Parcours d’une élève modèle, qui n’avait pas l’impression de réussir sa vie

Annabella de Zanzibar
Le Petit Buisson
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13 min readNov 3, 2016

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Un parcours académique dont la plupart des parents rêvent pour leurs enfants

CP

Une enfant curieuse (aussi invariablement « bavarde, dissipée, peu soigneuse »), pour qui les apprentissages scolaires semblent plus intéressants (donc faciles ?) que pour beaucoup de ses petits camarades.

CM2

Puisque je suis capable du meilleur niveau, je travaille avec assiduité pour y rester. Le DEVOIR commence à l’emporter sur le PLAISIR.

La réussite scolaire n’est-elle pas la seule voie de salut offerte aux enfants?

3e

Je travaille avec assiduité, jour après jour, année après année : par souci de tout maîtriser, de ne pas « râter un wagon » en maths ou en français.

Alors je comprends bien qu’on puisse avoir des lacunes, ce serait très facile : c’est ma crainte, je ne sais pas comment font les autres pour vivre comme cela.

Je ne sais pas « ce que je veux faire plus tard » : mon plan c’est d’être au meilleur niveau dans toutes les matières académiques, que tous les choix me restent accessibles.

J’ai conscience de perdre mon temps à l’école, et que le « vrai travail » intervient après (soirées, mercredi, weekend), me laissant peu de temps libre. Aux beaux jours j’étouffe, je fugue peu avant la fin du collège.

Des niveaux très hétérogènes : je fais profil bas avec mes résultats « hors-normes ». Ce n’est pas très valorisant de travailler. Je ne passe pas pour « intello » ou “première de classe” : je suis foncièrement seule mais socialement intégrée.

Je ne me crois pas intello moi-même : c’est seulement quand telle ou telle passion va s’éveiller que je vais trouver des réponses…sur Internet! Puis dans les livres.

Seconde

Pour perdre un peu moins de temps déjà pour raisons d’indiscipline ou d’analphabétisme des autres, j’entre dans un lycée privé.

J’ai PEUR de ne pas être au niveau par rapport aux élèves qui étaient dans un collège privé plus studieux auparavant. Des premiers résultats en maths (la géométrie en 3D) plutôt moyens, mais finalement je suis toujours beaucoup plus à l’aise que les autres, et me remets bientôt à caracoler.

Bac

Je m’intéresse à divers sujets intellectuels par moi-même, frustrée de ne pas pouvoir me consacrer davantage à des apprentissages autonomes au gré de ma curiosité. Ce sont pourtant mes explorations autodidactes qui me marquent le plus.

Et je me retrouve ainsi dans diverses matières (économie, géographie, philosophie,…) en porte-à-faux par rapport à ce qu’on nous enseigne, et par rapport à ce que nous avons intérêt à penser pour avoir de bonnes notes !

La seule alternative à l’école, au moins pour mieux disposer de mon temps, j’y avait déjà réfléchi au collège, serait le CNED (cours par correspondance): option qui paraît bien abstraite, solitaire, extrême. Je souffre de perdre mon temps au lycée et, avec le travail personnel, de ne pas pouvoir m’adonner en profondeur à d’autres activités.

Je ne sais toujours pas « ce que je veux faire plus tard ». Et surtout je ne VEUX PAS le savoir. Et si j’étais faite pour devenir fleuriste, alors que je suis capable des meilleurs parcours académiques ? Je pourrais le regretter. Cela semblerait peu rationnel.

Je veux prendre mon indépendance de façon solide, je m’apprête à ATTENDRE encore 5 ans d’études pour cela.

Après le bac, seuls des parcours académiques sont envisageables. J’irais bien à l’université, pour l’autonomie dans le travail, mais c’est mal côté. Et puis, déjà que je n’en peux plus du travail scolaire, je m’imagine mal en classe préparatoire. Il se trouve que des camarades de ma classe sont intéressés par Sciences Po : première de classe depuis toujours dans ma province, je n’ai pas conscience que j’ai le niveau pour ces écoles parisiennes. Pas d’entourage ayant suivi des études supérieures. Je n’ai pas ces ambitions.

