Free ftopia — une voie vers la décentralisation

PhilH
free ftopia
Published in
8 min readMar 10, 2016

Version en anglais

TL;DR: Nous nous préparons à transformer une startup SaaS en communauté ouverte et décentralisée. Et nous avons besoin de vous.

Je suis entrepreneur. Il y a sept ans, j’ai créé une startup appelée ftopia.

Notre but était d’aider les organisations à partager des documents avec leurs clients et leurs partenaires. Box était alors positionné sur le marché grand-public, ainsi que l’étoile montante de l’époque, Dropbox.

Il y avait déjà de nombreux acteurs sur ce marché, et encore davantage s’y sont essayé depuis. Après tout, partager l’information est la vocation d’internet. Toutes les organisations en ont besoin, et il y a toujours un marché pour des solutions plus simples, plus sécurisées, plus faciles à utiliser, ou mieux adaptées à des secteurs spécifiques.

Et donc, alors même que l’océan dans lequel nous prenions notre bain virait rapidement au rouge, je n’étais pas inquiet. Lorsqu’une startup répond à des besoins très généraux, il y a toujours des moyens de se différencier et de trouver son marché, via l’innovation produit, le service client ou une approche marketing originale.

Et de toute façon, je n’avais pas pour but de conquérir l’univers. :)

La croissance destructrice

Après avoir co-fondé et dirigé un startup financée par des VCs pendant 5 ans, j’avais mon lot d’ambitions démesurées. Parmi les entrepreneurs en herbe, une levée de fonds est considérée comme un accomplissement, une marque de succès. Lorsqu’on “bootstrap” pendant des mois ou même des années, parvenir à signer un financement de plusieurs millions d’euros est enivrant, effectivement. Il est tentant de se réjouir du statut social que cet événement confère, dans notre petite communauté. Et avec l’argent vient également une forme d’hubris, un sentiment d’urgence à viser plus haut, penser plus grand, grandir plus vite. Encore et encore.

Cette démesure conduit souvent l’entreprise à se crasher violemment. De façon insidieuse, elle peut nous rendre indifférents aux valeurs qui ont conduit nos pas sur la voie de l’entrepreneuriat.

J’ai appris cela à la dure, en ayant développé ma startup précédente pendant 5 ans, et en contemplant sa valeur détruite en quelques semaines, dans une explosion de cupidité, de défiance et de colère.

Lorsque j’ai créé ftopia en 2009, j’étais bien décidé à faire les choses de façon différente. Très inspiré par David Heinemeier Hansson, et notamment son intervention à la Startup School 2008, j’ai choisi de construire un service que de nombreux clients accepteraient de payer, et d’utiliser le produit des abonnements pour financer notre croissance, plutôt que de la faire dépendre du capital risque.

J’ai aussi cherché à travailler avec et pour des personnes d’origines différentes, d’autres cultures, de pays divers. Le service est utilisé aujourd’hui par des milliers d’utilisateurs professionnels dans 60 pays. Ftopia était international dès sa création.

L’équipe l’a été tout autant. J’ai eu la chance de collaborer avec des développeurs et designers talentueux, qui ont contribué au projet pour quelques semaines, quelques mois, ou plusieurs années. A un certain point l’année dernière, 15 personnes travaillaient sur le produit, depuis 6 pays différents.

Nous avons employé très tôt des outils de collaboration et des méthodes agiles afin de parvenir à être efficace tout en étant distants géographiquement les uns des autres. Cela a bien fonctionné pour nous. Co-créer et délivrer une offre SaaS au sein d’une équipe distribuée a été l’une des expériences les plus captivantes de ma vie professionnelle. Ensemble, nous avons prouvé notre capacité à développer et opérer un service loué par nos clients, pour son utilisabilité, sa sécurité et son design.

