choses étant égales par ailleurs. Si la subséquente liste n’est bien sûr pas exhaustive, vous retrouverez ici quelques ficelles classiques du métier. Un best-of.
1- La simplicité.
La 1ère possibilité serait de simplement poser là une idée un peu musclée.
La puissance de ce concept nu faisant la force du blaze, sobriquet se devant naturellement de vivre dans une certaine harmonie avec votre musique.
Des exemples :
+ Paradis et sa pop électronique cotonneuse et astrale.
+ Movement, au minimalisme ample et ultra-sexy.
+ Le glam-rock kaléidoscopique des anglais de Temples.
+ The Weeknd, entre danse et Netflix & Chill dominical.
2- Les distorsions de perception.
Autre petite technique efficace: reprendre la précédente simplicité de la forme. Mais venir renforcer son aura par une contradiction de sens entre nom et musique. Jouer la carte du léger mindfuck.
Excellent exemple: Nirvana, paradis bouddhiste zen révélant une musique grunge & chaotique. Ce genre de contre-pied volontaire déroute nos cerveaux, ce qui paradoxalement favorise la rétention d’informations. On aurait aussi pu évoquer le luxuriant Oasis mancunien.
Cette technique dite de distorsion de perception est utilisée bien au delà de la musique. Régulièrement, dans la publicité pour déranger, tilter, faire réagir…
← Un exemple hyper-classique. Image de crash routiers sur fond de chants de Noël.
3- Les images marquantes.
Si cette histoire de concepts n’est pas pour vous, ou que vous considérez l’affaire comme un truc précieux d’étudiants en Beaux Arts, rassurez-vous : d’autres combines existent.
Une façon détournée d’utiliser le point précédent est de compter sur un réflexe de l’esprit humain: se représenter ce qu’il lit. Et lui faire invoquer une image marquante. Inattendue. Originale. Incongrue.
Cette image peut correspondre à l’esprit de la musique, comme un massif Dirigeable de Plomb et de rock&roll. Ou n’avoir qu’un lien plus ténu, genre les Têtes Parlantes. L’important est que l’image soit forte et impacte.
4- Les petites histoires.
Une petite dernière pour la route. Un des trucs ultime pour créer de la mémorisation: le coup de la petite histoire qui va bien. Ce qu’on appelle le Storytelling.
Exemple: lorsque vous avez rencontré pour la première fois des tennis Feiyue -ces trucs pas cher en toile. Dans les 20 secondes, on vous a normalement raconté que c’était celles que portaient les ouvriers chinois dans les 70s. Ou un truc du genre… Ce bref hameçon suffit: votre mémoire est colonisée.
Dans la musique on a Joy Division, régiment de prostituées de la Wehrmacht. Ou Young Turks, mouvement de jeunes réformateurs ottomans dans les années 1910 et label londonien d’avant-garde électronique intelligente.
Ou encore cette histoire touchante de thérapie perso par drag-Queens qui accompagne l’ascension de Christine.
L’établissement de ces petites histoires qui “accrochent” est un domaine d’étude en soi. S’il vous intéresse, je ne saurais que vous recommander l’excellent ‘Made to Stick’ des frères Heath.
←La Conclusion→
Sans aller très loin dans la technique, j’espère que vous aurez trouvé ici deux ou trois astuces qui pourront vous servir. Il n’y a rien de plus triste qu’un groupe à la musique super qu’on sait handicapé par un blaze malencontreux.
Alors: Plus jamais ça.
Pour récapituler les points importants de la recette:
- Eviter les erreurs bêtes (effets de modes, clichés habituels, semi-blagues et orthographes imbitables).
- Etre au point sur qui vous êtes et ce que vous voulez dire.
- Multiplier les accroches émotionnelles de votre nom en le chargeant d’un sens culturellement fort.
- Un bon storytelling “goes a long way”, comme disent nos amis d’outre-Rhin.
Merci de votre fidélité et bonne chance.
La Bise,
— Mathieu & Jérémy, pour Brass.