First Employee : Swile
Une discussion avec Romain Libeau, un des cinq premiers employés de Swile et aujourd’hui CPO.
First Employee est une série d’interviews qui racontent les parcours explosifs et souvent méconnus des premiers employés des plus grands succès Tech de notre écosystème.
- Romain revient sur sa rencontre avec Loïc Soubeyrand, le CEO de Swile et sur leur symbiose au sujet du type d’entreprise qu’ils voulaient construire
- Romain raconte les 12 premiers mois de recherche du Product-Market Fit et comment Swile est passé d’une solution de click & collect pour restaurateurs à une entreprise qui refaçonne l’expérience employé
- Il nous explique la transformation continue de son rôle dans une organisation en hyper-croissance, de CMO à COO et maintenant CPO
Gabriel : Que faisais-tu avant Swile et comment as-tu rencontré Loïc ?
Romain : J’ai eu la chance de lancer Deliveroo en France en tant que Directeur Marketing. C’était une expérience incroyable mais après 18 mois je me suis confronté à un cycle, fréquent en marketing B2C. On commençait à tout refaire pour la deuxième fois : la Saint-Valentin, la finale de la Ligue des Champions, etc. Après être passé quelques mois sur le lancement des Roobox, les Dark Kitchens de Deliveroo, j’ai réalisé que j’étais de moins en moins aligné avec les conditions de travail que le modèle Deliveroo proposait aux livreurs. Ce désalignement devenait pénible au quotidien, et je me suis mis à l’écoute du marché.
C’est un chasseur de tête qui nous a mis en contact avec Loïc. Ce qui n’est pas très romantique, il y a mieux comme bromance. Néanmoins on a eu un fit humain fort. Je n’ai pas passé d’entretien à proprement parlé, on a vite réalisé qu’on avait les mêmes références, comme Captain Train sur le produit par exemple, et que l’on voulait construire une entreprise humaine.
Loïc avait vendu Teeds à Altice, ce qui lui a permis de lever 2,5m€ avant d’avoir un produit. Pour être honnête j’avais quelques doutes sur l’idée. Mais ayant déjà monté deux startups je savais qu’il y a beaucoup d’itérations nécessaires entre l’idée de départ et le Product-Market Fit. Ce qui compte le plus est que le projet soit monté par des gens intelligents avec suffisamment de moyen. Par ailleurs sa façon de travailler me plaisait particulièrement : extrêmement réceptif, capable de créer du désaccord constructif, laissant de la place aux doutes.
Gabriel : Tu rejoins Swile après le seed et avant le lancement du produit. Ce premier produit est une solution de click & collect.
Romain : Exactement. Le click & collect était à ce moment peu répandu. La livraison commençait à émerger et les restaurants étaient plus à l’aise de travailler avec des tablettes, mais le marché était peu mature. Moins qu’aux US par exemple.
Gabriel : Je crois que vous avez vite fait évoluer ce produit ?
Romain : L’effort nécessaire pour changer les habitudes de consommation au moment de la pause déjeuner en entreprise était disproportionné par rapport aux bénéfices du click & collect pour nos utilisateurs.
On a testé un modèle de commande en groupe rapidement. Je suis allé déjeuner tous les midis dans une entreprise différente. C’était une expérience extrêmement riche. Je pouvais voir tout ce qui était en dehors du produit : les interactions sociales autour du déjeuner, le contexte d’usage, le non-verbal, etc. Je me suis rendu compte que le déjeuner était un moment où la culture d’une entreprise devenait perceptible. Pour comprendre la culture d’une entreprise il suffit d’observer l’endroit où les gens déjeunent !
On s’est rendu compte que les 2 sujets qui fédéraient les utilisateurs lors de leur pause déjeuner étaient simplement l’argent, l’incentive financière, ainsi que l’effet de groupe. On a combiné ces sujets dans un produit permettant de grouper les commandes et d’obtenir des réductions. Ce qui intéressait également les restaurants qui ne savaient pas s’adresser à des groupes pour augmenter leur volume de commandes. On a itéré autour de ce produit jusqu’à se rendre compte que la priorité des salariés lors de leur pause déjeuner était en fait de dépenser leurs tickets restaurants.
