France Télévisions, l’histoire graphique d’une marque

Valentin Socha
francetelevisions-design
11 min readFeb 2, 2018

La veille du réhabillage global de nos antennes, Valentin Socha a réalisé un excellent thread sur twitter. Notre ambition étant de partager les meilleures initiatives autour du design et de la marque france télévisions, il nous semblait indispensable de l’inviter à publier sur notre blog. Merci à Valentin et à tous les passionnés qui nourrissent le nodal pour faire rayonner les identités et le savoir-faire des acteurs de l’audiovisuel français.

— Eric Vermande, DA direction du numérique

Le thread publié par Valentin le 28 janvier 2018

Nouveaux logos, nouveaux habillages pour ses antennes : depuis lundi dernier, France Télévisions présente un nouveau visage. Un changement majeur pour un groupe qui, depuis sa naissance en 1992, cultive avec un soin tout particulier son image de marque. Nous allons retracer l’histoire de l’identité visuelle de France Télévisions, une histoire qui raconte en creux les transformations du paysage audiovisuel et l’évolution des technologies et des usages au cours de ces vingt dernières années.

Notre histoire débute dans les années 80, au moment où le paysage audiovisuel français s’ouvre au privé : Canal+ naît en novembre 1984, puis vient La Cinq en février 1986, M6 en mars 1987 et enfin TF1, privatisée dans la foulée. Cette concurrence nouvelle plonge le service public, Antenne 2 et FR3, dans la tourmente : audiences en berne, disparités salariales et un déficit qui ne cesse de se creuser…

On dit souvent que l’union fait la force. Alors, pour faire face aux difficultés, le gouvernement décide de rapprocher les deux chaînes en les dotant d’un président commun en août 1989. Las, les chaînes publiques ne cessent de s’enfoncer dans la crise : le président d’Antenne 2 et FR3, Philippe Guilhaume, démissionne en décembre 1990. Hervé Bourges lui succède, avec la difficile mission de redresser un service public à la dérive.

L’ambition d’Hervé Bourges ? Redonner de la visibilité au service public en France et à l’international, rapprocher et remobiliser les personnels, réaffirmer la force et les valeurs du service public. On le comprend, il s’agit donc avant tout d’une question d’image pour le service public. Du passé, faisons table rase : les chaînes publiques doivent se réinventer. Antenne 2 et FR3 se cherchent alors une nouvelle identité.

1992 : la naissance d’un groupe

Le 7 septembre 1992 marque la renaissance du service public : Antenne 2 et FR3 s’effacent pour laisser place à France Télévision.

Logotype de France Télévision de 1992 à 2002

Après appel d’offre, la conception de la première identité visuelle du groupe est confiée à l’agence Gédéon. Elle va imaginer les logos, le système graphique ainsi que l’habillage des chaînes.

Il faut rappeler ici que la notion de service public est très ancrée dans la culture française depuis fort longtemps et les Français y sont particulièrement attachés — on entend souvent parler des « valeurs » ou de « l’exigence » du service public. À l’époque, France Télévisions s’inscrit dans cette longue et prestigieuse tradition de service public mais elle doit aussi s’affirmer comme une entreprise moderne, en phase avec son époque, prête à rivaliser avec la concurrence. Ce grand écart va trouver une traduction absolument brillante dans le système graphique grâce à l’alliance extrêmement efficace de deux caractères typographiques que tout oppose : le Garamond et le Franklin Gothic.

Autre difficulté, et pas des moindres : il faut montrer que les chaînes forment un groupe, qu’elle font partie de la famille France Télévision… sans toutefois les confondre, chaque chaîne ayant sa propre ligne éditoriale et donc une identité spécifique. Or, entre membres d’une même famille, on se ressemble sans pour autant être identiques. En somme, on partage des traits communs : cette idée est à la base du système identitaire et graphique de France Télévision.