Je ne suis pas carriériste, en fait! Dans l’absolu j’ aimerais bien changer le monde. Je vise au travers de mon parcours scolaire une base sûre pour prendre mon indépendance

Et puis je vois que Sciences Po recrute les meilleurs sur simple dossier : je pourrais échapper à l’asphyxie totale en classe préparatoire! Je n’avais pas prévu de préparer le concours d’entrée. Un projet de parisiens, d’initiés.

Aussi j’avais arrêté de travailler avant le bac, car étant donné mon niveau j’aurais eu du mal à le rater. Ma rebellion de la dernière heure. Et puis je m’y remets un peu, pour obtenir une mention Très Bien - in extremis. Et l’admission à Sciences Po Paris.

Sciences Po

Mes parents ne sont pas ravis par cette “consécration” car cela signifie un loyer à Paris : n’aurais-je pas pu faire quelque chose de « normal » près de chez moi, à Lens, Lille à la limite?

La dépendance financière sera lourde, psychologiquement, je le sais dès le départ. Je n’ai pas le “droit” non plus de contracter un prêt car, selon eux, “c’est aux parents de payer les études de leurs enfants” (oui mais de préférence celles qui les arrange, eux). Je travaillerai l’été, puis hâterai mon autonomie par une formation en apprentissage la dernière année de master.

Les études aussi seront lourdes, et surtout à côté et en confrontation avec les lumières que je trouve par moi-même par ailleurs. DISSONANCE COGNITIVE sur toute la ligne.

Je suis en décalage avec les autres étudiants, pour qui être dans cette école est une consécration ou une obligation sociale et familiale.

Mon oxygène et ma vie sociale sont ailleurs, dans mes centres d’intérêts : l’intérêt principal à mes yeux de ce séjour parisien. Les études sont un (très gros) à-côté. D’autant plus que je m’embête bien plus que les autres qui, rationnellement, visent simplement à “avoir la moyenne”, leur diplôme. Pas à MAITRISER les disciplines associées.

La 3e année doit se faire à l’étranger. Ce n’est pas un choix personnel. Ce n’est toujours pas un PROJET PERSONNEL. Ceci dit j’y trouve plus de liberté intellectuelle et des personnes plus en phase avec moi — avec qui j’ai lié des amitiés qui durent encore.

Je suis les rails depuis si longtemps déjà. Ma vie ne me ressemble pas : je l’apprendrai plus tard, c’est un pli dangereux. Je ne suis pas maître de ma vie. Obtenir ce diplôme me libérera : « Après je trouverais bien quelque chose à faire qui me plaise ».

Première expérience professionnelle en grande entreprise

Sauf qu’en étant en décalage avec la formation, il y a des chances pour que je sois en décalage aussi avec les débouchés. Mes camarades s’imaginent bien hauts fonctionnaires ou DRH chez L’Oréal. Quant à moi je sais d’avance que cet apprentissage dans une grande entreprise ne sera qu’un poste d’observation : je ne me projette à aucun moment dans ce type de carrière et d’organisation.

Je ne veux pas prendre part aux enjeux politiques, à à l’espèce de servilité et d’hypocrisie qui aide les carrières. Foncièrement je végète, je m’ennuie, c’est du gâchis: je ne travaille pas pour une cause qui me tient à cœur. Le rapport temps de travail/contrepartie me parait dérisoire : vraiment, je ne comprends pas ce qui motive ce petit monde !

Aussi je ne suis pas prête à « faire des sacrifices » (un premier poste pas alléchant, une mutation) : j’en ai déjà fait assez, non ? Si je me suis embêtée à faire des études, c’était bien pour gagner une LIBERTé- par la sécurité du diplôme sur le marché du travail.

Le discours sacrificiel m’insupporte : il ne s’arrête jamais, même une fois dans la vie active.

Pourtant je remarque que mes camarades de promotion, qui décrochent enfin le « Graal », leur diplôme ainsi généralement qu’un CDI dans l’entreprise où ils étaient en apprentissage, n’ont pas si confiance. Ils ont la sécurité mais pour rien au monde ils ne se risqueraient à exercer la liberté associée : pour rien au monde ils ne risqueraient une recherche d’emploi. Alors même qu’ils sont, parmi les candidats, les mieux armés, ils s’accrochent inquiètement à leurs acquis. Ils n’ont aucune sécurité intérieure. Pendant ce temps-là, moi j’envisage une année sabbatique. Je me fendrai d’une remise en cause.