On ne comprenait pas pourquoi en 2018 les salariés utilisaient encore des titres papiers et on a eu une épiphanie quand on s’est aperçu que les entreprises de ce marché, assises sur un tas d’or, ne s’étaient jamais vraiment digitalisées. On a travaillé pendant 12 mois pour construire un produit fintech avec une carte bancaire, sans aucune connaissance préalable. On a pris le parti de rester sous le radar des acteurs historiques du marché pour ne pas attirer leur attention. Notre produit a été un carton dès sa sortie.
Une histoire que l’on raconte souvent et qui montre bien l’attrait des clients pour notre solution : j’ai signé les 100 premiers contrats tout seul, en quelques semaines et au téléphone. Les gens avaient besoin d’une meilleure expérience de gestion de leurs tickets restaurant. On savait qu’on tenait quelque chose.
Gabriel : Tu as rejoint Swile en tant que CMO, mais j’ai l’impression que tu as vite eu plusieurs casquettes ?
Romain : Je n’ai jamais vraiment été CMO. Professionnellement, j’ai toujours été drivé par les rencontres, et animé par l’idée qu’il fallait avant tout choisir les gens avec qui l’on travaille car on passe plus de temps avec eux qu’avec ses amis ou sa famille. Quand j’ai rencontré Loïc, c’était évident qu’il fallait que l’on travaille ensemble. Comme je faisais du marketing chez Deliveroo, il m’a proposé de faire du marketing, même si j’ai avant tout un profil d’entrepreneur.
Gabriel : Tu peux nous décrire l’équipe de Swile à ton arrivée ?
Romain : On était 4 ou 5 employés. Loïc était à Montpellier et nous étions à Paris. Il y avait Xabi Duport, qui était Customer Success Manager et qui venait de mon ancien principal concurrent Take Eat Easy. Lucie Houis, qui était la première commerciale, et ensuite des développeurs en freelance, comme Vincent et Stéphane. A notre lancement on était une marketplace, donc Lucie et Xabi s’occupaient de la supply — les restaurants, et moi je m’occupais de la demand — les consommateurs. On a du recruter des profils spécialistes lorsque l’on a pivoté vers un produit fintech.
Gabriel : A quel moment avez-vous trouvé votre Product-Market Fit ?
Romain : On a trouvé notre Product-Market Fit en vendant des tickets restaurants. Ce qui est drôle c’est que c’est précisément à ce moment que l’on a commencé à être juste en trésorerie.
Il nous restait 6 mois de runway lorsque l’on a sorti le produit. Même si Loïc grâce à son parcours était bien connecté, il fallait quand même des metrics solides pour lever une Series A. Et nous ne les avions clairement pas. Un VC a décidé de préempter le tour. Au bout de quelques semaines il s’est désengagé et on s’est retrouvé dans une situation encore plus compliquée.
Ce process a eu le mérite de nous montrer les points sur lesquels nous n’étions pas assez préparés. On a finalement réussi à lever en montrant aux investisseurs des lettres d’intérêt de nos clients, ce qui est vraiment atypique. On est parti avec Idinvest et on a ensuite complètement changé de dimension.
Gabriel : Comment a évolué ton job à ce moment ?
Romain : Je me rappelle très bien d’une discussion avec Loïc rue du Faubourg Montmartre. On réfléchissait au fait que nos clients étaient incapables de nommer le nom de leur fournisseur de tickets restaurant. Nos concurrents n’avaient pas de marque forte. On a compris qu’il y avait un coup à jouer sur la construction de cette Brand et on a décidé de chercher un CMO B2C expérimenté. Jusqu’à présent je faisais plein de choses dont du marketing, ça nous a paru évident que j’évolue en prenant la direction des opérations avec le rôle de Chief Operation Officer.
Gabriel : Pourquoi ce rôle plus qu’un autre ?
Romain : A ce moment on était une cinquantaine et j’étais déjà légitime dans ce rôle pour l’équipe. Il reflétait bien le partage des responsabilités entre Loïc et moi et me permettait de garder une vision holistique de la boîte.
Gabriel : Tu as gardé ce job 2 ans ?
Romain : Exactement. J’ai fait des cycles de 2 ans chez Swile : CMO pendant 2 ans puis COO pendant 2 ans. Je suis aujourd’hui CPO.
Pour être en mesure de pouvoir IPO Swile il faut nous structurer, ce qui passe par créer de la verticalité. On a besoin de profils qui ont déjà l’expérience pour nous permettre de passer les différents jalons dans les meilleures conditions. On se pose systématiquement la question de recruter en externe quand on pense que ça peut nous permettre d’aller plus vite.
