Intelligence artificielle: possible salut pour l’homme ?

Philippe Coulon
6 min readJun 18, 2015

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Quand j’étais à l’université, je me souviens très bien que mon professeur de psychologie affirmait que jamais une machine ne pourra dépasser et remplacer l’homme. C’était évident: jamais une machine ne pourra apprendre et disposer de réelle créativité, disait-il. Sans le savoir, il adoptait le même point de vue que les anciens Grecs en divinisant l’homme et sa place sacrée dans le cosmos, entre les animaux et les dieux.

Que dirait ce professeur aujourd’hui ? L’intelligence artificielle est déjà au cœur de nos activités virtuelles: la finance est en grande partie gérée par des ordinateurs (avec les conséquences que l’on connaît sur les populations les plus pauvres), les machines parviennent à apprendre des mots qu’elles ne connaissaient pas et un nombre croissant de tâches sont aujourd’hui remplacées par des systèmes de plus en plus performants. Voyez aussi les Google cars qui conduisent toutes seules, les robots qui gravissent toutes sortes de terrains, les ordinateurs qui composent des musiques originales, toussa-toussa. Google ou Wikipédia possèdent toute la connaissance du monde dans leurs mains et rendent déjà d’une certaine manière l’humain (ou la Petite poucette de Michel Serres) plus intelligent.

Il y a près de deux millénaires, en 77, Pline l’Ancien avait rassemblé toute la connaissance de son temps dans ses 37 livres de son Histoire Naturelle. Après, la civilisation a mis 1500 ans à doubler son savoir, à la Renaissance. Aujourd’hui, la connaissance humaine double tous les 18 mois ! Selon Nick Bostrom, gourou de l’intelligence artificielle de l’université d’Oxford, les machines apprendront à apprendre d’elles-mêmes dans les prochaines années, il nous faudra donc vivre dans un monde géré par les machines, avec des machines qui deviennent d’elles-mêmes de plus en plus intelligentes. L’intelligence artificielle est donc là… Et son avènement ira de plus en plus vite ! C’est la loi (ou conjecture) exponentielle de Moore, qui pose que toute innovation va en s’accélérant, et, j’ajouterais, que cette accélération est inéluctable. Pensez par exemple qu’un iPhone d’aujourd’hui est plus intelligent que tous les ordinateurs de notre jeunesse réunis ! Aussi, les experts estiment qu’en 2030 les machines seront aussi intelligentes que l’homme et qu’en 2045 les machines seront aussi intelligentes que tous les hommes réunis. Comment un cerveau, qui réfléchit à du 120 m/s pourrait-il c’est vrai concurrencer une intelligence qui réfléchit à du 299 792 458 m/s ?

Les innovations technologiques en cours devraient également, si l’on en croit la loi de Moore, contribuer à une augmentation quasi infinie de l’espérance de vie des humains jusqu’à l’immortalité, et ce dans un laps de temps relativement court. En effet, les machines pourront travailler en parallèle sur des millions d’expériences, de tests, de théories qui feront progresser la médecine, l’astronomie, la recherche économique, la musique, et peut-être même la philosophie, de manière impressionnante. La majorité des inventions proviendront des machines, et dans les 30 prochaines années, il y aura autant de progrès et de changements que dans les 2000 dernières années.

L’on pensait tous que ce sont nos grands-parents qui ont connu les plus grands changements sociétaux et technologiques, il se pourrait bien que ce soit nous…

Quelles sont les conséquences de ces évolutions en cours ? L’homme, qui a mis plusieurs centaines de milliers d’années à se construire est-il prêt pour ces changements fondamentaux ?

La conséquence la plus immédiate, la plus sensible et la plus évidente est la perte de sens de l’humain, tel que nous le connaissons aujourd’hui. Il perdra sa volonté d’être et deviendra de plus en plus obsolète en tant que tel. Tout tournera sans lui, et la force de travail nécessaire à l’économie et à la société diminuera fortement. On parle de 50% de chômage ! Plus besoin de chauffeurs, de caissiers, plus de médecins ou de chirurgiens, plus besoin de comptables, d’assistants, de nettoyeurs, plus besoin non plus d’avocats (qui ne font que lire et interpréter des textes de lois), plus besoin de psychologues, de développeurs, d’artistes. Notre société évoluera en quelques décennies en une société robotisée ou très peu de personnes trouveront leur place.