Mais ftopia se heurte aujourd’hui à certaines limites. Dans sa forme présente, et dans le contexte concurrentiel actuel, sa croissance est difficile. Notre tentative de partenariat stratégique avec une organisation plus grande, Cloudwatt, n’a pas donné les fruits escomptés. Nous avons également tenté de trouver un partenariat industriel susceptible de financer notre croissance, sans résultat à ce jour.

Nous pourrions continuer à opérer le service, sans investir davantage, afin de couvrir les coûts d’opérations (infrastructure, maintenance, frais financiers). Ce serait une fin de partie un peu frustrante. En tant qu’équipe, nous avons exploré de nouvelles façons de travailler ensemble. Nous avons partagé des expériences, de l’effort, de la connaissance. Pourquoi laisser un résultat financier décevant décider du sort d’une aventure collective toujours vivante et vibrante ?

En fait, pourquoi ne pas se réinventer en tant qu’organisation et changer les termes du retour sur investissement, de telle manière que des valeurs humanistes, rendues opérantes par de l’innovation sociale et technique, définissent le succès du projet ?

Réinventer une startup. De la propriété intellectuelle verrouillée à du logiciel libre. D’un modèle d’organisation centralisé et hiérarchique à une gouvernance ouverte où les contributeurs et les utilisateurs déterminent la nature et les moyens du projet. D’une entreprise centrée sur la maximisation du profit à une nouvelle forme de commun, détenue par toutes les parties prenantes.

Si nous réussissons dans cette entreprise, ftopia sera une entité totalement différente. Différente de ce qu’elle est aujourd’hui en tant que startup, et probablement différente de la plupart des organisations actuelles.

Rétribuer les créateurs des communs

Le chemin pour atteindre ce but est inconnu. Il y a certes de nombreux exemples d’entreprises ayant opéré une transformation radicale de leur organisation interne, en abolissant les organigrammes et en introduisant des méthodes d’auto-organisation telles que l’holacratie. Mais la plupart de ces organisations sont fermées. En faire partie signifient y être embauché — même si la procédure d’embauche est elle-même auto-gérée. C’est une différence essentielle entre une organisation, qu’elle soit publique ou privée, et les nouveaux types de communautés apparues avec le digital.

Dans le monde des plateformes telles qu’Uber, Facebook, Youtube ou Ebay, chacun est encouragé à participer à un réseau ouvert, en tant que contributeur, évaluateur, producteur. Plus le réseau s’étend, plus il est utile à chacun de ses membres. Puisque les actions de millions d’agents peuvent être automatiquement coordonnées via du logiciel, le coût de changement d’échelle est négligeable. D’où la croissance sidérante des géants du Web, parvenus à exercer une domination mondiale sur des secteurs d’industrie, nouveaux ou existants, en quelques années seulement.

Mais si les plateformes s’appuient sur des réseaux ouverts gigantesques pour se développer, les sociétés qui les ont créées sont petites, comparées aux firmes dominantes de l’ère pré-digitale. La valorisation boursière d’Amazon dépasse celle de Walmart, avec des effectifs 10 fois inférieurs — 155,000 employés vs. 2,2 million. Airbnb, avec 1400 collaborateurs, dispose de plus de 1 million de chambres aujourd’hui, plus que certaines chaines d’hôtels internationales comme le groupe Hilton group, qui compte… 110 fois plus d’employés !

Même si les gains de productivité se traduisent en partie par des prix plus bas pour les consommateurs, la préoccupation monte concernant l’accroissement des inégalités entre un petit nombre d’investisseurs, de fondateurs et de cadres d’un côté, et le reste de la société de l’autre. Les tenants d’une économie plus solidaire, tels que la P2P Foundation, soutiennent que la valeur économique produite par la multitude devrait revenir au réseau qui la coordonne, et ainsi créer un cercle vertueux de développement des communs, plutôt que d’être capturée par une partie tierce.

A la recherche d’une gouvernance ouverte

Mais comment un tel rééquilibrage pourrait-il advenir, alors que les règles de coordination du réseau sont définies par la firme qui le détient, afin de croître le plus vite possible, de constituer un monopole mondial et de maximiser le profit ? La concentration de la valeur économique s’accompagne de la centralisation du pouvoir à l’oeuvre dans le réseau, au travers de nouvelles formes de surveillance et de contrôle rendues possible par le logiciel.

