First employee: Algolia

Gabriel de Vinzelles
Frst
Published in
9 min readMar 12, 2021

Une discussion avec Sylvain Utard, premier employé et General Manager AI chez Algolia.

First Employee est une série d’interviews qui racontent les parcours explosifs et souvent méconnus des premiers employés des plus grands succès Tech de notre écosystème.

Gabriel : Que faisais-tu avant Algolia ?

Sylvain : A la fin de mes études à l’EPITA j’ai cherché un stage dans une entreprise techniquement challenging, notamment sur des enjeux bas niveau et de performance. J’ai candidaté dans plusieurs boîtes, en base de données et en jeux vidéos et j’ai atterri chez Exalead, qui éditait un moteur de recherche avant de se faire racheter par Dassault Système. Le challenge technique était omniprésent. J’ai été embauché pour faire du dev C++. J’ai rapidement fait du Java et j’ai finalement pris la responsabilité de l’équipe qui s’occupait de la plateforme et du moteur de recherche.

C’est chez Exalead que j’ai rencontré Julien, le CTO et co-fondateur d’Algolia. Il a été mon peer pendant 6 mois, puis mon manager. Au total j’ai travaillé dans son équipe pendant 2 ans et demi. Au moment du rachat par Dassault, Julien est parti faire autre chose. Nicolas, l’autre co-fondateur d’Algolia, est arrivé. J’ai ensuite travaillé 2 ans avec Nicolas.

Gabriel : Comment s’est passé ton recrutement chez Algolia ?

Sylvain : 2 ans après le rachat d’Exalead, Nicolas et Julien lançaient ensemble Algolia, une startup chargée de développer une bibliothèque d’algorithmes à forte valeur ajoutée pour les applications mobiles.

Quand Julien m’a pitché Algolia la première fois et proposé de les rejoindre j’ai décliné leur offre. Je n’y connaissais pas grand chose en mobile et je faisais beaucoup de dev web sur mon temps libre à ce moment là.

9 mois plus tard Julien est revenu vers moi en me disant : « On va pivoter. La première bibliothèque que l’on a développée est un moteur de recherche ». Ce moteur tournait parfaitement sur Android mais le marché du mobile n’était pas assez important. « On va reprendre cette technologie et créer un search-as-a-service ». J’ai été extrêmement intéressé car ce qu’ils voulaient construire touchait à la fois à mon expertise moteur de recherche d’Exalead, et mes centres d’intérêt web et SaaS.

On a fait peu d’interviews car on se connaissait bien, et je les ai rejoints en tant que VP Engineering. A l’époque cela voulait dire que j’allais les aider à build. J’étais un contributeur individuel avant tout.

Gabriel : Tu rejoins la boîte fin 2013 c’est bien ça ?

Sylvain : Oui ! En septembre 2013.

Gabriel : Est-ce que tu peux nous dire comment a évolué ton job au fil des années ?

Sylvain : A mon arrivée Julien avait déjà build une partie importante de la tech, ce qui aujourd’hui est encore notre search API hébergée. Je me suis occupé de construire tout ce qu’il y avait autour de ce moteur : la première version de notre site web, notre stack d’analytics, les premiers outils permettant aux développeurs d’utiliser Algolia facilement.

Quelques mois après mon arrivée nous sommes partis faire Y Combinator. Nicolas, Julien, Gaëtan — VP Business Dev à l’époque, deux stagiaires (Xavier et Maxime) et moi sommes partis 4 mois en Californie. L’objectif était de découvrir très vite le Product/Market fit et de faire 10% de croissance chaque semaine.

Algolia @ YC

En rentrant de Californie début 2014 mon rôle a changé puisque j’ai pris la responsabilité du scaling de l’équipe tech et me suis mis sur le recrutement, même si je restais contributeur individuel sur 80% de mon temps. Depuis le début on s’est partagé les rôles de cette manière: Julien est un CTO visionnaire, impactful sur ses contributions individuelles mais aussi sur la stratégie technique. Moi j’ai toujours eu une affinité un peu plus forte sur les relations people, le scaling de l’équipe et l’opérationnel.

