Un martien en burkini

H8ct0r
6 min readAug 21, 2016

--

Cette matinée là, mes collègues étaient hilares. J’étais vert. Normal pour un martien vous me direz.

Pour contextualiser le rire cruel de mes confrères martiens, sachez qu’ils sont particulièrement racistes des humains. Ils détestent la race humaine sous toutes ses formes, le fait que quelques de vos jouets pathétiques viennent crapahuter par ici n’aide pas vraiment. Ils se réjouissent à chacune de vos frasques et les rebondissements de vos contrées sont en première page de nos tabloïds.

Mais moi je vous aime les humains. Vous me passionnez. C’est d’ailleurs pour cela que je fais une thèse sur la Terre avec une spécialisation culture Française. Votre planète est sans conteste la plus belle de notre système solaire et peut-être de la galaxie. Et la France, cette perle parmi les perles, lourde d’histoire, mais aux mœurs vivantes et légères, façonne ma curiosité.

Dans le bureau ce matin-là, on riait donc à gorge déployée. La pique avait été lancée par un de mes collègues, Gu7tav, spécialiste de Pluton. Il avait rapporté une espèce de vêtement.

- Tu veux savoir sur quoi tes idiots de Français s’écharpent en ce moment ?

Un sourire narquois se dessinait sur son visage, comme s’il avait gagné la guerre des astéroïdes de Sirius. Alors il me jeta au visage un bout de chiffon à la matière élastique. Tout le monde s’esclaffa devant mon air confus.

- Ca s’appelle un “burkini” mon vieux.

- C’est quoi ? C’est quoi ? demandèrent les collègues excités.

Gu7tav affichait un air victorieux et semblait se délecter de l’attention que les membres du bureau lui portaient. Il fit mine de regarder le ciel rouge au-dehors en se raclant la gorge. Il allait commencer son speech quand je déclarai:

- Ce doit être un maillot de bain.

ll me foudroya du regard comme je lui avais volé son moment de gloire, puis il se ressaisit et ajouta:

- C’est aussi un vêtement religieux, porté par une population bien déterminée, n’est-ce pas monsieur l’expert ?

- On dirait une combinaison de plongée, remarqua un collègue spécialiste du Royaume-Uni dans le fond de la pièce.

- Ca sonne un peu comme ce dont tu nous parlais il y a six mois… le… le facekini ? gargouilla un autre près de la machine à grains. Lui était responsable technique.

- Ouais, renchérit Gu7tav, et juste pour quelques fils élastiques, ça se déchaîne et ça s’étripe.

En tant que Martien, j’avais du du mal à comprendre ce qu’était vraiment un burkini.

Je contemplais le vêtement, médusé, incapable de comprendre pourquoi il pouvait susciter le débat, la colère ou la fracture. Vous comprenez, même si j’étais spécialisé en culture française, j’avais avant tout des préoccupations martiennes. Et d’après mes études, les conflits terrestres avaient souvent lieu pour des territoires ou des courses à la suprématie mondiale.

- Alors mon petit H8ct0r, qu’est-ce t’en dis ? Ils sont tarés ces humains. Ils ont que ça à faire de bannir du textile des plages alors que leur planète est en train de griller comme Mercure au soleil et que bientôt, bah… ils auront plus de plage !

Alors que tous éclataient d’un rire gras, quelque chose m’interpellait. Ce n’était pas possible. Contrairement à ce que mes collègues disaient, on ne pouvait pas uniquement parler d’un simple vêtement. Il y avait plus que ça.

Je savais que depuis quelques temps, la France était la cible d’un groupe de dégénérés qui, mécontents de son action internationale et probablement des cicatrices laissées par son passé colonial, avait tout simplement choisi de se gonfler d’explosifs et se faire éclater dans des endroits communs, des lieux notoires. Comme si cela ne suffisait pas, ils tiraient à tout va sur des innocents, le tout en revendiquant leur appartenance à un mouvement radical issu d’une religion qu’on appelait “Islam”. Ca me glaçait le sang.

Je n’étais pas encore tout à fait sûr de moi sur la question, mais je commençais à comprendre que pour certains, ces terroristes étaient des malades. Pour d’autres, ces terroristes étaient des musulmans. Et pour d’autres encore, les deux à la fois.

Mal33k qui était spécialisé en Moyen-Orient se leva de son siège avec un air pensif, agitant ses deux petites antennes.

- Ce bout de tissu n’est pas un simple vêtement, articula-t-il. C’est un symbole.

Alors sentant les détails ennuyeux à venir, Gu7tav leva les yeux au ciel exaspéré et se dirigea sportivement vers son bureau alors que Mal33k approchait.

