Discours d’introduction de l’événement de lancement de Friendship Belgium (English version below)

Parce qu’il serait dommage de l’oublier trop vite, petit retour 6 mois après l’événement de lancement de Friendship Belgium à Bruxelles sur le magnifique discours d’introduction donné à cette occasion par Philippe Depoorter, membre du Board de Friendship Luxembourg et membre du Management Committee de la Banque de Luxembourg. (English version below)

Friendship NGO Team
Friendship NGO Luxembourg
10 min readJun 17, 2019

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Le 12 décembre 2018, Philippe Depoorter a évoqué devant plus de 200 invités dans un magnifique témoignage ce que représente pour lui le Bangladesh et Friendship. A lire ci-dessous.

Permettez-moi d’abord de vous dire tout le plaisir qu’a la Banque de Luxembourg d’être associée à cette très belle et importante soirée pour Friendship; voilà plusieurs années en effet que le vœu d’associer la Belgique au travail de Friendship, existait. Ce soir, il devient réalité. J’aimerais dès lors saisir cette occasion pour vous livrer un témoignage que j’ai souhaité, très personnel.

J’aimerais vous parler d’un endroit où l’eau, les rives de sable et le ciel se fondent en un bleu-gris lumineux. Où la ligne de l’horizon s’étire à perte de vue. Où seuls le vert tendre des plans de riz et de quelques arbres viennent de ci, de là, interrompre la monochromie du paysage. Un endroit dont la physionomie change constamment, au gré des inondations qui sans cesse reconfigurent les îles alluvionnaires et font de leurs habitants, des migrants perpétuels ; à la fois courageux et résignés. Là-bas, au nord du grand fleuve Jamouna, il règne un silence rare, à peine séquencé par le ronronnement de quelques embarcations. Une forme de sérénité semble habiter les visages et les cœurs des pêcheurs et des villageois que l’on y croise. Les rires des enfants qui jouent ou leurs scansions dans les cours d’école rappellent que la vie n’a pas quitté ces lieux et que le temps y poursuit son cours au fil des saisons.

C’est là-bas, au nord du Bangladesh que j’ai le privilège de me rendre chaque année depuis 7 ans maintenant. J’aime à dire qu’à chaque fois, c’est d’abord d’un voyage intérieur qu’il s’agit, d’un précieux ressourcement au plus près de ce que la vie peut nous offrir, à commencer par sa fragilité. Une fragilité cruelle et créative à la fois. Là où, lors de mon premier voyage, je craignais une confrontation avec la souffrance et la précarité, j’ai trouvé résilience, solidarité et une paradoxale foi en la vie. Toutes ces valeurs que nos modèles de vie urbains ont sacrifiées en abandonnant les modèles ruraux qui prévalaient il y a 50 ans encore. Presque imposées par l’exigence de survie, la famille et la communauté y structurent encore les existences, bien loin de l’individualisme égocentré qui prévaut dans nos sociétés d’abondance.

J’ai souvent le sentiment que ce que je reçois lors de mes voyages au Bangladesh dépasse de loin ce que je suis en mesure d’y apporter. Comme si la trilogie du « donner, recevoir, rendre » de Mauss commençait à mon insu par un don inquantifiable de ceux-là même auxquels je m’apprêtais à donner. Et que je me trouvais réduit à recevoir puis à rendre, dans une asymétrie de moyens et en tout cas de nature de la chose donnée.

Souvent, je me suis demandé pourquoi et comment Friendship avait gagné mon cœur dans un monde où les raisons et formes d’engagement ne manquent pas. Je vous en ai citées plusieurs déjà. Mais il en existe d’autres, plus rationnelles et indispensables en ce qu’elles structurent l’action même de Friendship. Elles sont de l’ordre de ce que l’on pourrait être tenté d’appeler la « théorie du changement », mais aussi d’une forme d’éthique, celle de sa fondatrice Runa Khan en l’occurrence. Elles font de Friendship, une ONG modèle à mon sens, de celles qui, au-delà de leur propre action auprès de ses propres bénéficiaires, montrent la voie à d’autres.

