First employee: Payfit

Gabriel de Vinzelles
Frst
Published in
9 min readFeb 19, 2021

Une discussion avec Emmanuel Bourmalo, premier employé de Payfit.

First Employee est une série d’interviews qui racontent les parcours explosifs et souvent méconnus des premiers employés des plus grands succès Tech de notre écosystème. Frst est investisseur chez Payfit.

  • Premier employé et développeur, Emmanuel évoque sa rencontre avec les fondateurs et pourquoi il a choisi de les rejoindre en novembre 2015
  • Il nous raconte comment Payfit s’est transformé une fois le Product-Market Fit atteint et comment il a appris à manager en devenant Head of Engineering
  • Emmanuel revient sur ce qu’il a appris pendant ses 4 ans chez Payfit, les avantages du rôle de premier employé, mais aussi ses limites, et comment cela lui a donné envie de créer une nouvelle startup
Firmin, Emmanuel, Ghislain, Florian

Gabriel : Qu’est-ce que tu faisais avant Payfit ?

Emmanuel : Je travaillais dans une startup qui organise des hackathons et autres événements permettant à des grands groupes de recruter des développeurs. J’y suis resté peu de temps, à peine 4 mois, car je n’ai pas eu de fit avec le produit, et parce que la boîte n’avait pas le bon niveau d’ambition. Ça a été l’occasion de réaliser que je voulais une aventure beaucoup plus early stage, avec plus d’ambition et d’adrénaline.

Gabriel : As-tu toujours été intéressé de rejoindre une startup à ses premiers jours ?

Emmanuel : Pas du tout, ça a été une découverte très progressive. Je me suis rendu compte au fur et à mesure que plus j’arrivais tôt dans les projets, plus j’avais des responsabilités, plus je touchais à tout et accélérais ma courbe d’apprentissage. J’aime cette pression où l’on ressent vraiment le besoin de ce que l’on fait, sentir l’impact de son travail. Après plusieurs expériences de dév je me suis rendu compte que je voulais soit créer une startup soit rejoindre une aventure très tôt.

Gabriel : Top. Peux-tu nous raconter comment tu as rencontré les founders de PayFit ?

Emmanuel : Oui, c’est assez marrant comme anecdote. Je passais beaucoup de temps sur un Slack pour Co-Founders et CTO. Ghislain (CTO de Payfit) m’a écrit sur ce Slack en me disant « On est en train de créer une solution très sympa, on cherche notre premier employé, est ce que tu serais chaud d’en parler ? ». Je lui ai dit que je cherchais plutôt à co-fonder une startup, mais ça ne coûtait rien de lui parler. Du coup on a fait notre call et je me suis rendu compte très rapidement qu’il y’avait un fit très fort avec Ghislain.

Le projet était super ambitieux, avec un gros challenge technique à tacler. Après l’échange, on s’est dit qu’il y’avait un double match très positif. Par contre je vivais à Nantes à cette époque-là et eux cherchaient quelqu’un full time à Paris. Je n’étais pas prêt à déménager à Paris. On n’a pas pris de décision claire à ce moment-là, on a laissé la porte ouverte. On a continué à échanger pendant environ un mois, en s’aidant mutuellement car je continuais à évaluer des projets à rejoindre et Ghislain me posait des questions sur comment recruter. On s’est rendu compte qu’on avait eu un coup de coeur et qu’il fallait trouver une solution pour bosser ensemble.

Firmin (CEO) m’a appelé pour en discuter et le fit avec lui était immédiat : discussion très pertinente, ça déroule, c’est très concret, ça avance vite, j’adorais l’ambiance. Firmin m’a demandé ce que l’on pouvait faire pour réussir à bosser ensemble et m’a proposé de passer 3 jours par semaine à Paris, ce qui me convenait ! J’ai alors fait un call avec Firmin, Ghislain et Florian (CPO) que je n’avais pas encore rencontré. On se met rapidement d’accord sur les conditions de l’entrée et 1 mois plus tard c’est le début de l’aventure.

Gabriel : D’après toi, pourquoi as-tu plus fité avec eux qu’avec les autres entrepreneurs rencontrés à ce moment-là ?

