First Employee: Doctolib

Gabriel de Vinzelles
Frst
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9 min readSep 17, 2021

Une discussion avec Arthur Thirion, quatrième employé et aujourd’hui Managing Director de Doctolib.

L’équipe Doctolib à ses débuts — Arthur à mi-hauteur à droite

First Employee est une série d’interviews qui racontent les parcours explosifs et souvent méconnus des premiers employés des plus grands succès Tech de notre écosystème.

  • Arthur nous raconte sa rencontre avec Stanislas et pourquoi il a décidé de le rejoindre alors que Doctolib ne réalisait pas encore de chiffre d’affaires
  • Il revient sur l’obsession de Doctolib pour le service client, et comment cette obsession a permis à l’équipe de réaliser ses premières ventes dans un secteur très peu digitalisé
  • Arthur nous explique comment le scaling de Doctolib a changé son quotidien, passant lui-même de Sales à Managing Director en 7 ans

Gabriel : Que faisais-tu avant Doctolib ?

Arthur : Après l’école j’ai suivi une voie assez classique en commençant ma carrière chez Ernst and Young (EY). Un monde assez éloigné de Doctolib, de la santé ou de l’entrepreneuriat.

Tout est une histoire de rencontre. Un de mes meilleurs amis avec qui j’étais en cours à Dauphine m’a appelé un matin pour me dire « Il faut que je te présente quelqu’un, c’est un projet de dingue !» C’est comme ça que j’ai rencontré Stan.

Pendant ses études mon ami avait fait un stage chez La Fourchette, qui était une participation d’Otium Capital. Stanislas Niox-Chateau, le fondateur de Doctolib, travaillait à l’époque chez Otium Capital. C’est un VC early stage qui investit très tôt et accompagne opérationnellement ses startups. Stanislas était particulièrement impliqué dans le développement de La Fourchette.

Alors qu’il est sur le point de trouver son premier job, ce même ami écrit à Stanislas pour lui demander une lettre de recommandation. Stanislas accepte volontiers mais lui propose également de discuter de l’entreprise qu’il est en train de monter, Doctolib, dont l’objectif est de reproduire le modèle d’accessibilité de La Fourchette sur le monde de la santé. Nous avions toujours voulu entreprendre ensemble. Lorsqu’il rejoint Doctolib, il me met en contact avec Stanislas.

En décembre 2013 aucun médecin n’utilise encore le produit. J’accroche tout de suite avec le projet et évidemment avec la vision de Stanislas. L’idée était simple “Rejoins nous si tu veux révolutionner le monde de la santé et créer une société de plusieurs milliers d’employés, tous entrepreneurs où il fait bon vivre !”.

La vision de Stan, son plan, les enjeux et les étapes étaient limpides. A la fois bluffé et intrigué par une telle énergie, après 3 heures d’entretien un samedi matin je démissionne pour commencer la semaine d’après.

A ce moment nous sommes 7 dans l’équipe. Il y a Yvan et Jessy, les 2 co-fondateurs techniques, et 4 profils business, dont mon ami et moi.

Les journées étaient simples de 8h à 19h, Stanislas compris, on fait du terrain. On découpe Paris en 5 zones et on gère 4 arrondissements chacun. Le produit a encore quelques bugs et la marque Doctolib n’est pas encore connue. Mais on a l’envie et la passion ; et on va de cabinet en cabinet rencontrer des médecins pour comprendre leurs besoins.

Gabriel : Est-ce que vous arrivez à vendre le produit ? Est-ce que tu as le sentiment que vous avez déjà votre Product-Market Fit à ce moment-là ?

Arthur : Il n’y a pas encore d’offre et on propose un nouveau service. On amorce la création d’un nouveau marché. On rencontre deux types de praticiens. Le médecin entrepreneur, qui nous aide à construire le produit en nous faisant des retours tous les jours. Mais aussi le médecin plus attentiste qui ne sera client lorsque nous aurons fait nos preuves et si ses confrères le sont.

Tout est une question de confiance avec les praticiens. On co-construit le projet avec eux, on les met au cœur de notre projet. Ce qu’on appelle « l’Intuitu Personae » est au cœur de notre approche chez Doctolib au lancement et encore aujourd’hui.

On choisit de ne pas se disperser pour commencer et de se concentrer sur une zone géographique précise : Paris. Objectif : la preuve par l’usage pour amorcer le bouche-à-oreille. L’usage restera notre KPI numéro 1 dans toutes nos décisions, stratégiques, commerciales, et produits.