Une jeune diplômée qui se cherche

A mon retour ce cette expérience sabbatique, une recherche d’emploi est à mes yeux le meilleur moyen de « rebattre mes cartes » : de voir ce que je pourrais faire de plus intéressant. Il serait l’heure d’enfin faire quelque chose de sensé !

Et puis j’ai mes conditions : je ne veux pas consacrer tout mon temps à un travail, je veux vivre dans une plus petite ville : ah mais avec mon diplôme, Lyon c’est le maximum, enfin le minimum!. Ce sont des choses auxquelles on ne songe pas quand on choisit ses études (comment j’aimerais vivre!) D’ailleurs il ne sera pas si simple d’y trouver un emploi de jeune cadre en conseil en organisation ou ressources humaines : raison pour laquelle j’ai appris un autre métier.

Je ne me vois pas consultante dans un grand cabinet trop impersonnel à mon goût. Je passe un entretien dans une entreprise très atypique : un cabinet de conseil en Scop (coopérative). Un métier intellectuellement intéressant (diagnostic d’entreprise) qui suppose d’apprendre la gestion : voilà une compétence pas drôle du tout mais qui pourrait m’être utile un jour, si je voulais travailler à mon compte : l’occasion de s’y frotter en profondeur. Je passe près de 4 ans dans l’entreprise.

Avec mon expérience en Ressources Humaines en grande entreprise, ce sera ma business school. Car je n’ai rien appris de très pratique pendant mes études. La spéculation intellectuelle, j’y suis naturellement versée.

Un apprentissage énorme pour apprendre le métier sur le tas. Je ne connais pas la finance. Je n’ai rien appris de pratique : pour mes premiers rapports je dois me mettre à niveau à la fois sur le fond, et sur la forme (Excel etc).

N ’aurais-je pas pu faire cela à 18 ans? Fallait-il que je RENTRE à Sciences Po, puis que j’attende 5 ans d’en sortir pour rassurer un employeur sur ma capacité de travail et mon potentiel d’apprentissage?

Je suis à l’aise humainement. Je télétravaille, m’organise assez librement, dispose de vacances. Seulement, je sature à force d’expertise : je ne suis pas faite pour cela!

Plus pour des raisons personnelles, mais le contre-emploi DEPUIS TOUJOURS n’aidant pas…

…cela fait des années que je traîne des symptômes anxyo-dépressifs de plus en plus sévères, qu’un cocktail de psychotropes ne suffit pas à endiguer.

Cette année-là je tiens jusqu’aux vacances d’été, constate à la rentrée que je ne me suis pas reposée : je vais être hospitalisée des mois, arrêtée durablement. A la sortie, cela n’a plus de sens de reprendre ce travail-là : il me faut quitter l’entreprise — alors que je m’étais investie dans un apprentissage important logiquement pour exercer ce métier longtemps. Toujours une logique de spéculation, comme avec le parcours scolaire.

« rebattre mes cartes » encore une fois, en n’ayant pas d’autre choix que d’aller dans une voie qui me corresponde

Alors j’entreprends une recherche d’emploi : la tournée de la dernière chance

A Paris, avec mon diplôme et cette expérience dans le conseil, ça répond très vite. Je me vois mal me plier aux conditions des métiers salariés qu’on me propose.

Un recruteur me demande grosso modo “ce qui me ferait courir”, pour réaliser le plus de performance possible dans ce métier commercial : en effet je ne vois vraiment pas non plus!

Un ami avec un profil proche du mien, et en proie aux mêmes déconvenues post-académiques, se reconvertit dans l’enseignement

Le pas me parait énorme (concours, affectation nationale…surtout dans le 93). Cependant, ayant fait le tour des possibilités offertes par le marché, ne pouvant plus me permettre d’être en porte-à-faux dans ma vie professionnelle, je me dis que l’enseignement me conviendrait très bien, que j’aurais des choses à y apporter. Alors je me fais à l’idée de passer le concours pour enseigner en lycée. Je suis prête à subir une lourde transition.

J’ai dû mal à accepter de me retrouver à étudier, ENCORE. INUTILE : ça n’a déjà que trop duré cette exclusion de la « vraie vie ». J’ai à peine travaillé quelques années que ça recommence

J’ai dû mal à accepter de ne pouvoir directement enseigner comme j’en ai, il me semble, les capacités. Préparer le concours me parait tellement vain, plutôt je prépare des cours. Et puis j’accompagne des bacheliers autour de moi, et à leurs yeux aussi je suis plus que compétente.