Emmanuel : Tout d’abord l’ambition. Pour eux il n’y avait pas de limites à ce que l’on pouvait construire avec Payfit. J’ai adoré cette philosophie. Ensuite leur vision, que je partageais avec eux comme si c’était ma boîte. On était vraiment aligné sur comment construire Payfit. Dernière chose, je les ai trouvés ultra smarts, ils vont très vite et ça m’a donné envie de bosser avec eux.

Gabriel : C’est intéressant, tu ne mentionnes à aucun moment leur nombre de clients, leur CA ou leur niveau de financement dans ta prise de décision.

Emmanuel : En 2015, lorsque je les ai rejoints, ils avaient un demi-produit, levé un petit seed et n’avaient pas de client. Tout était à construire. J’ai rejoint la boîte pour passer du temps avec Firmin, Flo et Ghislain et je sentais que ça allait bien se passer.

Gabriel : Donc tu es rentré dans l’aventure fin 2015, c’est ça ?

Emmanuel : Oui, exactement, c’était en Novembre 2015, 1 mois après ce fameux call.

Gabriel : Quelles étaient tes premières missions chez Payfit ?

Emmanuel : Beaucoup de Tech au début. Focus sur le développement du produit. Spécifiquement créer la base de données et gérer le multi-user. Ensuite j’ai travaillé sur le Jetlang, le langage utilisé par Payfit pour gérer la paie. On était un binôme avec Ghislain pour s’occuper de toute la Tech. L’interface graphique à l’époque était extrêmement simple. Très minimaliste. On voyait jour après jour comment notre travail faisait évoluer le produit, j’adorais cet ownership extrême qui permet de faire évoluer le produit à une cadence de fusée.

Gabriel : Quand tu as rejoint Payfit il n’y avait pas d’utilisateur. Le produit se limitait à une interface graphique qui ne livrait pas encore de fiches de paie c’est bien ça ?

Emmanuel : Oui exactement. On n’avait pas d’utilisateur donc on travaillait dans le noir. Notre beta a commencé début 2016, avec un cercle de clients très actifs, qui nous ont donné beaucoup de retours. A partir de là tout s’est enchaîné très vite puisque la roadmap a été drivée par les besoins des clients.

Gabriel : Qu’est ce qui a changé dans ton quotidien lorsque vous êtes sortis de Beta ?

Emmanuel : Le produit n’avait pas été construit pour supporter 5,000 ou 10,000 utilisateurs. Il a fallu agrandir rapidement l’équipe de développement, trouver des process de collaboration afin de donner à tous le même niveau d’information et les bons outils pour rester productifs. On voulait créer une culture où tout le monde soit owner, autonome, productif, mais kiff son travail au jour le jour. On a orchestré avec Ghislain le passage d’une équipe de 2 à 5, 10, et plus. Ça a beaucoup changé ce que je faisais au quotidien.

Gabriel : Tu as sorti les mains du code pour faire du management très vite. Est-ce que c’était difficile pour toi ?

Emmanuel : J’avais eu des expériences en tant que Tech Lead, donc dans l’encadrement technique. Avec Payfit c’était une casquette différente. J’ai rejoint Payfit en grande partie pour le challenge technique, mais j’ai ensuite tout fait pour que Payfit reste un environnement idéal, et garde ce spirit très fort. En 24 mois j’ai progressivement fait de moins en moins de dév pour faire de plus en plus de management. Le dév est un domaine très concret. L’impact est direct et le reward très gratifiant. Le management peut être perturbant pour une personne technique car on entre dans un domaine plus abstrait où le reward est davantage subjectif, à l’appréciation de chacun. Au global j’ai beaucoup aimé cette expérience, notamment apprendre à connaître les gens, faire en sorte qu’ils adorent ce qu’ils font au quotidien et essayer de les faire évoluer. Améliorer la vie des gens peut devenir assez jouissif, et c’est quelque chose que l’on n’a pas avec le code.

Gabriel : Est-ce que tu penses que les premiers employés d’une startup sont naturellement amenés à prendre cette casquette managériale et assurer la transmission des valeurs comme tu l’as fait ?