Bien entendu, d’autres approches sont possibles. Les dirigeants de Kickstarter, la plus grande plate-forme de financement participatif au monde, ont ainsi considéré qu’avoir un impact positif sur la société était plus important que de délivrer toujours davantage de valeurs aux actionnaires ; joignant l’acte à la parole, ils ont transformé la forme sociale de l’entreprise en Public Benefit Corporation il y a quelques mois. Medium, la plateforme qui accueille ce texte, a fait le choix de supprimer le rôle même de manager et de décentraliser les décisions très tôt.

Même dans ces cas innovants, un hiatus demeure entre l’entreprise qui crée la plateforme et la communauté qui l’utilise. Le code du logiciel détermine la manière dont les participants interagissent les uns avec les autres. Quelle que soit la valeur produite par la communauté, celle-ci n’a pas d’influence directe sur les lois immanentes du réseau.

Toutefois, les choses changent, et les sources d’inspiration sont nombreuses :

  • les grands projets open source bien connus (Wikipedia, Linux, etc), qui ont posé les bases de la production par les pairs, stimulée par des motivations intrinsèques,
  • de nouveaux mouvements, comme le coopérativisme de plateformes, qui rassemblent chercheurs, entrepreneurs et activistes qui ont ensemencé depuis longtemps le champ de la décentralisation,
  • les protocoles de décentralisation basés sur la blockchain, tel celui de Backfeed, qui permettent de répartir valeur et influence sans passer par une autorité centrale.

Il est désormais possible de créer de nouvelles formes d’organisations, dont les caractéristiques sont d’être :

  • ouvertes à toute personne qui désire contribuer — , selon le principe d’équipotentialité du P2P,
  • équitable, c’est-à-dire redistributive de la valeur créée en proportion des apports de chaque contributeur,
  • méritocratique, en s’assurant que chacun a son mot à dire sur les décisions l’affectant, en proportion de l’expertise que lui reconnaissent ses pairs,
  • transparente, en s’appuyant sur la blockchain pour rendre accessible et pérenne tous les processus de décisions et de distribution de valeur.

Même si le chemin n’est pas tracé, nous sommes prêts à avancer dans l’inconnu, et à rejoindre l’avant-garde du mouvement !

L’une des devises de ftopia est “partager plus que des fichiers”. Nous ouvrons aujourd’hui ce magazine sur Medium afin de partager notre aventure de décentralisation. Nous y raconterons la transformation d’une startup en communauté, d’un produit en commun, les méthodes et les outils pour y parvenir, les succès et les échecs.

Et bien sûr… nous espérons de l’aide ! Chaque aspect de la structure, chaque étape de nos process devront être revisités. Nous avons besoin de financiers, de développeurs, de juristes, de communicants. Nous voulons nous connecter à d’autres organisations partageant les mêmes buts, avec des chercheurs dont les travaux nous éclaireront.

Si vous souhaitez prendre part à cette expérience, à quelque niveau que ce soit, envoyez un simple email à free@ftopia.com. Si vous voulez juste être informés, suivez-nous sur Medium. Participons ensemble à la création d’un monde de pairs, plus juste et plus libre.

Merci à Raphaël Arbuz, Jaime Arredondo, Boris Aubel, Ralph Boeije, Antoine Brachet, Jean-Baptiste Dezard, Matan Field, Primavera de Filippi, Duc Ha Duong, Jocelyn Ibarra, Neeraj Jain, Antonin Léonard, Vincent Lorphelin, Basile Michardière, Felippe Nardi, Etienne Segonzac, Tal Serphos, Patrick Stachtchenko, Martin Sterlicchi, Will Schiller, Emmanuelle Tran Ngoc Jardat et Saverio Trioni pour leurs encouragements, relectures et corrections.

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