Prenons les logos des chaînes. Ils sont différents, mais partagent une construction rigoureusement similaire : le mot « France » inscrit dans un rectangle, qui sert de base aux chiffres 2 et 3.

Construction des logotypes de France 2 et France 3 de 1992 (reroduction)

L’habillage, à présent. Pour cette partie, Gédéon va trouver un principe graphique simple mais d’une grande efficacité : la partition de l’écran. Concrètement, l’écran est partagé en deux parties verticales sur France 2 et en trois parties horizontales sur France 3. Les génériques, bandes-annonces, jingles pub seront soigneusement déclinés en suivant ce principe.

Habillage de France 2 et France 3 en 1992 (reproduction)

On retrouve donc d’une chaîne à l’autre ce principe de découpage de l’écran, le blanc, les typographies… Pour autant, chaque chaîne parvient à affirmer son propre caractère.

Notez le splendide travail sur la typographie, en particulier pour France 2. En effet, Gédéon souhaitait aussi transposer certains codes de la presse à l’écran de télévision — ces deux moitiés d’image ne sont pas sans faire penser à une double-page de magazine, du reste. Le résultat : un habillage extrêmement vivant et créatif, en dépit d’une structure assez contraignante — rien d’évident en effet à travailler avec des moitiés ou des tiers d’image.

Le temps passant, les habillages des chaînes évoluent et se singularisent… mais le principe de la partition, lui, demeure pendant dix ans à l’antenne. Une preuve certaine de la force de ce principe graphique !

Évolution de l’habillage de France 2 et France 3 entre 1995 et 2002 (reproduction)

Une autre manière de faire identité à l’échelle du groupe est de s’appuyer sur la diffusion de programmes communs : rien de mieux en effet que d’affirmer l’union du groupe quand ses deux chaînes se coordonnent pour la retransmission d’un évènement. Ce sera le cas pour les programmes sportifs de France Télévision, réunis dès 1992 sous une marque commune : Sport 2/3. Elle apparaît au début des génériques et pendant le direct.

Logo Sport 2/3 (1992) et application de la marque à l’antenne

Il faut noter que le sport a toujours été un liant très fort entre les antennes du groupe. L’idée d’un habillage commun pour les retransmissions sportives n’a jamais été abandonnée depuis.

Mais en août 2000, La Cinquième (la chaîne de la culture et de la connaissance lancée en 1994) intègre le groupe France Télévision. Or, on l’a vu, toute l’identité visuelle de 1992 repose sur deux chaînes seulement : l’arrivée d’une nouvelle chaîne rend donc le principe de cette identité caduque.

Par ailleurs, le groupe veut anticiper ses développements futurs. Il le sait, son offre est appelée à s’élargir : l’arrivée de la télévision numérique (2005) lui apportera d’autres chaînes. Du reste, le web se développe et lui apportera certainement bien des opportunités aussi.

2002 : l’avènement d’une offre plurielle

Le groupe doit donc se doter d’une nouvelle identité visuelle. Un nouvel appel d’offre est lancé et, comme en 1992, c’est la proposition de Gédéon qui est finalement choisie.

L’approche est cette fois bien différente : ce ne sont plus les chaînes qui font l’identité du groupe, mais un groupe qui propose une offre plurielle de chaînes, une offre en pleine expansion qui plus est. L’agence se met donc en quête d’un signe graphique qui puisse représenter le groupe dans son ensemble. Gordon planche avec Clément Vauchez sur cette nouvelle identité. L’idée du nouveau logo tient quasiment de la découverte. Il raconte cette anecdote :

« Nous étions fascinés par le logo de la BBC, en Angleterre, qui est composé de trois carrés. Je les avais reproduits sur mon ordinateur et il se trouve qu’à cette époque, sur Illustrator, on trouvait de nouveaux outils pour mettre des formes en trois dimensions. Alors, j’ai commencé à faire pivoter, progressivement, ces trois carrés. Et Clément a eu l’idée géniale de rajouter un quatrième écran, dans l’autre sens, qui terminait le mouvement »

Une anecdote qui a le mérite de rappeler que la recherche créative est un processus complexe et incertain : même si rien n’est dû au hasard, la bonne idée arrive parfois de manière totalement inattendue !

