First Employee Interview : Lucas Masson

Louise Boucher
Frst
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9 min readMay 23, 2023

Rencontre avec Lucas Masson, un des premiers employés de Sqreen, racheté par Datadog en 2021.

Lucas Masson, Early employee at Sqreen

First Employee est une série d’interviews qui racontent les parcours explosifs et souvent méconnus des premiers employés des plus grands succès Tech de notre écosystème.

Louise : Quel était ton parcours avant de rejoindre Sqreen ?

Lucas : J’ai fait deux stages avant de rejoindre Sqreen : un chez Rocket Internet, et un en venture capital chez Alven.

Mon expérience chez Rocket Internet a été très terrain : je suis parti lancer Everjobs, un réseau social réseau professionnel, en Tanzanie. Il y avait tout à faire : créer un bureau, monter une petite équipe, signer les premiers clients en faisant du porte-à-porte dans toutes les grosses boîtes de Dar es Salam… Ce stage m’a vraiment appris à cultiver une mentalité d’entrepreneur.

Je savais que je voulais soit créer ma boite à terme, soit rejoindre une startup en premier employé. J’avais désormais cette expérience très concrète, mais il me manquait une vue un peu plus stratégique sur ce qui fait une bonne équipe ou un bon projet. Pour ça, le VC me semblait être la meilleure école.

Louise : Et c’est chez Alven que tu as repéré Sqreen ?

Lucas : Oui, quand je suis arrivé chez Alven, un de mes tous premiers meetings était avec Sqreen ! Pierre et Jean-Baptiste présentaient alors leur vision d’un “New Relic pour la sécurité” qui émanait de problèmes qu’ils avaient eux même vécus chez Apple. La technologie d’instrumentation dynamique n’était pas évidente à comprendre du premier coup, mais tout le monde sentait qu’il y avait une opportunité de dingue. On les a fait revenir dès le lendemain pour mieux comprendre le marché, puis on a investi.

Louise : Qu’est ce qui t’avait marqué dans l’équipe fondatrice ?

Lucas : Ils étaient extrêmement visionnaires et crédibles — Pierre et JB avaient travaillé plusieurs années parmi la Red Team d’Apple, et avaient une thèse très forte sur le futur de la sécurité.

Louise : Et c’est à ce moment que tu as décidé de rejoindre Sqreen ?

Lucas : Non, j’ai d’abord fini ma dernière année d’école, où j’avais essayé de monter ma propre startup. Ce fut un échec et on a commis toutes les erreurs des jeunes entrepreneurs encore en école : formé une équipe pas alignée en termes de motivation, construit une solution avant de comprendre le problème…

J’ai donc cherché un job et j’avais deux critères principaux : maximiser ma courbe d’apprentissage personnelle et avoir de fortes responsabilités dès le départ. En VC, les horizons de temps sont longs, et les feedbacks loops s’étirent sur plusieurs années. A l’inverse, chez Rocket Internet, nous avions des cycles d’itération très courts. On se prenait beaucoup de portes mais on apprenait de nouvelles choses tous les jours. Je voulais retrouver ce genre d’expérience. J’ai demandé conseil aux partners d’Alven pour bien choisir la startup que j’allais rejoindre. Les VCs évaluent des startups et équipes fondatrices en permanence, ils ont ainsi une bonne intuition pour déceler les futurs category-leaders. Ils m’ont orienté vers Sqreen, et c’est comme ça que j’ai décidé de les rejoindre.

Louise : A quoi ressemblait Sqreen quand tu es arrivé ?

Lucas : Quand je suis arrivé, en 2017, il y avait une dizaine de dev, un début de produit et on devait faire quelques milliers de dollars en MRR. Sqreen était encore pré product-market-fit. Grâce à Paul, la première recrue non-tech, on générait déjà beaucoup de leads entrants avec le contenu qu’il avait créé. On ne savait pas en revanche vraiment encore à qui et comment vendre le produit.