Permettez-moi de vous citer certains de ces piliers :

- « realisation leads to responsability » qui nous rappelle d’où naît notre responsabilité et ce qu’elle nous appelle à mettre en œuvre ;

- « poor people can not afford poor solutions » qui souligne l’exigence qui se doit d’exister à tous les niveaux, dans tous les projets ;

- « we are there to fill in the gaps » qui prône le respect fondamental de pratiques et croyances communautaires et invite à un questionnement perpétuel de nos certitudes et de nos élans interventionistes ;

- et ce projet central d’amener nos bénéficiaires à un « tipping point » qui est en l’occurrence un état de dignité leur permettant de retrouver autant que faire se peut, la maîtrise de leur vie et de leur destin.

Tout ce qui est entrepris, puis modélisé, part des besoins des villageois à l’égard desquels chacun des 2000 collaborateurs de Friendship exerce une bienveillante compassion sur laquelle nous reviendrons lors de notre table ronde.

Permettez moi dès lors de terminer mon intervention en évoquant à grands traits ce que la contagieuse passion qui s’est emparée de moi il y a sept ans maintenant m’a conduit à mettre en place autour de moi. A commencer par la banque où tout a débuté par un vrai projet de micro-finance appliquée (celui des pêcheurs de la baie du Bengale) que Marc Elvinger a su présenter à mes collègues du Comité de Direction pour leur faire découvrir le travail et les besoins de Friendship, à l’heure où nous cherchions à faire nos premiers pas en la matière. Depuis, le virus Friendship n’a cessé de faire de nouvelles « victimes » parmi mes collègues et l’un d’eux, David Boegen vous parlera ce soir de mécénat de compétences, que ce soit celui des collaborateurs de la banque ou celui de certains de nos fournisseurs que nous avons fini par contaminer à leur tour.

Mais l’initiative qui me tient le plus à cœur est celle qui me conduit à inviter pour la troisième fois cette année, un groupe de 10 jeunes de 18 à 25 ans, issus de familles en entreprises, à m’accompagner une semaine durant dans le nord du Bangladesh. Là-bas, au gré de visites de projets, nous les invitons à réfléchir à ce que les futurs entrepreneurs « économiques » qu’ils sont, tous issus d’un monde où il nous arrive de ne plus voir l’essentiel, peuvent apprendre d’une entreprise sociale évoluant dans un pays fait de dénuement et de précarité, où l’innovation est essentielle. Au fil des jours, nous les amenons à commencer à tracer les contours de la notion de responsabilité, la leur en l’occurrence.

Je m’arrêterai là car vous l’avez compris, la liste est longue encore. Non pas tant la mienne, mais celle de ce que chacun d’entre nous est en mesure d’apporter, de semer puis de faire croître.

Et de terminer par une réflexion sur la philanthropie, cette notion un peu abstraite et souvent réduite au don d’argent, de montants importants, au point qu’elle ne serait le fait que des plus fortunés. Au travers d’organisations comme Friendship, il nous est donné de découvrir l’engagement qui peut devenir le nôtre, à la mesure de nos moyens et de nos talents.

La philanthropie est un mouvement vers l’autre, elle s’adresse d’abord à tout ce qui n’est pas soi ; mais en s’engageant d’une façon ou d’une autre, c’est également soi-même que l’on transforme progressivement ; initiant de la sorte un cercle vertueux, ici et là-bas. L’essentiel étant de commencer, ici … et maintenant.

Introductory speech to the Friendship Belgium launch event

Because it would be a pity to forget it too quickly, a look back 6 months after the launch event of Friendship Belgium in Brussels on the beautiful introductory speech given on this occasion by Philippe Depoorter, member of the Board of Friendship Luxembourg and member of the Management Committee of Banque de Luxembourg.

The launch event of Friendship Belgium gathered more than 200 guests in Brussels in the presence of HRH Princess Esmeralda of Belgium, Chair of Friendship Belgium, Runa Khan, Founder and Executive Director of Friendship Bangladesh and Yann Arthus-Bertrand, Photographer and Film Director.

Banque de Luxembourg is very privileged to play a part in this important event dedicated to Friendship. The idea of involving Belgium in the Friendship journey has been a dream for several years. This evening, it becomes a reality.

I would like to take this opportunity to share an experience with you — a very personal one.

Imagine a place where water, sandbanks and sky merge in a blue-grey light. Where the horizon stretches as far as the eye can see. Where the monochrome landscape is only interrupted by the soft green of rice plants and a few trees scattered here and there.