Et c’est ainsi que naquit le logo de France Télévisions : quatre écrans en perspective et en mouvement. Le logo ne fait plus apparaître les chaînes du groupe, mais symbolise une offre plurielle.

Logotype de France Télévisions de 2002 à 2008

Et puis cette identité est évolutive : les écrans peuvent être déclinés autant que nécessaire pour former les logos des chaînes : c’est la naissance des fameux « trapèzes ».

Logotypes des chaînes de France Télévisions jusqu’en 2008

Une nouvelle typographie est également définie pour tout le groupe : l’Heldustry. Comme son nom l’indique, elle reprend le dessin de l’Helvetica avec des arrondis moins prononcés, un aspect plus industriel.

Du côté de l’antenne, on s’émancipe : fini le système commun, place à un habillage spécifique par canal… Pour autant, certains éléments demeurent communs à toutes les chaînes pour conserver un esprit de groupe. C’est le cas de ces courts jingles précédant un sponsor ou un programme : ces micro-éléments sont diffusés des dizaines de fois par jour, suffisamment pour créer une forme de continuité entre les chaînes.

Jingles sponsor et programmes à partir de 2002

Mais le paysage audiovisuel évolue et la concurrence se fait de plus en plus rude. L’arrivée de la télévision numérique en 2005 est un bouleversement : le téléspectateur avait le choix entre six chaînes, il peut maintenant en regarder… dix-sept ! Dans ce contexte, il devient difficile pour les chaînes historiques d’exister au milieu d’une offre audiovisuelle devenue pléthorique.

Les chaînes publiques doivent réagir. Le groupe a alors un objectif en vue : réaffirmer sa puissance et sa place dans le paysage audiovisuel.

2008 : l’union d’un groupe

France Télévisions a donc besoin de réaffirmer son identité et, cette fois encore, c’est l’agence Gédéon qui est à la manœuvre. En avril 2008, le logo du groupe connaît une légère évolution : un cinquième trapèze est ajouté, tandis que l’ensemble gagne en couleur et en relief.

Logotype de France Télévisions de 2008 à 2011

Ce changement de logo fut d’abord voulu par le président de l’époque, Patrick de Carolis : une façon pour lui de poser son empreinte sur l’identité visuelle du groupe, un geste assez politique. Notez d’ailleurs que chaque trapèze correspond à une chaîne du groupe : elles apparaissent dans le logo du groupe, comme en 1992.

Mais c’est à l’antenne que les changements sont les plus visibles : l’identité du groupe, plutôt en retrait jusque là, est réaffirmée avec force. Un concept clé est retenu : le groupe ouvre sur ses chaînes. Cette idée va trouver une traduction visuelle quasi littérale dans cette petite animation que l’on retrouve désormais dans tout l’habillage : la « tournette ».

Comme on peut le voir, le logo du groupe apparaît en premier. Puis, il pivote pour « amener » le logo de la chaîne : le groupe d’abord, les chaînes ensuite.

Les chaînes sont mises au pas : sur toutes les antennes, dans tous les éléments de l’habillage, le logo de la chaîne est strictement positionné au centre. Un tel niveau de cohérence est inédit sur les chaînes publiques.

Jingles pub et jingles sponsor à partir de 2008

Mais d’autres chantiers se dessinent déjà, car nous délaissons de plus en plus nos écrans de télévision pour ceux de nos smartphones ; s’informer ou se divertir se fait via les réseaux sociaux ou les plateformes vidéo. Le groupe est à un tournant de son histoire : il devient urgent pour lui de développer son offre numérique. Bien évidemment, ce changement de stratégie ne sera pas sans incidence sur l’identité de marque du groupe.

