Hello Tomorrow : l’IA partout, pour le pire ou pour le meilleur ? (Episode #5 — AI&Data)

Clovis Picard
Possible Future
Published in
7 min readNov 6, 2017

La semaine dernière avait lieu à Paris la 4ème édition de l’événement Hello Tomorrow, dédié aux innovations “deep tech”.

La particularité de cet événement : mettre en valeur, pendant 2 jours, les projets de ruptures, d’entrepreneuriat scientifique, qui pourront avoir un maximum d’impact sur l’industrie et sur la société. L’occasion pour quelques Frenchies d’explorer de plus près ces startups qui vont changer le monde !

Nous avons choisi de vous raconter, dans une série de publications, ce que French Bureau retient de l’événement, à travers les thématiques que nous avons préférées.

Le sujet de l’intelligence artificielle était omniprésent lors de la conférence. Et pour cause, les possibilités offertes par le développement de systèmes intelligents et auto-apprenants sont énormes, et l’on devrait les voir intégrer tous les pans de l’économie dans les mois et années à venir. Dans son speech inaugural, Mounir Mahjoubi, secrétaire d’état au numérique (et cofondateur de French Bureau), appelait la France et le monde à s’assurer que les innovations qui atteignent le marché soient porteuses de progrès social, de sens, bref soient inclusives et ne laissent personne de côté. Force est de constater que les conférences qui ont succédé ont abondé dans son sens, preuve, s’il le fallait, que l’opportunité est énorme, et les risques associés proportionnellement importants.

HAL 9000, l’intelligence artificielle du film de 1969 “2001 : l’odyssée de l’espace” reste une des citation préférée pour les spécialistes de l’intelligence artificielle

Ainsi, un des points d’orgues de la conférence était la table ronde “Technologies that change our lives: should they be celebrated or feared?”. Les intervenants, des spécialistes de l’IA issus du monde de l’entreprise ou du monde académique, ainsi que des acteurs politique, s’accordaient pour dire qu’il était urgent que les pouvoirs publiques prennent le sujet de l’IA à bras le corps. Dans un vibrant monologue, Laurent Alexandre, CEO de DNAVision, appelait les politiques à s’intéresser au sujet au plus vite, au risque de voir tout un pan de la population mise de côté par le bouleversement que représente l’explosion de l’IA.

Laurent Alexandre dans son style particulièrement distinctif

Avec l’apparition de briques intégrant des algorithmes d’intelligence artificielle partout dans nos vies, le monde va devenir de plus en plus complexe. Face à ce constat, le risque social est réel, d’autant que les populations qui sont aujourd’hui les plus aisées sont celles qui sont les mieux armées pour affronter cette complexité. A cette aune, l’IA apparaît donc comme une menace pour le renouvellement des élites et un catalyseur de la fracture sociale. En réponse à cette menace, Stuart Russel avançait que l’IA représentait également une opportunité considérable en permettant par exemple d’envisager une solution à même d’apporter une éducation personnalisée aux 2 milliards d’enfants sur la planète.

La table ronde “Technologies that change our lives” avec Laurent Alexandre, Steffi Friedrichs, Stuart Russel et Alexandre Cadin

Elad Benjamin, CEO de Zebra Medical Vision, présentait une solution qui répond à un problème similaire : comment apporter des diagnostiques médicaux à 4 milliards d’humain qui n’ont pas accès à la radiologie ? Il développe avec sa société une solution qui vise à produire des diagnostiques radiologiques automatisés, basé sur de la reconnaissance visuelle et un réseau de neurones.

En plus d’être un bon exemple de comment l’IA peut répondre à des enjeux très concrets, la démarche adoptée est également emblématique de comment se construit ce type de solutions :

  • Construire un premier modèle de reconnaissance avec un réseau de neurones ;
  • Développer un outil à destination des médecins pour faciliter le diagnostique ;
  • Utiliser cet outil pour collecter de la donnée, entraîner le modèle et évaluer ses performances.

Ce processus n’est pas nécessairement intuitif, puisqu’il vise à construire un logiciel qui n’est qu’un outil pour entraîner son modèle. C’est néanmoins la clé du succès puisque cela permet de se confronter directement à la réalité et d’obtenir rapidement des quantités importantes de données qualifiées.

