Note d’actualité #1 Tensions sur l’offre de transport

Pierre Vétois
Le blog du transport routier - Fretlink
8 min readJul 18, 2018

Une pénurie de solutions de transport à l’échelle européenne

Une demande de transport qui s’accélère

La croissance se confirme en Europe. L’UE a ainsi affiché, en 2017, la plus forte hausse de son PIB depuis dix ans et la croissance s’annonce encore soutenue cette année ainsi qu’en 2019. La production industrielle a augmenté, de son côté, dans la zone Euro, de 4,8% sur l’année 2017 (source : Eurostat).

Sources : Insee

La France n’est pas en reste. En effet, après une bonne année 2017, la Banque de France table désormais sur une croissance de 1,9 % pour 2018 quand l’OCDE prédit une hausse du PIB de 2,2 %.

Cette croissance stimule l’appareil productif (+4% sur 2017), ce qui augmente, par ricochet, les besoins de transport des industriels.

Une offre qui ne suit plus

Une offre de transport sous-capacitaire. Cette reprise globale se heurte à un secteur du transport routier qui sort d’une décennie de prix bas qui a réduit les capacités de transport disponibles, notamment en Europe de l’Ouest, et tout particulièrement en France.

À ce contexte tendu, s’ajoutent des tendances démographiques problématiques. En effet, les chauffeurs routiers européens vieillissent et le secteur a du mal à leur trouver des remplaçants — il manque aujourd’hui 20 000 chauffeurs en France — et ce phénomène est appelé à perdurer.

Le vieillissement se retrouve même dans les pays de l’Est européen, notamment en Pologne, où le secteur est pourtant sur une dynamique de croissance ces dernières années : il est désormais le premier pavillon européen (sources : CNR). En effet, 20% des transporteurs connaissent une pénurie constante de chauffeurs et 60% des épisodes réguliers de pénurie (source : Trans Info).

“ En l’espace de cinq ans, l’apparition d’un manque de conducteurs a affaibli l’avantage principal sur lequel reposait l’attractivité du pavillon polonais, à savoir la productivité ”

CNR (2017)

Un marché désormais durablement déséquilibré

La demande plus importante que l’offre. Depuis début 2017, le schéma est bien installé, on retrouve une offre qui n’est structurellement plus capable de répondre aux demandes des chargeurs. On repère un pic autour du printemps et de la fin d’été. La période creuse du début d’année 2018 apparaît comme une accalmie temporaire où la demande s’équilibre avec l’offre de solutions de transport.

Dès les premiers beaux jours de 2018, on retrouve les deux courbes qui s’éloignent.

L’offre est donc structurellement déficitaire et nous retrouvons en 2018, le déséquilibre de l’été 2017.

Sources : Timocom

Certains secteurs sont plus impactés par cette saisonnalité…

La filière céréalière sous tension

Plus de la moitié des récoltes se concentrent sur 3 mois. Ce rythme, bien entendu, s’emballe lors des récoltes de juillet à août.

Cette période voit une noria de camions s’agiter pour évacuer les céréales vers les silos de stockage des coopératives.

Des arrêtés ont été même pris au Journal Officiel pour permettre aux camions agricoles de rouler en dehors des horaires et jours légaux (le dimanche par exemple).

Le temps des congés. Le rythme soutenu de cette filière, en période estivale, est d’autant plus sensible, que cette période est celle des congés pour de nombreux chauffeurs.

Le secteur de la boisson face au pic estival.

La France est le premier pays exportateur d’eaux au monde (775 millions d’euros en 2015) et c’est plus de 22% de la production française qui est destiné à l’export, notamment au Moyen-Orient.

Le pic saisonnier de consommation pose de vrais défis pour les industriels.

Il court de mai à septembre, et oblige à constituer des stocks chez les distributeurs et les industriels.

A titre d’exemple, l’entrepôt d’un grand distributeur situé à Toulon, qui expédie environ 1000 à 1500 palettes de boissons par jour, peut en expédier jusqu’à 5000 en saison estivale (sources : Cerema-Ouest, 2012).

Le secteur de la brasserie sous pression

Les brasseurs connaissent un pic traditionnel en été. La consommation de bière connaît un pic en période estivale. Les industriels du secteur se préparent dès la fin de l’hiver pour répondre à cette hausse de consommation. Ils doivent ainsi s’assurer de partenaires de transport fiables afin de sécuriser leur organisation de transport.

74% des consommateurs reconnaissent boire davantage à cette période de l’année. Deux tiers d’entre eux doublent leur consommation, voire plus. Dans les bars et les brasseries, la bière représente 41% du chiffre d’affaires des boissons en été, quand cette valeur n’est que de 25% en hiver (source : C10/Ifop).