Gabriel : Tant que le produit n’est pas parfait vous comblez ses failles avec de la proximité, du service, quitte à faire des choses qui ne scalent pas.

Arthur : Exactement. On construit cette confiance via du service. Par exemple ça nous arrivait régulièrement de faire des formations aux médecins le dimanche, où de nous déplacer au domicile d’un médecin pour l’aider à régler un problème technique à 22h. On fait de la satisfaction client notre credo. Je pense que cette culture de la satisfaction a fait en partie la réussite de Doctolib. On a toujours eu une marque associée à un haut niveau de service et donc de confiance.

On était d’autant plus à l’écoute des besoins des médecins que l’on savait qu’il n’y avait pas d’enjeu côté patient. La majorité des français réservait déjà leur billet de train ou d’avion sur Internet. On n’a d’ailleurs jamais investi de ressource en marketing patient. Notre priorité était de déployer l’outil chez les médecins, toute la journée. On n’ouvrait pas nos ordinateurs avant 19h. Et tous les soirs on revenait au bureau pour partager nos interactions avec les médecins et faire grandir le produit.

Gabriel : Combien de temps a duré cette phase d’itération 100% clients-produit ?

Arthur : Cela fait 8 ans qu’elle dure ! Et elle continue chaque jour. Nous ne cesserons jamais d’itérer et d’améliorer nos services selon les retours terrains. C’est la base de l’usage et de la satisfaction. Nous avons des centaines de personnes sur le terrain, ce sont eux qui sont au plus proches des besoins et qui nous permettent de créer le meilleur service. Je continue d’aller sur le terrain à la rencontre des praticiens avec les équipes. Le contact et l’écoute sont des clefs importantes pour comprendre les besoins de nos partenaires.

Mais notre première levée de fond nous a permis de scaler et structurer les équipes.

Gabriel : Fin 2014 c’est bien ça ?

Arthur : En novembre 2014 les fondateurs de PriceMinister, donc Pierre Kosciusko Morizet et Pierre Krings, ainsi que Kerala qui était déjà investisseur, investissent 4m€ dans Doctolib. On passe alors d’une dizaine de salariés à une cinquantaine, et d’une petite centaine à un millier. On structure et organise principalement les équipes sales et customer support.

Arthur

Gabriel : Quel rôle joues-tu à ce moment ?

Arthur : Je commence à manager des sales pour la première fois. La problématique du management dans une société qui grandit à cette vitesse est d’être en mesure de former ses équipes et d’avoir en continue le même niveau d’information.

On faisait ce travail de mise en commun et de structuration de l’information tous les soirs. On a commencé très tôt à créer des supports, et notamment notre Sales Bible, qui est un document où l’on rassemble tout ce que nous apprenons chaque jour et que l’on utilise encore quotidiennement. Pour anticiper notre croissance, on a construit et pensé Doctolib comme si l’on était déjà 500. 4 mois après la levée on a recruté une cinquantaine de personnes puis en l’espace de 12 mois on est passé de 50 à 300 employés. Le recrutement a donc été une condition sine qua non du succès de Doctolib.

Gabriel : Tu participais également à ces recrutements ?

Arthur : Bien sûr. Je m’occupais du recrutement de toutes nos équipes sales. Y compris l’onboarding des personnes recrutées, qui est au moins aussi difficile et importante que son recrutement. Aujourd’hui, on a une équipe formidable. Les personnes qui arrivent chez Doctolib ont des plans de carrière adaptés et restent longtemps avec nous. Notre chance est qu’à 1,600 on est toujours une équipe d’entrepreneurs.

Gabriel : Peux-tu nous parler de ton évolution chez Doctolib ?

Arthur : Les 3 premiers sales deviennent tous managers et je gère rapidement une première équipe de 4–5 personnes. Lorsque l’on commence à recruter plus rapidement, l’organisation se structure autour de trois Sales Director, dont moi. On se partage la France à 3. On a chacun une équipe de 70 personnes et reportons tous les 3 à Stanislas.

En passant de Sales Director à Chief of Sales, je prends la responsabilité de toutes les équipes sales en France en continuant de reporter directement auprès de Stanislas.

Il y a 2 ans je suis devenu Managing Director. Je m’occupe des équipes sales mais également de 3 nouvelle équipes : l’équipe Key Account, l’équipe Sales Strategy et l’équipe Sales Excellence. L’équipe Key Account s’occupe des partenariats avec des structures comme les hôpitaux de l’APHP, mais aussi de tous nos partenariats stratégiques (éditeurs de logiciels, telesecrétariats, partenariats sales et marketing,…)

L’équipe Sales Strategy s’occupe en continue du Go-to-market France de Doctolib. Son but est de prendre des décisions chaque jour sur comment approcher, comprendre et proposer le meilleur service à nos prospects. Comprendre les besoins de chaque prospects et organiser la meilleure réponse, la meilleure offre, la meilleure approche (produit, prix, scripts, positionnement…).