Le problème de ma jeunesse est toujours présent : en tant qu’enseignante aussi je vais me retrouver en délicatesse avec le programme.

Et puis comment transmettre ce qui me parait essentiel au milieu de tout cela ? Et puis les jeunes ont besoin d’autres choses que de la transmission de savoir.

Alors je ne suis pas encore certifiée enseignante que j’imagine des à-côtés et voies de sortie

Je m’amuse à faire des vidéos d’enseignement alternatif sur Youtube. Je me dis que j’aurais en tant qu’enseignante du temps pour envisager d’autres possibilités, tenir un blog, devenir indépendante, faire des cours d’économie grand public, du coaching,…

Toujours est-il que les mois passent, et la phase intermédiaire (ce concours, la perspective de l’Education Nationale) m’accable. Je m’enfonce dans une dépression profonde… grâce à laquelle je lâche ce projet.

C’était toujours un choix de raison, une façon de se raccrocher aux branches . Même si l’enseignement en général me plairait, ce sont les conditions d’exercice et de reconversion qui me font violence : puis-je encore me le permettre?

Plus de recherche d’emploi. Plus de concours. Et dans l’immédiat rien du tout !

J’ai besoin de me ressourcer pour envisager un projet porteur. De me reconnecter à moi même : connexion perdue depuis bien longtemps, dé-connexion dont je me meurs.

Dans l’absolu j’aurais besoin de travailler à mon compte, mais je n’ai pas de métier identifié! Rien dans le parcours classique que j’ai suivi ne prédestine à l’entrepreneuriat, mais j’ai vraiment ailleurs tout essayé.

Je réduis la voilure, repars vivre chez ma mère (le comble, moi qui voulais une indépendance béton!) et donne des cours particuliers : au moins une activité qui me plait, qui est utile, et en plus on me paie pour cela !

L’émergence d’un projet d’entreprise pour aider les jeunes à se trouver plus directement

L’air de rien pendant cette période de latence, j’ai exploré énormément de sujets en lien avec le développement personnel, l’entrepreneuriat. Je sens que bien qu’ayant mis de côté l’enseignement, l’éducation me tient à cœur. Je rencontre à cette époque aussi des entrepreneurs d’une façon ou d’une autre investis dans le domaine de l’éducation. Je découvre des parcours “atypiques” inspirants.

Je mets du temps à relier l’éducation et l’entreprise. Développer des services éducatifs privés à la carte, voilà qui aurait du sens. La seule façon d’oeuvrer dans ce domaine sans perdre mon âme (et en retrouvant la santé!)

Certes économiquement ce ne sera pas facile : des concurrents en place (le marché noir du soutien scolaire, l’Education Nationale surtout!), une concurrence déloyale (pas de TVA, déductions sociales et fiscales). Un métier, deux métiers, mille métiers à apprendre : formateur, entrepreneur, marketeur.

Mais il n’y a que dans ce contexte que de nouvelles approches pourraient se développer. Ouvrir les perspectives des élèves, au-delà du scolaire. Donner aux personnes ayant une vocation enseignante l’occasion de travailler de façon indépendante, en exprimant ce qu’elles ne peuvent pas exprimer dans le système scolaire.

Que mon chemin initiatique, académique et professionnel, soit utile aux autres.

Qu’il m’aide à conseiller les jeunes gens et à identifier des clés non-scolaires précieuses qui leur seraient utiles pour se construire, construire une vie qui leur convienne. Ces clés auxquelles je n’ai pu m’intéresser que dans la liberté intellectuelle offerte, par l’arrêt maladie et le chômage, à la trentaine. Et dans la nécessité de survivre. D’apprendre à vivre autrement : alignée avec moi-même.

Autant de choses sur lesquelles j’ai à travailler moi-même. Autant de choses auxquelles j’aimerais sensibiliser mes semblables bien plus tôt - qu’ils n’apprennent pas ainsi à s’aliéner - à s’éloigner dangereusement d’eux-mêmes dès le plus jeune âge

J’ai du pain sur la planche, mais enfin cela a du sens. Pour mon plus grand bien et celui de l’Univers.

Il n’y a rien à “réussir” dans une vie qui n’est pas la nôtre.

Alexandra Evrard

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