Un vrai effet “Coup du Monde” A cette situation somme toute normale, s’ajoute cette année la Coupe du Monde de football, événement qui a toujours un gros impact sur les consommations.

Des prix impactés par cette pénurie

Une hausse déjà sensible. Les prix de transport connaissent une hausse sensible depuis un an (de 0,6 % sur l’année 2017) et s’apprêtent à grimper sensiblement. Les plus fortes hausses sont constatées dans le transport interurbain (+ 0,9 %) et à l’international (+ 1,1 %). Dans le secteur de la messagerie et du fret express, les prix repartent, eux aussi, à la hausse (+ 1,7 %).

Depuis avril 2017, trois types de transport en particulier connaissent une hausse quasi constante.

  • Le camion 40t en transport régional : +3,30%
  • Le camion 40t en transport longue distance : +3,18%
  • Le véhicule porteur en transport régional : +3,13%

Mais cette hausse n’est que la partie émergée de l’iceberg.

Sources : CNR

Une distinction contractualisé/spot brouillée en période de pénurie

La contractualisation du transport par appels d’offre — généralement menés en début d’année quand les prix sont bas — montre ses limites.

L’objectif, pour les chargeurs, est de lisser les prix à l’année mais ces appels d’offres n’apportent pas de garantie de capacitif ni de qualité de service lorsque la demande augmente en période estivale.

Les chargeurs qui ont fait le choix de la contractualisation sont soudain tributaires du marché spot, quand les hausses tarifaires se font plus conséquentes.

Le marché spot déstabilisé

Des conséquences à tous les niveaux. Les hausses de prix dues à cette pénurie de solutions de transport sont au global de l’ordre de quelques pourcents, elles peuvent être bien plus fortes ponctuellement sur ce qu’on appelle couramment le marché “spot” qui comprend les offres de lots non contractualisés et dont les prix peuvent fluctuer de façon très brutale.

“Sur certains transports spots, les hausses peuvent atteindre +100 voire +200%”

Olivier Lanéry
Opérations & Supply @FretLink

Ces hausses n’impactent pas seulement les chargeurs qui recherchent des solutions spot. En effet, les transporteurs, n’ayant pas eu l’occasion de construire des relations durables et fortes avec les chargeurs, cherchent à maximiser leurs profits en cette période de pénurie. Ils vont ainsi accepter des lots spot extrêmement bien rémunérés au détriment des lots régulièrement acceptés et dont les prix s’appuient des grilles tarifaires lissées à l’année. De cette manière, non seulement les chargeurs cherchant des solutions spot se retrouvent avec des lots extrêmement chers mais ceux qui se sont engagés à l’année sont eux aussi pénalisés.

“Les hausses du marché spot déstabilisent les chargeurs qui ont des flux réguliers en période de pénurie”

Antoine Le Squeren
CPO @FretLink

Les chargeurs se mobilisent face à cette pénurie

Sourcer le capacitif existant.

La “longue traîne” des transporteurs : une ressource inexploitée. L’impression de pénurie est accentuée par le fait que les chargeurs n’ont plus d’accès direct aux transporteurs qui composent l’essentiel de la supply européenne. En effet, il existe bien encore du capacitif, mais celui-ci se trouve parmi la masse de TPE / PME de transport européennes mal référencées par les chargeurs.

Sources : Insee

Ces dernières sont difficilement accessibles car ce sont des entreprises qui ont de faibles forces commerciale et marketing.

Ce sont pourtant des transporteurs de grande qualité même si moins connus que les grands noms du secteur et dont la petite taille garantie la flexibilité. Conséquence : ces PME voient leurs possibilités de développement freinées au moment même où la demande augmente !

Lorsque ces transporteurs locaux de la “longue traîne” mobilisés, il faut construire des relations de confiance durables avec eux afin de les fidéliser sur le long terme et entrer ainsi dans une logique de partenariat.

Construire des organisations de transport sur le long terme

Construire des partenariats durables. Selon les derniers sondages, les responsables transport souhaitent bâtir des relations de long terme avec leurs partenaires de transport afin de les sécuriser en amont des périodes de pénurie.

Afin de répondre à ce défi, il leur faut positionner des transporteurs sur des lignes régulières en mesure de leur assurer un capacitif et une qualité de service garantis tout au long de l’année.

Mettre en commun les moyens disponibles. Techniquement difficile, commercialement délicate, la mutualisation des moyens de transport a longtemps rebutée les chargeurs. La tension actuelle du marché incite les chargeurs à d’appréhender le sujet sous un angle nouveau.

Face à la hausse des prix, apporter du fret complémentaire ou du fret retour aux transporteurs est un moyen désormais raisonnable de maîtriser le coût unitaire du transport. Le numérique apporte une aide précieuse dans ce contexte, en faisant coïncider les plans de transport des différents chargeurs grâce à l’utilisation de la data.

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