Gabriel : Très clair.

Sylvain : Mon job a évolué tous les 6 mois simplement parce que la croissance d’Algolia a fait doubler l’équipe tech chaque année. Sur ces 5 premières années, j’ai structuré de plus en plus l’équipe engineering et produit, en réduisant progressivement mes contributions individuelles, pour finalement n’en faire plus aucune, et avoir des équipes avec du middle management.

Gabriel : Comment s’est passé le passage d’IC à Manager pour toi ?

Sylvain : Ça a été difficile. A l’époque d’Exalead je n’étais pas assez conscient de ce qui se passait dans d’autres boîtes. Malheureusement l’écosystème français de 2013–14–15 n’était pas aussi développé qu’il peut l’être aujourd’hui et il n’était pas évident de trouver des peers.

On a rencontré pas mal de problèmes et si c'était à refaire on ferait probablement beaucoup de choses plus tôt. Par exemple j’ai recruté un engineering manager quand on a atteint 27 personnes dans l’équipe. Ça veut dire que j’avais cet énorme râteau en dessous de moi. 27 software engineers qui bossent tous sur des parties différentes sans véritable structure managériale. On a aussi mis du temps à trouver ce qu’était un bon manager Algolia. Le bon équilibre entre expertise technique, affinité people, empathie et l’envie de faire grandir les autres.

Gabriel : Algolia a également grandi à travers plusieurs continents. Comment cette évolution géographique a impacté ton job ?

Sylvain : De plusieurs manières. Après notre passage à YC et une implantation commerciale plus grande aux US qu’en France, on s’est posé la question de rester en Californie. Pour créer un business API first ça avait beaucoup de sens de rester dans la Valley. On a bougé le HQ aux US et Nicolas (CEO) est parti en Californie. Julien et la tech sont restés en France. Deux raisons pour cela : notre réseau de recrutement était en France et d’un point de vue coût, c’était plus intéressant de scaler l’équipe tech en France. Depuis on a ouvert beaucoup de bureaux : Atlanta, NY, Londres, Tokyo et on vient d’acheter une startup (MorphL) à Bucarest.

Depuis mars 2020 et le COVID on est en full remote. On réfléchit à passer définitivement en hybride, avec certains postes en full remote. Même si on a une équipe largement distribuée géographiquement chez Algolia, la partie tech et engineering est concentrée sur une time zone proche de la France.

Ce qui est difficile dans notre day to day c’est que le nombre d’heures en commun avec San Francisco est limité. On demande aux gens de SF de se lever tôt et aux parisiens de rester un peu plus tard le soir.

Offsite à Marrakech (2019)

Gabriel : On dit souvent que le profil des 10 premiers salariés est différent de celui des 100 suivants. Quels ont été les premiers profils recrutés dans l’équipe tech ?

Sylvain : Les premières personnes que j’ai recrutées dans l’équipe engineering étaient des développeurs seniors. La plupart d’entre eux étaient soit freelances soit avaient déjà monté une startup. On a beaucoup insisté là-dessus : trouver des personnes capables de faire autre chose que leur spécialisation. C’est ce qui se passait au tout début : tout le monde faisait un peu de dév, de sales, de marketing et de produit. Ce type de profil est capable de prendre des risques, mais aussi de saisir l’opportunité qu’ils avaient devant eux. Par exemple en parallèle de ma scolarité et de mon premier job, j’avais créé plusieurs side businesses, des petites SARL. Je pense qu’il faut avoir un minimum de volonté d’entreprendre et de prendre des risques.

Pour rejoindre une startup aussi early stage je pense qu’il est préférable d’avoir au moins deux expériences, dont au moins une avec une responsabilité de lead. La réalité est que ces premiers employés vont devoir scaler avec l’entreprise et faire ça en sortant d’école est extrêmement difficile.

Gabriel : Aujourd’hui tu es General Manager d’une nouvelle business unit d’Algolia. Tu veux nous en parler ?

