Vue des abysses

Mamy blue

Témoignage sur le vague à l’âme fauchant les jeunes mères

Marie Colin

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Il est là juste à côté de moi. Il dort.
Je contemple son profil parfait, sa bouche en cœur, sa peau douce, ses cheveux soyeux, son nez minuscule.
Cette merveille est née il y a à peine trois semaines. J’ai été conquise à la seconde où la sage-femme l’a posée contre ma poitrine. J’ai désiré cet enfant, je l’ai aimé lorsqu’il était dans mon ventre, et je continue à l’adorer considérablement.
Pourtant…

Pourtant, ma tristesse est un puits sans fond.
La faute à la chute d’hormones, il paraît. Il paraît aussi que le “baby blues” touche quasiment toutes les mères, a fortiori lorsqu’il s’agit du premier enfant. Mais les articles sur le sujet s’accordent à dire que cette déprime ne dure que quelques jours, voire quelques heures, et disparait aussi vite qu’elle est venue.
Depuis que je suis rentrée de la maternité, toutes mes journées sont ponctuées d’au moins une crise de larmes. Pas celles du bébé, les miennes.

Je me sens vide, je me sens seule, je me sens impuissante, je me sens moche. J’ai perdu le sourire, l’envie d’agir, de sortir, d’avoir des projets. La moindre critique me fait craquer. Je suis épuisée. Les paupières me brûlent, la poitrine aussi. Je suis incapable de redresser la barre, de me raisonner, de tenter de voir les choses sous un angle positif. J’ai l’impression d’être piégée. Il ne s’agit pas que d’une métaphore, je me trouve bien prise au piège des murs de notre appartement. Accrochée au canapé, prête à dégainer le sein aux premiers signes de faim de mon petit garçon.

Je n’ai pas d’autre perspective que ses rares et courtes plages de sommeil pour me permettre de manger, me doucher, faire un minimum de ménage. Si par bonheur j’ai du temps supplémentaire une fois tout cela accompli, je me retrouve face à moi-même, à mon vide intérieur.

Je ne sais comment le combler. J’ai l’impression que tout s’est effondré depuis que mon bébé est là. Ma joie de vivre. Mon ventre, aussi.
Ce petit être n’est en rien responsable, et je culpabilise à l’idée d’associer sa naissance à autant de mal-être.

C’est comme si sa venue mettait en lumière mes failles. Je n’avais déjà pas confiance en moi, mais la situation s’est empirée depuis que je me dois d’être responsable d’un enfant. J’étais pétrie de doutes, mais mon anxiété s’est décuplée. J’avais du mal à accepter mon corps, mais maintenant j’en ai honte. Je me posais beaucoup de questions sur mon avenir, mais aujourd’hui c’est la notion même d’avenir que je ne parviens plus à appréhender.

Je ne vis plus qu’au jour le jour. Quand je me lève le matin, j’ai hâte que la journée se termine. Je n’ai plus de plaisir en rien. Je mange n’importe quoi pour remplir le vide. Mon accouchement a détruit le fragile équilibre intérieur que j’avais bâti ces dernières années. Il a levé le voile qui cachait la béance de ma psyché.

Je n’ai rien vu venir, c’est une lame de fond qui m’a engouffrée par surprise. J’avais pourtant été si heureuse d’être enceinte... Je me sentais au bord d’une nouvelle vie pleine de promesses. Je ne pensais pas qu’à l’instant où mon fils naîtrait, je replongerai dans les abysses. L’expression “donner la vie” ne pourrait être plus juste, car c’est la mienne que j’ai l’impression d’avoir donné.

Heureusement je ne suis pas seule à me réveiller la nuit, à tenter de calmer les pleurs du bébé, à changer les couches, à donner le bain, à être aux aguets. Je ne suis pas seule à être exténuée. Je voue maintenant une admiration sans borne pour les mères célibataires, car j’aurais sombré dans une profonde dépression si je n’avais pas été accompagnée.

Mais le soutien logistique de ma moitié ne me permet pas de régler mes conflits intérieurs. Ni d’atténuer les conséquences des variations hormonales. Ni de soulager l’épuisement de l’allaitement. Ni de répondre à mes questions ou de lever mes doutes. Au contraire, je culpabilise d’autant plus d’être dans cet état face à lui.

J’essaye de lui cacher, de me contenir. Je ne veux pas qu’il se sente lui-même impuissant, qu’il ait l’impression d’avoir un fardeau à gérer. Je ne veux pas que mon spleen l’atteigne. Malgré cela je sais qu’il n’est pas dupe, les choses se ressentent sans que l’on ait besoin de mettre des mots dessus. Alors je me dis qu’il va nécessairement s’éloigner pour ne pas se laisser contaminer. Qu’il va moins m’aimer car il ne connaissait pas cette partie sombre de moi. Comment pourrait-on m’aimer avec cette mélancolie permanente ? Me désirer avec ce corps-là ?

Et puis je déteste le mois de novembre. En plus du deuil de ma vie d’avant, il faut que je fasse celui de la chaleur et de la lumière.

On me dit qu’il faut que je sorte. Que je m’évade de l’appartement. Je suis d’accord, j’ai besoin d’air. Mais que faire dehors, dans le froid, avec un bébé de moins de 3 semaines ? Une énième promenade dans le quartier pour respirer, en arpentant des rues résidentielles que je connais par cœur, et contemplant les arbres se dépouiller avec le vent ? Je suis tellement fragile en ce moment que la seule vue des feuilles mortes flottant sur le canal morne de Pantin me fait pleurer.

Il parait aussi que je dois travailler mon mental. Ne pas laisser les pensées négatives prendre le dessus. Mais quand la déprime me terrasse, les larmes ont besoin de couler, c’est plus fort que moi. Et quand elle disparait, elle me laisse une migraine qui m’assomme en souvenir.
J’ai hâte d’en sortir.

Dans cette grisaille opaque il y a tout de même quelques rayons de soleil qui transpercent les nuages. Les sourires esquissés de mon fils, le contact de sa peau contre la mienne, son odeur, ses grands yeux. La fierté. L’amour inconditionnel.

Ma grossesse a commencé par des nausées, elle se termine par le mal de mère. Que j’espère éphémère…

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Marie Colin

Mère velléitaire et écrivain en devenir. Ou plutôt l’inverse. Still loading.