2011 : le virage numérique

Nous arrivons au début des années 2010. Le groupe est dans une phase de développement intense : il lance un portail d’information en ligne, déploie une refonte de sa plateforme de VOD (Pluzz) et renforce son offre numérique sur le sport.

Si le cœur de métier de France Télévisions reste l’audiovisuel, c’est un changement fondamental de logique qui s’opère. Auparavant, France Télévisions se présentait comme un groupe composé de plusieurs chaînes de télévision proposant une assortiment de contenus. Désormais, c’est le groupe lui-même qui propose ces contenus, réunis en offres thématiques (information, sport…).

Ainsi naissent les marques francetvpluzz, francetvinfo et francetvsport. Notez que, très symboliquement, le mot « télévision » n’apparaît plus en entier, contracté en deux lettres.

Sytème de marque de France Télévisions à partir de 2011 (reproduction)

Du reste, le public n’est plus seulement devant sa télévision : il est aussi sur son smartphone, devant son ordinateur… Pour être reconnues, les marques doivent devenir transversales et s’installer sur tous les écrans. Ainsi, l’habillage des retransmissions sportives arbore lui aussi le logo francetvsport ; quant à la marque francetvinfo, elle est fréquemment mentionnée dans les journaux.

Générique des JO de Rio (2016) et générique de fin du 20h de France 2 (2014)

Cette logique de contenu va prendre de plus en plus d’importance. C’est un fait, on regarde de moins en moins une chaîne de télévision dans sa continuité : on préfère regarder ses programmes préférés à la carte. Une évolution des usages qui conduit le groupe à lancer, en mai 2017, une plateforme unique qui rassemble tous les contenus du groupe. Et très symboliquement, c’est cette plateforme qui amorce un nouveau changement d’identité visuelle pour France Télévisions.

2017 : une identité pour le futur

Le groupe, entouré des agences Joosnabhan et Movement, entame alors la mue de son identité de marque. Et ainsi, en mai 2017, la marque france·tv fait pour la première fois son apparition.

Logo de France Télévision à partir de 2018

Un point sépare maintenant les mots « france » et « tv » : il joue un rôle central dans la nouvelle identité de marque de France Télévisions puisqu’il fait la liaison entre les différentes entités du groupe.

Sytème de marque de France Télévisions à partir de 2018 (reproduction)

Depuis 1992, l’identité de France Télévisions s’est construite avant tout sur la logique d’un groupe de chaîne. Mais cela ne peut plus suffire : elle maintenant doit pouvoir s’adapter sur tous les écrans.

Et le contraste avec les identités précédentes est saisissant : les logos ne sont plus des entités figées mais peuvent être modulés autant que nécessaire, au gré des utilisations et des supports. Cette fluidité se retrouve dans l’habillage antenne des chaînes : le point est en mouvement, il se contracte, change de couleur, amène des éléments à l’image…

Présentation de l’identité visuelle de France Télévisions (2018)

Un système identitaire dynamique, modulaire, capable de se transformer en fonction de son support… Ce rebranding ouvre quelques pistes de réflexion intéressantes sur les enjeux d’une identité visuelle à l’heure du numérique. 26 ans après, l’histoire est toujours en marche.

Si vous souhaitez en savoir sur la première identité de France Télévision, je vous renvoie vers cet article du site lenodal.com (2012).

Et je ne peux que vous recommander vivement la lecture de « France Télévisions, histoire d’habillage » (2012), le mémoire de Julien Baldacchino. Un ouvrage absolument passionnant qui retrace l’histoire visuelle du groupe, avec les témoignages des acteurs de l’époque. Il m’a particulièrement aidé pour l’écriture de cet article.

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Valentin Socha
francetelevisions-design

Designer graphique. Publicateur et rédacteur sur Lenodal.