L’équipe Sales Excellence met en place toute la routine commerciale. Elle s’assure que l’information est bonne, que le reporting est fluide, que les outils sont les bons, et surtout que les équipes ont le bon niveau d’information et de formation. C’est une équipe centrale. Elle met l’huile dans les rouages. Sans cette équipe, rien ne se passe : elle est le garant du bon fonctionnement des toutes les décisions prises avec les équipes Strat.

Gabriel : Tu as donc une vue complète sur les sales, de la stratégie à l’exécution. Ça doit être particulièrement intéressant dans une société comme Doctolib où les sales sont le nerf de la guerre.

Arthur : Tout à fait. Au moment où l’on a décidé d’accélérer à l’international on a senti le besoin de centraliser ces fonctions. Aujourd’hui le Comité Exécutif est organisé de la manière suivante : Stanislas le préside, il y a un Managing Director Allemand qui a la responsabilité du scope Allemagne et un Managing Director France qui a la responsabilité du scope France. S’ajoute les leads des équipes globales que sont la Finance, le Produit, la Tech, les Opérations, le Marketing et les RH.

Gabriel : Quelle partie de l’aventure t’as le plus plu ?

Arthur : Tous les moments de cette expérience ont été exceptionnels. Je pense être extrêmement chanceux d’avoir pu connaître Doctolib lorsque nous étions 7.

Mais encore aujourd’hui on se retrouve dans des situations où l’organisation se doit d’être extrêmement agile. Par exemple, pendant le premier confinement, nous avons pu proposer la télé-consultation pour tous. On est passé en l’espace de 10 jours de 3,000 utilisateurs à 30,000. En 1 weekend on a développé un nouvel outil pour permettre à tous d’utiliser la téléconsultation, mobilisé et formé 150 personnes chez nous. C’était incroyable.

Gabriel : On a l’impression que plus vous grandissez plus vous attaquez des sujets importants.

Arthur : Notre impact à l’échelle macro est de plus en plus visible. Et tant mieux, si à notre niveau on peut réussir à aider et faciliter l’accès aux soins : c’est que le pari d’il y a 8 ans est réussi !

Par exemple aujourd’hui on est extrêmement investi sur les campagnes de vaccination. On a beaucoup de chance, et il faut que l’on reste humble face à ces nouveaux challenges.

Gabriel : A quel profil recommanderais-tu de rejoindre une startup en tant que premier employé ?

Arthur : D’après mon expérience je dirais que c’est principalement une question de caractère. Il faut avoir envie de se lancer dans un projet entrepreneurial. Ce qui implique d’être motivé, agile, d’avoir envie d’en découdre, et ce qui nécessite je pense de la passion pour le projet.

C’est également une situation avec beaucoup de remise en question et je pense que ma précédente expérience chez EY m’a beaucoup apporté. J’y ai appris la rigueur et la structure, ce qui s’est révélé être très important dans une société qui grandit aussi vite.

Gabriel : Au moment de rejoindre Doctolib, quels étaient tes principaux doutes ?

Arthur : Je me souviens des discussions que j’avais avec mes parents, mes amis et ma femme. Mon principal doute était de savoir si j’allais réussir à revaloriser cette expérience si le projet ne fonctionnait pas. Je savais qu’en rejoignant Doctolib je quittais le cursus classique. J’ai vite été rassuré en réalisant qu’en se lançant dans un projet de cette envergure, on apprend tellement au quotidien que l’on a forcément des compétences rares à valoriser auprès d’un recruteur. Je pense que c’est un moyen de gagner des années d’expérience. Dans mon cas j’ai été extrêmement chanceux de rencontrer Stanislas et de trouver en lui un mentor exceptionnel.

Gabriel : Le marché du travail valorise certainement mieux ce type d’expérience aujourd’hui qu’il y a 7 ans.

Arthur : Oui j’en suis persuadé. Il serait intéressant de voir comment ont évolué les recherches d’emploi des jeunes diplômés à mesure que l’écosystème français s’est développé. Aujourd’hui j’ai le sentiment qu’il y a une explosion du nombre de startups à rejoindre. Pour finir, ma recommandation serait : si vous croyez à l’équipe et au projet, foncez !

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