Emmanuel : Je pense que le rôle d’un premier employé est d’être une extension des co-founders. On devient une passerelle entre les co-founders et les employés. On a un rôle hybride car d’un côté on a toute la vision et l’historique de la boîte, et de l’autre la perspective d’un employé, au cœur de la machine. Ça permet de faire comprendre aux co-founders le ressenti des employés et vice versa.

Gabriel : Super intéressant. Malgré le fait que l’organisation se soit complètement transformée au fil des années tu as gardé une relation privilégiée avec les founders. Cette relation leur permet d’avoir un regard un peu plus objectif, un peu moins partiel sur ce qui se passe dans leur entreprise.

Emmanuel : Quand je travaillais avec les trois co-founders, je n’avais pas l’impression de travailler avec mes boss. Je travaillais avec des amis, sans relation hiérarchique. Ça me permettait d’être le middle man. J’ai adoré cette connexion.

Gabriel : Got it. On a beaucoup parlé des avantages du rôle, je suis sûr que l’on peut lui trouver quelques inconvénients.

Emmanuel : C’est évidemment personnel mais je pense que ça arrive souvent : en tant que premier employé on a accès à plein de données, on vit les choses comme un co-founder sans être co-founder. Une petite frustration peut apparaître. Je ne pouvais par exemple pas participer au board, ou ce genre de choses qui sortent vraiment du cadre. Ce sentiment de frustration s’est dissipé mais je suis resté sur ma faim, car il reste quelques pourcents d’apprentissage que je n’ai pas pu avoir à cause de ce statut d’employé. C’est pour ça que j’ai désormais créé ma propre aventure.

Gabriel : Au global tu es resté 4 ans chez Payfit. Comment a évolué ton rôle sur ces 4 années ?

Emmanuel : Donc il y’a eu la première phase de construction du produit avec Ghislain. On a ensuite rapidement élargi l’équipe Tech.

La deuxième phase commence lorsqu’on a été plus de 5 dans l’équipe. A partir de ce moment j’ai commencé à passer un peu plus de temps sur un rôle de Tech Lead, à faire des Code Reviews et vérifier que toute l’équipe était bien synchro.

Quand on a été 13–14 dans l’équipe Tech on s’est rendu compte qu’il était important de travailler l’expérience de l’équipe afin de solidifier la culture de la boîte, savoir si les développeurs étaient vraiment contents de bosser avec nous et réfléchir à comment améliorer ça. Deux rôles sont apparus progressivement : le rôle du CTO qui garde la direction technique et un rôle davantage focus sur le management, centré sur la culture, le recrutement et le People, que j’ai pris. Sur cette troisième phase j’ai pris le titre de Head of Engineering, et ça a été comme ça jusqu’en début 2019. On est arrivé à 25–30 personnes dans la team Tech.

A ce moment on s’est demandé avec Ghislain si je gardais cette position de Head of Engineering pour gérer la croissance forte de l’équipe, ou si on recrutait un VP Engineering afin que je puisse retourner sur un rôle plus Tech. Étant donnée la croissance de la boîte on a trouvé plus pertinent de recruter quelqu’un qui avait déjà fait ce job. Je me suis occupé de la refonte technique du module de génération des déclarations sociales, une énorme brique chez Payfit. J’ai orchestré tout le projet pour 5 pays. J’ai retrouvé le plaisir de faire de la Tech avant de partir de l’aventure fin 2019. A la fin de mon chemin, je me suis aperçu que la partie Tech me correspondait plus et que je me sentais complètement soulagé et libéré de pouvoir confier la partie People et management à un VP engineering.

Gabriel : Avec le recul, ce type de trajectoire ultra rapide et très dense, tu penses que ça correspond à quel type de personne ?

Emmanuel : Je pense qu’il faut être curieux, être prêt à avoir beaucoup de responsabilités, toucher à tout. Être également drivé par l’impact, comprendre que si on ne fait pas cette task, ça ne sera pas fait. Il y a cette pression naturelle ultra bénéfique car extrêmement responsabilisante. Je pense que pour les gens qui ont besoin de cette adrénaline, ce type de job est le meilleur médicament.

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