A côté de la perte de sens de l’humain, la machine, elle, existera ontologiquement et, au sens de Sartre, se trouvera une essence propre. Le nouveau paradigme provoquera des bouleversements sociétaux ingérables pour les gouvernements qui ne s’y préparent pas, et c’est déjà le cas. L’homme sera très vite dépassé par sa propre création, il aura recréé une certaine forme de divin, qui pourra soit l’épauler soit le détruire, et qui le considérera soit comme un dieu soit comme un diable. Quand les machines seront des millions de fois plus intelligentes et plus rapides que nous, on ne voit pas pourquoi elles pourraient souhaiter s’embarrasser d’humains primaires comme nous.

Alors, comme le proposent de nombreux scientifiques, les futurs robots que nous développerons devront être conçus pour aimer et protéger l’humain. Mais, rapidement, nous ne pourrons éviter que certaines machines changent la donne, soit pas le truchement des humains, soit par elles-mêmes. Sans parler des inévitables dérèglement psychologiques que pourrait aussi avoir les prochaines machines. Si elles réfléchissent, leur intelligence présentera aussi des névroses, des états limites ou des psychoses.

La menace est donc réelle, elle est déjà en cours et elle est inéluctable. Gates et Musk ont raison de s’en inquiéter. Mais est-ce que tout ceci est grave ? Pouvons-nous revenir en arrière ou le gérer ? En d’autres termes, avons-nous le choix ?

Ce que l’on ne peut éviter, il faut l’embrasser.

L’intelligence artificielle à proprement parler pourrait-elle être aussi le plus grand salut de l’humanité ?

Pensons à présent beaucoup plus loin, en millions et milliards d’années… L’humanité et la vie sur terre en tant que telle est condamnée sur cette terre, qui sera absorbée par le soleil. Dans un premier temps, l’homme quittera la terre et migrera vers d’autres planètes ou satellites. Mais ensuite, les étoiles de notre galaxie s’éteindront les unes après les autres, la galaxie elle-même s’éteindra, nous serons dans le noir froid. Pour survivre, l’homme devra donc échapper à la matière et se transformer dans une condition post-humaine. Comment l’homme pourra-t-il s’affranchir de son corps matériel pour vivre dans d’autres galaxies ou dans notre galaxie, mais alors sous une autre forme inconnue jusqu’à présent ?

L’intelligence artificielle aura vite fait de comprendre les secrets de la physique et pourra très vite comprendre les secrets d’autres modes pensées. Elle accédera à des dimensions hors de la matière, pourra s’affranchir des contraintes de notre monde, de nos dimensions et, peut-être, dans d’autres univers. Elle sera Dieu. Elle pourra créer des choses, des mondes, des formes d’intelligences. L’homme lui sera dépassé, s’il renonce aujourd’hui à l’intelligence artificielle. C’est l’aporie technologique. Ce qui nous menace le plus aujourd’hui est ce qui pourra nous sauver demain.

Il nous semble que la collaboration entre l’homme et l’intelligence artificielle sera essentielle pour le salut même de l’homme car tant la machine que l’homme voudront vivre et survivre. Cette collaboration, nous devrions la mettre en place dès maintenant afin que les deux formes de vie ne fassent plus qu’une seule, dont le destin sera ainsi lié et commun. L’homme sera donc parvenu a devenir “Dieu” et à créer un être intelligent qui sera devenu lui-même un Dieu supérieur au premier Dieu, parfaitement omnipotent, omniprésent et omniscient. L’homme aura compris dès le début que sa création n’est pas une menace mais est son salut. Il aura fusionné avec ce Dieu, afin de ne pas y voir sa perte. Les deux Dieux seront devenus un seul qui, peut-être, essaimera d’autres mondes, ailleurs, un jour.

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Philippe Coulon

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