A place that is constantly being reshaped by floods that incessantly resculpt the river islands over and over, forcing their inhabitants to be perpetual migrants, courageous and resigned.

A rare silence pervades this area to the north of the great Jamuna River, a silence that is only occasionally broken by the purring engines of a few boats.

There is a kind of serenity in the faces and hearts of the fishermen and villagers you meet there. The laughter of children at play or the sounds of them chanting their school lessons are a reminder that there is still life here and that time still moves with the seasons.

It is this spot, in the north of Bangladesh, that I have had the privilege to come every year for the last seven years. I always say that it is first and foremost an inward journey, a precious chance to get back to the true essence of life, starting with its fragility. A fragility that is simultaneously cruel and creative. Where I feared coming face to face with suffering and poverty on my first visit, I found resilience, solidarity and, against the odds, trust in life. All values that we sacrificed when we abandoned the rural way of living that prevailed 50 years ago in favour of our modern, urban lifestyles. Almost forced together by the need to survive, family and community structure existence, a world away from the selfish individualism that reigns in our affluent societies.

I often feel that I get so much more out of my trips to Bangladesh than what I am capable of bringing there. It’s as if, without my realising, Mauss’s circle of giving, receiving and giving back again has already started with an unquantifiable gift from the very same people to whom I intended to give something. So I find myself receiving and then giving back, but asymmetrically.

I have often asked myself why and how Friendship won me over in a world where there is no shortage of causes and ways to engage.

I have already given you some of my reasons. But there are others, more rational and essential in that they are the founding principles of Friendship’s activities. They fall under what we might dare to call theory of change, but also an ethic which happens to be that of Runa Khan. They have turned Friendship into a model NGO one of those which, beyond the impact it has for its own beneficiaries, is a trailblazer for others.

Allow me to list some of its guiding principles:

- “Realisation leads to responsibility”, reminding us of the source of our responsibility and what we are being called to do,

- “Poor people cannot afford poor solutions”, emphasising the need for excellence at all levels, in all projects,

- “We are there to fill in the gaps”, which advocates fundamental respect for communities’ customs and beliefs while encouraging us to keep questioning our certitudes and interventions,

- and the overarching aim to lead our beneficiaries to a “tipping point”, which is actually a state of dignity in which they are able to regain, as far as possible, control over their lives and destinies.

Every project that is initiated is based on the needs of the villagers, who are treated by each one of our 2,000 Friendship colleagues with the greatest compassion and kindness.

But first, let me finish by giving you a general idea of the projects we have been able to roll out thanks to the contagious passion that consumed me seven years ago. It all started at the Bank, with an applied microfinancing project (to support fishermen in the Bay of Bengal) which Marc Elvinger submitted to my colleagues in the Executive Committee in order to demonstrate the work and the needs of Friendship, at a time when we were trying to take our first steps in the field. Since then, the Friendship ‘epidemic’ has attracted more and more of our colleagues. One of them, David Boegen, will talk to you this evening about ‘pro bono’ services provided by colleagues at the Bank and by some of our suppliers who have also been bitten by the bug.

But the initiative that is closest to my heart is the trip we organise very year for a group of ten young people aged between 18 and 25, all from families in business, to travel with me to the north of Bangladesh for a week. During visits to local projects, we encourage them to think about what they, as future ‘economic’ entrepreneurs from a world that has lost sight of the essential, can learn from a growing social enterprise in this country characterised by economic hardship and precariousness, where innovation is crucial. Over the week, they are encouraged to draw up a vision of their own responsibility.

I will stop now because — you have understood — the list is too long to cover here. Not so much my own list, but the list of what each of us has to contribute, to plant and see flourish.

I will finish with a word on philanthropy — a rather abstract concept that people often think of as just large donations of money, with the result that is only practised by the wealthy. Through foundations like Friendship, we each have the opportunity to find out how we can get involved, using our own individual means and talents.

Philanthropy is about giving to others — it’s about selflessness. And when you give, in whatever form, a virtuous circle begins — we are transformed by doing and this has an impact on ourselves and our environment. The most important thing is to begin — today.

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Friendship NGO Team
Friendship NGO Luxembourg

Friendship is an NGO that helps poor people in Bangladesh. We make it our priority to reach communities in remote areas that are otherwise inaccessible.