Il y a eu pas mal de milestones qui nous ont amenés vers le product-market-fit. La clé était de trouver rapidement une niche de clients qui utilisent le produit pour des raisons similaires. Au tout début, j’ai mis en place des process et des indicateurs de performance pour comprendre les différentes étapes de notre cycle de vente. Cela a permis d’identifier les segments de marché, secteurs, persona qui fonctionnaient le mieux. Ensuite, j’ai disséqué la base clients pour comprendre qui achetait le produit et quels étaient les drivers d’achats. C’est là qu’on a vu un pattern se dessiner autour de nos premiers clients. On a compris que nos persona de niches étaient les CTO de SaaS B2B qui avaient eux-mêmes déjà été CTO au préalable — et qui savaient qu’ils seraient confrontés à des problèmes de cybersécurité au fur et à mesure que leur boite grandirait.

Moins d’un an après, en 2018, on est pris à YCombinator et je déménage à San Francisco avec Pierre, le CEO, et Paul, le premier employé Marketing.

L’équipe de Sqreen à YC

Louise : Vous n’étiez pas trop late-stage pour participer à YC ?

Lucas : Cela avait été en effet un véritable dilemme pour les fondateurs : YC coûte “cher” (7% d’equity contre $125.000), or on était déjà parmi les startups les plus matures de la cohorte. Mais Pierre avait l’intuition que YC nous permettrait d’entrer dans une nouvelle dimension.

Ces 3 mois ont constitué une expérience dingue et ont, en effet, été un véritable tournant pour la boite. On a découvert le marché américain où les clients avaient des programmes de sécurité plus matures. Notre PMF était à l’origine sur des startups en séries A/B qui étaient en train de mettre en place leurs premiers outils de sécurité et là on se cassait les dents sur des deals plus gros. Alors qu’on venait chez Y Combinator pour chercher de la croissance, notre courbe de revenus est paradoxalement devenue flat. La courbe d’apprentissage produit est en revanche devenue exponentielle, on a appris en 3 mois ce qu’on aurait appris en 3 ans en temps normal. On itérait de manière quasiment quotidienne : on récoltait des feedbacks clients la journée à SF, on faisait un récapitulatif l’après-midi aux équipes de Product Engineering à Paris. Quand on se réveillait le lendemain, ceux-ci avaient été intégrés au produit. On dit souvent qu’en seed, le revenue est un lagging indicator mais la fréquence des cycles d’itération est le leading indicator de succès. C’est ce qu’on a vécu pendant YC, la croissance des revenus a fortement ralenti mais celle de la qualité et quantité d’itérations sur le produit a explosé. In fine, la croissance des revenus a suivi.

C’est à ce moment qu’on lève une série A avec Greylock.

Ça y est, la term sheet de Greylock est signée !

Louise : Comment se passe la phase post-série A, avant le rachat de Datadog ?

Lucas : Il y a eu, là encore, pas mal de phases différentes. Je reste à San Francisco pendant 3 ans. Greylock nous a fait changer de dimension. D’un coup, on partage les mêmes partners que les leaders mondiaux du marché de la cybersécurité, comme Palo Alto Networks, Okta, OpenDNS. Notre ambition a vraiment monté d’un cran à ce moment, parce que tu te dis que, toi aussi, un jour, tu peux créer un category-leader.

C’est l’époque de ma vie professionnelle où j’ai le plus appris. On a commencé par recruter un premier sales américain avec une dizaine d’années d’expérience. Je me rappelle toujours du premier RDV client où je l’ai accompagné … le jour où j’ai compris que j’étais un débutant en sales ! J’ai appris beaucoup de bonnes pratiques qui me servent encore aujourd’hui. On recrute ensuite un VP Sales qui était un des VP de Github, qui instaure énormément de rituels et méthodologies : forecast calls, deal reviews, MEDDPIC, Force Management. Un VP Marketing nous rejoint ensuite et nous fait passer dans une autre division en termes de positionnement. Toute l’équipe qui m’entourait me sortait constamment de ma zone de confort et me forçait à élever mes standards.