Sylvain : Sure. Même si on est au tout début de cette nouvelle aventure. J’ai fait partie de l’équipe exécutif pendant 7 années. Ce qui m’a donné une vision 360 de toute la boîte. Au bout de ces 7 années j’ai eu le sentiment d’avoir fait le tour de mon rôle en engineering pur et dur, et ça a très bien fité avec la volonté d’Algolia de se lancer dans une stratégie multi produits. C’est d’ailleurs cette volonté qui a débouché sur l’acquisition de MorphL en Janvier. Depuis Novembre, je manage une petite entité à l’intérieur d’Algolia qui va être en charge de faire de nouvelles API autour du search. On va construire de nouvelles features AI autour de la personnalisation et de la recommandation.

Gabriel : Excitant ! Il s’agit d’une équipe complètement indépendante ou distribuée dans plusieurs squads ?

Sylvain : C’est un peu hybride. Le but est de créer une business unit autonome mais pour commencer il serait dommage de ne pas leverager le soutien d’autres équipes. Ce que j’aime là-dedans c’est d’avoir une vue globale sur toutes les opérations et une forte responsabilité sur le business généré.

Gabriel : Très clair. Finalement quelle est la partie de la vie d’Algolia qui t’a le plus plu sur ces 7 années ?

Sylvain : Je pense que ça restera à jamais les premières années. Je suis un entrepreneur, j’aime faire plein de choses, tester et aller vite. Les années dont je garde le meilleur souvenir sont de 2013 à 2015. Depuis 2015, évidemment c’est bien aussi ! Sinon je ne serais pas resté 7 ans et demi chez Algolia. Mes challenges et mon focus sont différents.

Premier bureau d’Algolia

Gabriel : Est-ce que tu penses qu’en tant que premier employé tu as un rôle spécifique dans l’organisation ? Est-ce que ce job vient avec des responsabilités, que d’autres employés n’ont pas ?

Sylvain : Oui, je pense. Une chose évidente est que sur les 350 employés d’Algolia, j’ai participé au panel de recrutement d’environ 200 à 250 personnes. Donc il y a finalement beaucoup d’algolians que j’ai recrutés. Ça me donne une responsabilité supplémentaire, et un lien particulier avec l’équipe.

Gabriel : Tu as plus de data que la plupart des gens sur ce qui fonctionne chez Algolia. Ca te confère un leadership naturel.

Sylvain : Mais il y a aussi des moments où il faut savoir changer. C’est quelque chose que j’ai appris chez Algolia. C’est important de faire en sorte que des gens présents dans l’organisation prennent davantage de responsabilités managériales et techniques mais c’est aussi primordial d’attirer des profils de l’extérieur, qui savent faire les choses différemment, afin de s’assurer qu’on innove tous plus rapidement.

Gabriel : On a évoqué de nombreux avantages d’être le premier employé d’une startup. Avec le recul, quels sont d’après toi les inconvénients de ce job ?

Sylvain : Je ne suis pas co-fondateur mais finalement j’agis comme un co-fondateur. J’ai un attachement très émotionnel à l’entreprise. Pendant longtemps quand Algolia avait des problèmes, j’avais des problèmes. C’est une vraie charge.

Un autre inconvénient a été d’être un Bottleneck et un Single Point Of Failure pendant trop longtemps. On a mis quelques années à mettre en place le fait que personne chez Algolia ne soit indispensable, condition essentielle pour pouvoir scaler. Malheureusement en tant que premier employé, arrêter d’être indispensable est une tâche plus compliquée à réaliser car on a ses mains partout.

Gabriel : Qu’est-ce que tu te vois faire après Algolia ?

Sylvain : Aujourd’hui je suis super bien chez Algolia. On fait énormément de nouvelles choses. On accélère, il y a un sang neuf dans l’équipe leadership. Je m’y plais. Cela étant dit, je pense que je ne vais surprendre personne en disant que ma prochaine étape ne serait pas de rejoindre une boîte de la taille d’Algolia. Si je devais partir ça serait pour lancer mon propre projet où rejoindre une startup early stage. Ce que j’adore c’est le moment où tout est à prouver et à construire.

Gabriel : Ça se ressent complètement !

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