Dans cette dynamique on a recruté Grégory Gazagne, un ancien de Criteo, qui a pris le job de Chief Operating Officer et William Kunter pour le rôle de Chief Finance Officer. On a également créé le rôle de GM France, occupé par Julien Cutolo notre ancien directeur commercial. Je suis impressionné par le parcours de Julien, qui a eu un gros impact sur l’histoire de Swile et une progression fulgurante chez nous.
Au fur et à mesure de ce staffing j’ai pu me concentrer sur des nouveaux sujets, dont plusieurs autour du produit. Par exemple j’ai mené 2 acquisitions : Briq, pour l’engagement des employés, et Sweevana pour la gestion des cartes cadeaux. J’adore la dimension fintech du produit que l’on construit, tous ces enjeux techniques autour de l’infrastructure du paiement. On est par ailleurs en train de devenir l’équivalent d’une banque, ce qui entraîne de nombreux sujets réglementaires. Je suis curieux et plus un sujet est compliqué plus j’aime me plonger dedans pour le simplifier.
Gabriel : Sur les 5 dernières années quels sont les sujets sur lesquels tu as rencontré le plus de difficultés ?
Romain : Le plus dur a été le recrutement et le management. Pour aller vite il faut fixer un haut niveau d’exigence opérationnelle tout en faisant preuve de beaucoup d’empathie et d’attention pour tous les collaborateurs. Cet équilibre est difficile à trouver et on a parfois échoué, même si on a toujours voulu être irréprochable sur la dimension humaine. Il y a eu quelques histoires dans “Balance ta startup” qui nous ont d’abord affectés mais finalement rendus service car nous avons décidés à ce moment de devenir radical et de ne plus faire aucun compromis sur ces sujets.
On aime devoir réinventer notre organisation. Travailler à 50 est différent que travailler à 200 ou à 500. C’est pour ça que l’on a signé !
Gabriel : A t’entendre on comprend que tu as tout adoré dans ton parcours chez Swile. Malgré ça, est-ce que tu vois des inconvénients structurels au rôle de premier employé ?
Romain : Honnêtement je ne vois que des avantages. Les tâches sur lesquelles j’ai trouvé le moins de plaisir en étant entrepreneur étaient lever des fonds, gérer les relations avec les VCs et la trésorerie. J’aime l’opérationnel et c’est une super complémentarité avec Loïc qui excelle en stratégie et relations investisseurs.
Gabriel : A quel type de profil recommanderais-tu de rejoindre une startup à ses débuts ?
Romain : J’ai également une activité de business angel qui me permet de fréquenter beaucoup d’entrepreneurs. Je remarque souvent qu’ils s’entourent de premiers employés juniors parce qu’ils n’osent pas investir dans des profils plus expérimentés. Je pense que c’est une erreur fréquente de first time entrepreneur. Dans un contexte d’hyper-croissance la courbe d’apprentissage exigée est hors-norme. Pour faire face à cette courbe mieux vaut être entouré de personnes ayant déjà eu plusieurs expériences professionnelles. Au début de l’aventure il est encore possible de donner beaucoup de BSPCE aux premiers employés. Cela permet d’attirer des profils expérimentés tout en les incitant à rester longtemps, ce qui est important puisqu’ils vont devenir le socle de l’entreprise. En parallèle il est important de créer une culture qui amène les gens à grandir, sinon l’entreprise perd tous ses premiers éléments au bout de 2 ans et ses fondamentaux sont mis à mal.
Je pense qu’un premier employé doit aussi avoir une mentalité d’entrepreneur, prêt à enfoncer des portes, à apprendre de nouvelles choses en autonomie et sortir de sa zone de confort.
Et pour finir je pense qu’il ne faut pas avoir trop d’ego. Par exemple des collaborateurs n’ont pas réussi à passer le cap de la croissance parce qu’ils vivaient mal la spécialisation de leur scope. Mécaniquement nous sommes passés d’une organisation où tout le monde faisait tout à une organisation où chacun est amené à faire de mieux en mieux une tâche spécifique. C’est exactement ce qui m’est arrivé lorsque je suis passé de COO à CPO. J’ai abandonné certaines fonctions et fait de la place pour accueillir des spécialistes chez Swile. C’est une transformation nécessaire.