Tout cela m’a aidé à closer les premiers clients du Forture500, de faire des années à plus de $1m d’ARR. Mais comme le disait mon VP “You don’t remember the deals you closed, you remember who you closed them with”, tout ça était le fruit de toute l’équipe. On fait grossir l’équipe sales jusqu’à ~25 personnes.

L’équipe de Sqreen début 2020, répartie entre la France et les US

Louise : C’est à ce moment que Datadog vous rachète ?

Lucas : 3 ans après la série A, on se fait approcher par Datadog. C’était une surprise pour tout le monde mais les planètes se sont alignées au bon moment. Nous partagions la même vision sur l’avenir du marché et le fait que la sécurité doit être mise dans les mains des équipes de développement et d’opérations. Technologiquement, nous faisions de l’instrumentation via une librairie, comme Datadog pour son produit d’Application Performance Management. On se référait d’ailleurs souvent comme le “Datadog for Security” aux clients ! Rejoindre Datadog nous permettait de nous rapprocher plus vite de notre mission et de contribuer à un axe de développement stratégique pour Datadog.

Je décide alors de rentrer en France pour des raisons personnelles, et je passe dans l’équipe Produit. J’aimerais créer ma propre entreprise après, et donc je voulais toucher au produit de près — même si à mes débuts en tant que premier sales, je faisais du produit sans le savoir !

Louise : Quelle a été ta phase préférée ?

Lucas : La phase du début était extrêmement excitante. Dans le monde des startups, c’est certes là où le taux d’échec est le plus haut, mais tu vis une période unique, où tu fais partie d’une équipe qui partage la même ambition et travaille vite. Les cycles d’itération sont extrêmement courts, la courbe d’apprentissage raide, et tu ressens une énergie inégalable.

J’avais aussi beaucoup aimé la phase d’après, où tu crées une équipe à partir des fondations que tu as posées. Tu perds du contrôle progressivement, mais il y a un côté très épanouissant à voir son bébé grandir.

Louise : A l’inverse, quelle a été celle que tu as le moins aimé ?

Lucas : C’est difficile à dire car, même si désormais je fais partie d’une entreprise de plus de 5 000 employés, j’apprends encore énormément et cela avance très vite. L’expérience chez Datadog me permet de comprendre comment opérer à grande échelle. En quelques années seulement, nous avons sorti 4 produits de sécurité désormais utilisés par plus de 5 000 clients. Tu développes des compétences de communication internes, davantage tournées vers l’écrit car tu dois les partager auprès de dizaines de personnes, tu dois construire les produits et les systèmes organisationnels qui permettent de donner une excellente expérience à tous les clients Datadog. Par rapport à la phase Seed/Série A, le curseur n’est plus autant mis sur la rapidité, mais davantage sur la qualité et le scale. C’est une chance d’avoir l’occasion de vivre ces deux stades.

Louise : Tu aurais un conseil pour ceux qui envisagent de rejoindre une startup très early ?

Lucas : La clé pour être le premier employé d’une startup est surtout d’être curieux et d’avoir un ADN profondément cross-fonctionnel. Avant même de pouvoir commencer à faire des sales, il faut comprendre la technologie et le produit. J’ai ainsi passé énormément de temps à disséquer des blogs techniques pour pouvoir l’expliquer à mes clients. Étant donné que tu es celui qui passe le plus de temps avec les clients, tu te retrouves à faire du produit et influencer la roadmap, ou du marketing pour affiner le positionnement. En agrandissant l’équipe, tu te retrouves à faire des modèles financiers pour prévoir le recrutement en fonction des objectifs fixés par le board. Entre-temps, tu te retrouves dans des négociations légales accompagné d’avocats pour signer des clients Enterprise. Globalement, les missions évoluent constamment et permettent de monter en compétences sur tous les sujets clés du développement de startups. C’est ça qui rend le job excitant !

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