Une primaire à gauche, pour faire quoi ?

Bassem Asseh
5 min readJan 15, 2016

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Libération, 11 janvier 2016

L’actualité politique française de cette semaine concerne au premier chef ma famille politique. Des intellectuels et des militants politiques ont lancé une pétition appelant à une primaire citoyenne en 2016 pour choisir le candidat de la gauche à la présidentielle de 2017. Libération en a fait sa une du 11 janvier, montrant pour la première fois une défiance réelle vis-à-vis du président de la République, traditionnellement seul candidat naturel à sa propre succession.

Primaire ou pas primaire ?

Les principaux partis concernés ne semblent pas vraiment partants. Candidat relativement naturel du Front de Gauche, J-L Mélenchon a dit ne pas vouloir être le concurrent de François Hollande dans une telle primaire. Il préfère laisser s’exprimer la volonté populaire au premier tour de la présidentielle de 2017. Julien Bayou — porte-parole de ce qui reste d’Europe-Ecologie Les Verts — explique d’ores et déjà que son mouvement ne pourra suivre le vainqueur d’un tel processus si son programme ne correspond pas aux principes d’EELV.

Le FDG et EELV sont à la gauche de l’échiquier, avec le Parti socialiste, les principales machines politiques capables de faire émerger des idées à peu près audibles et des personnalités de stature nationale pour promouvoir lesdites idées. On voit déjà que les deux premiers ne sont a priori pas acquis à la cause défendue par Thomas Piketty, Daniel Cohn-Bendit et leurs acolytes.

Le Parti socialiste est quant à lui, et comme à son habitude depuis deux ans, clairement divisé. D’une part ceux qui, par fidélité au président de la République, rejettent l’idée d’une mise en concurrence de celui qu’ils considèrent comme leur candidat naturel. D’autre part, ceux qui dans le prolongement de leur ligne opposée à la politique de François Hollande, sont favorables à une primaire qui leur permettrait de lancer leur chef de file.

Une primaire pour faire quoi ?

L’idée d’une primaire est en soi extrêmement intéressante. Le paysage politique national présente des partis où les militants sont de moins en moins nombreux et probablement de moins en moins divers dans leurs parcours. Dans un tel cadre, laisser le choix des candidats de premier rang aux seuls militants ressemble à s’y méprendre à une erreur, car de fait lesdits candidats seront relativement séparés du reste du corps électoral. Ainsi la primaire ouverte permet d’élargir l’ “assiette” si je puis m’exprimer ainsi. En principe, un tel élargissement incite les candidats à tenir le discours le plus proche possible de celui qu’ils auront en campagne électorale en dehors des murs de leurs partis. Et c’est aussi l’occasion pour les partis, donc les militants, d’aller au contact des sympathisants ce qui est une absolue nécessité pour “garder un pied dans la vraie vie” et limiter l’entre-soi des partis politiques.

Mais si cette primaire est rejetée par les principaux acteurs du paysage politique de la gauche alors à quoi servirait-elle ? Si le candidat du FDG n’y participe pas ; si le candidat d’EELV y participe en prévenant qu’il ne jouera pas le jeu si le résultat ne lui convient pas ; et enfin, si le candidat le plus à même de l’emporter, celui du Parti socialiste, n’est pas partant ; alors on voit mal l’intérêt d’une telle compétition. Elle permettrait certainement à un candidat de l’aile gauche du parti socialiste d’émerger sans pour autant être sûr de l’emporter, loin de là. Mais est-ce une raison suffisante ? Je ne le pense pas. Qu’aura-t-on alors fait en lançant une telle procédure ? A part mettre en scène le déchirement de la gauche pour la énième fois ? Rien.

Que faire ?

Tendances vote 1er tour, Wikipedia

La gauche réunie derrière un seul candidat à la présidentielle dès le premier tour n’a jamais existé depuis 1965. Espérer une telle union en 2017 dans l’état de désunion avancée où elle se trouve à la veille de 2017 est une rêverie inutile. Alors que faire ?

Les insitutions de la Vè République et en particulier le mode de scrutin des législatives ne permettent pas un renouvellement radical du paysage politique. On peut rêver d’innovation politique façon Podemos, mais le fantasme se fracasse, malheureusement, face à deux réalités :

  • Le mode de scrutin français ne permet pas l’apparition d’une nouvelle force politique à l’échelle nationale. L’exemple du Front national est typique : combien d’années et de conjonctures favorables avant d’être en état de concurrencer réellement les deux grands partis de gouvernement ?
  • Est-on sûr qu’un Podemos, une fois au pouvoir, aura une politique économique radicalement différente de celle que pratique le reste de la social-démocratie européenne ? Pas si sûr !

Les institutions de la Vè République font du président sortant un homme politique à part. On évoque souvent la monarchie républicaine de la Vè République. C’est ce que nous expérimentons en ce moment comme jamais depuis François Mitterrand. On peut le regretter, mais c’est un fait et on ne peut que faire avec jusqu’à une refonte complète du système politique français.

A partir de là, la grande question pour les militants et les dirigeants du parti socialiste, et plus largement de la gauche, est donc de savoir ce qu’ils veulent

  • Est-il préférable de suivre François Hollande sans aucune critique sur son quinquennat dans l’espoir de maximiser ses chances de gagner la présidentielle et ensuite les législatives de 2017 ?
  • Est-il possible de suivre François Hollande en s’appuyant sur une critique constructive de son quinquennat de manière à modifier la ligne idéologique d’un hypothétique deuxième quinquennat ?
  • Faut-il partir en vacances jusqu’en juin 2017, attendre que François Hollande perde et ensuite, durant cinq ans — dix ans peut-être — reconstruire la gauche en se servant des erreurs du passé jusque et y compris le mythe fondateur d’Epinay qui annonçait 1981, mais aussi 1983 ?
  • Faut-il se préparer, que l’on soit pour ou contre, à une alliance centriste dont rêvent les “réformateurs” du PS que justifierait une victoire de François Hollande — ou d’Alain Juppé — face à Marine Le Pen et qui pourtant donnerait raison, encore une fois gratuitement, à la chef de file des nationalistes ?

Rien de très séduisant dans toutes ces hypothèses. On aurait tous préféré une fin de quinquennat qui ouvre des perspectives radicalement différentes… Il n’en reste pas moins qu’elles sont toutes bien plus probables que la tenue d’une primaire digne de ce nom, c’est-à-dire avec autant de succès que celle de 2011 ! Les prochains mois serviront à construire les réponses à ces différentes hypothèses si on veut sérieusement envisager la décennie qui s’ouvrira en 2017.

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Bassem Asseh

Blogueur. Dans le numérique depuis près de 20 ans. Elu local depuis trois ans et demi.