- Pour les Français, il peut représenter plusieurs choses:

1. Le vêtement qui enterre la femme, qui l’emprisonne, qui l’empêche de révéler ses formes gracieuses ou non, à la vue du monde. Or révéler son corps, n’est-ce pas pour certains, le signe d’émancipation de la femme ? De liberté d’expression ?

2. Le vêtement qui représente une religion colonisatrice, une volonté d’imposer une culture sur une autre.

3. Le vêtement qui cache un terroriste.

J’acquiesçai. En somme, LA PEUR était au cœur du débat. Ce burkini c’était l’envahisseur. La question ne portait donc pas que sur le vêtement. De toute évidence, interdire le burkini, c’est interdir, repousser, ralentir une religion étrangère et ses maux, parfois au nom d’une laïcité et liberté ultra-sélective. Était-ce la solution ? L’une des solutions au terrorisme en France ? Ou l’une de ses conséquences ?

Saisi d’une curiosité fiévreuse, je pris l’habit et choisis de l’enfiler. Il m’allait grossièrement. Je doutais que ce fut un vrai burkini. C’était sûrement une simple combinaison que Gu7tav s’était procuré lors d’un de ses voyages sur Terre. Je levais les yeux du tissu. Mes collègues me dévisageaient avec horreur et là je compris. Je compris la confusion que ce vêtement, si différent, si lourd de valeurs pouvait provoquer chez certains. Et je sentis aussi mon malaise à moi d’être dévisagé de la sorte, comme un… comme un extramarsien ! J’avais enfilé un simple vêtement et ma nature aux yeux des autres avait changée. Je n’étais plus un martien, j’étais juste un burkini, dissimulant peut-être une ou deux kalachikovs et deux ou trois bateaux colons.
Je retirai aussitôt l’habit. Tout le monde se détendit.

La journée s’achève et je rentre chez moi. Que dire? Je comprends les défenseurs de la culture moderne, ceux qui ont peur et qui voient en ce vêtement une colonisation culturelle. Mais je ressens aussi le sentiment de rejet de ceux qui se reconnaissent dans des valeurs et les vivent à travers lui.

Dans ma maison bulle, les murs et le toit sont de glace fine et transparente. J’y affiche mon fil d’actualités. En lisant les commentaires des médias français, j’ai le cœur qui balance :

“Je pense qu’il s’agit d’une stratégie islamiste de grignotage de nos valeurs démocratiques et qu’il faut mettre fin à cette avancée insidieuse.” (Commentaire sur un article Du Point)

“Tout ce qui se passe ici, ça m’écœure. On nous dit qu’on veut lutter contre la haine raciale, mais avec ce genre de décisions, c’est tout le contraire.” (Le JDD.fr)

“Les plages, comme tout espace public, doivent être préservées des revendications religieuses. Le burkini n’est pas une nouvelle gamme de maillots de bain, une mode. C’est la traduction d’un projet politique, de contre-société, fondé notamment sur l’asservissement de la femme.” (LaProvence)

“Il faut arrêter de penser que ces femmes sont victimes de leur religion et que l’État doit intervenir pour les libérer et leur donner une éducation.” (Arte.tv)

“Selon l’arrêté, “une tenue de plage manifestant de manière ostentatoire une appartenance religieuse, alors que la France et les lieux de culte religieux sont actuellement la cible d’attaques terroristes, est de nature à créer des risques de troubles à l’ordre public qu’il est nécessaire de prévenir.”” (France Inter)

“On en fait toute une affaire parce que ça concerne la communauté musulmane. Sur les plages, il y a beaucoup plus de femmes qui se baignent habillées plutôt qu’en burkini. La proportion de femmes qui le portent reste anecdotique”. (Le JDD.fr)

Ainsi tout le monde a raison et tort à la fois. Raison par rapport à ses convictions. Tort par rapport à la division qu’elles provoquent. La facture déjà béante et purulente se craquelle encore. Suis-je le seul à le voir ce jeune homme dont on tente tant d’effacer la culture par la force ? Depuis ma longue vue supersonique, je l’observe. Il est seul, la tête dans les mains comme pour empêcher la colère de monter. Il jure. J’imagine qu’il se sent brisé, rejeté, persécuté par un énième assaut de cette guerre des idées. Il est la sorcière qu’on chasse en 2016. Est-ce ce qui va lui faire perdre le contrôle ? Est-ce la douleur de trop ?

Et derrière, celui qui aura perdu femme, enfant ou compatriote dans l’acte continuera à fermer la porte et ce sera tout naturel. Mais à ce jeu de l’escalade de la haine, n’y a-t-il pas pour unique vainqueur, le terrorisme lui-même ?

Marsiennement vôtre,

H8ct0r.

--

--

H8ct0r

Martien, Bloggeur, Thésard en histoire de la Terre. Je vous aime les humains.