Elad Benjamin, CEO de Zebra Medical Imagery

Ainsi, en partant d’un outil d’aide au diagnostique à destination des médecins, la société israélienne projette de pouvoir remplacer une grande partie des fonctions remplies aujourd’hui par un médecin généraliste avec des algorithmes, afin de pouvoir proposer des consultations à $1.

Cette ambition, également, est emblématique des avancées de l’Intelligence Artificielle, qui pourra remplacer l’humain sur un panel très large de compétences. Dès lors, comment garder le contrôle sur cette intelligence et s’assurer que sa finalité est la bonne ? C’est la question que se pose Stuart Russel, génial professeur à l’UC Berkeley et grand manitou de l’Intelligence Artificielle. La première étape selon lui est de définir ce qu’est une “bonne finalité”, ce qui est déjà complexe. Pour y parvenir, la solution est de demander à l’intelligence de le déterminer elle-même, en observant les humains autour d’elle.

Stuart Russell de l’UC Berkeley

Au cours d’une présentation enlevée, mêlant réflexion philosophique de haut niveau, démarche mathématique très sérieuse et humour, l’éminent professeur a souligné l’enjeu majeur qui réside derrière son sujet. En effet, une fois développée une intelligence capable de comprendre ce qu’elle lit, elle pourra presque immédiatement lire et assimiler tout ce que l’humanité a jamais écrit ; et nous, humains, seront alors confrontés au problème du Gorille” : nous deviendrons obsolètes, et risquerons l’extinction. Les dangers sont réels et les exemple sont à la fois amusants… et étrangement dérangeants.

Les dangers d’un robot mal programmé : le robot tueur d’enfant

Par exemple que ferait un robot programmé pour faire à manger et nourrir les enfants, si le frigo est vide ? Il cuisinerait le chat, évidemment ! L’exemple est à visée humoristique, mais en réalité il met le doigt sur un problème très réel. À force de laisser de plus en plus d’indépendance à la machine, de capacité à agir de son propre chef, il est indispensable de s’assurer qu’en plus de viser ce pour quoi elle a été créée, elle respecte certaines limites, notamment celles de la souveraineté et de la sécurité de l’humain. Et il faut traiter cette menace, car si l’on tarde trop et que l’on avance de manière imprudente, on pourrait atteindre un stade où la machine identifie sa propre déconnexion comme une menace vis-à-vis de sa capacité à atteindre l’objectif qu’on lui a fixé. On serait alors face à un cas où l’IA lutterait de toutes ses forces pour éviter qu’on ne l’éteigne. C’est le cas d’école introduit dans 2001 : l’odyssée de l’espace, où l’ordinateur va jusqu’à éliminer l’équipage d’un vaisseau spatial afin d’éviter que l’humain le déconnecte.

S’il est étonnant de noter que les craintes liées à une machine intelligente demeurent les mêmes 50 ans après la sortie du film de Kubrick, il ressort surtout de cette édition de Hello Tomorrow que l’IA va s’immiscer dans le quotidien de l’ensemble de la population mondiale dans les années à venir. Ainsi, les enjeux ne semblent pas tant économiques — les gains à attendre pour l’économie mondiale sont tels que le financement de ces innovations ne sera pas un problème — que moraux et politiques. Et c’est au final rassurant de voir que les scientifiques prennent le sujet très au sérieux et s’attachent à imaginer des débouchés porteurs de sens et de progrès aux innovations qu’ils développent.

C’est également un signal que les grands groupes doivent prendre au sérieux : nous sommes à la veille d’une nouvelle grande transformation, comparable à celle qu’a représenté internet dans les années 90. Mais celle-ci pourrait bien être beaucoup plus rapide — car la vitesse de diffusion des innovations s’est accélérée. Le paysage économique a également changé : l’économie mondiale est aujourd’hui dominée par les GAFA, qui avec des valorisations de plus de 1000 milliards de dollars sont en mesure d’acquérir n’importe quelle compétence et technologie. Il est donc urgent pour toutes les grandes entreprises françaises de se positionner sur ce secteur au risque de se voir demain en face de géants américains en position hégémonique sur l’ensemble de l’économie. Ces géants l’ont bien compris et ils ont d’ores et déjà intégré à leurs équipes les plus grands spécialistes mondiaux de l’IA.

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