Anj Pambüh
3 min readOct 23, 2016

Psychopathologie sauvage de l’acte public de lire.

Est-ce parce que j’ai toujours conçu la lecture comme un acte solitaire et intime que j’ai du mal à lire en public ? Je ne lis pas dans les parcs. Pas plus que sur les bancs publics. En revanche, je lis dans le bus, dans le métro ou dans le train. Non sans, chaque fois, m’adonner à toutes sortes de contorsions pour que jamais personne autour de moi ne sache ce que je lis. Il me faut non seulement dissimuler le titre de mon livre aux personnes en face, mais aussi faire en sorte que les personnes situées du même côté que moi n’aient aucun indice qui leur permette de deviner ce qu’est ma lecture, même en allongeant le cou et l’oeil.

L’embarras que j’éprouve face au fait qu’on me regarde lire est sans doute de la même eau que celui qu’éprouvent d’autres face au fait qu’on les regarde manger. Seule différence : Qu’on m’observe à table ne me pose aucun problème en général. Si ce n’est là la raison de mon malaise, c’est donc qu’elle est ailleurs. Sans doute suis-je victime d’une disposition affective qui, par je ne sais quelle bizarrerie, conçoit la lecture en public comme un acte répréhensible en soi. Je soupçonne mon esprit d’y voir un acte de cuistrerie, d’épate et d’immodestie. Comme si je saisissais un mégaphone et criais à la cantonade : Regardez comme je lis ! Regardez ce que je lis !

Mais, ce n’est pas tout !

Par des mécanismes psychiques qui sont là aussi obscurs à moi-même, lire en public m’a également toujours fait l’effet d’être à poil. C’est donc que je percevrais les livres que je choisis de lire comme des appendices de moi-même dont le dévoilement serait comme l’exposition de mon corps propre. Faute d’expertise, je ne saurais m’étendre sur les connexions qui se font à je ne sais quel niveau entre usages des corps propres et usages (des corps) des livres. Je sais une chose cependant : la nudité a toujours été honteuse — au moins depuis qu’Eve-lève-toi-et-danse-avec-la-vie a vu le serpent et croqué la pomme. C’est marqué dans la Bible. Et il faut toujours croire ce qui est marqué dans la Bible !

Par comparaison, et pour retrouver la question de l’intime par laquelle s’ouvre ce texte, je me demande comment font toutes ces femmes, jeunes ou moins jeunes, qui, de plus en plus, achèvent de se maquiller dans les transports publics. Pour accomplir un acte si personnel devant des yeux si peu personnels, il faut avoir un sens assez étendu de l’intimité ou de la honte une appréhension assez lointaine, non ? Bien sûr, la véritable question est : De quelles charges nouvelles la société accable t-elle les femmes de notre époque pour qu’elles aient de moins en moins le temps de finir leur toilette dans le confort de leur maison ? Mais, ça, c’est un autre sujet, n’est-ce pas ?

Anj Pambüh

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