Une nouvelle approche de l’évaluation du marché du travail

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9 min readNov 30, 2023

Par: Rachel Shah et Sara Murray

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Il existe une nouvelle approche des programmes d’aide à l’emploi ; le saviez-vous ? Une approche porteuse de changements systémiques et durables.

Traditionnellement, ce type de programme s’adresse directement à une population cible désavantagée par les systèmes existants. Or il ne tient pas compte trop souvent des nombreuses contraintes du monde réel auxquelles les personnes sont confrontées après avoir bénéficié du programme ni de la manière dont d’autres pourront profiter des services après la clôture de celui-ci. Citons à titre d’exemple une jeune mère qui a suivi une formation professionnelle financée par des donateurs. Si le marché du travail est saturé, si son employeur ne propose pas de services de garde d’enfants subventionnés ou si elle ne peut même pas faire le trajet jusqu’à son lieu de travail en sécurité, il est peu probable qu’elle puisse obtenir un emploi et mettre à bon usage ses nouvelles compétences. Et quand bien même elle y parviendrait, qu’en est-il des autres femmes de sa communauté ? Après la clôture du programme, comment pourront-elles obtenir une formation professionnelle sensible à la dimension de genre ?

Le développement de systèmes de marché favorables à l’emploi (MSD4E) aborde différemment les programmes destinés à assurer des moyens de subsistance et à créer des emplois. Les programmes de MSD4E analysent, par le biais d’évaluations systémiques du marché du travail (ESMT), les raisons pour lesquelles les systèmes d’emploi donnent des résultats insuffisants, et interviennent en conséquence pour améliorer leur fonctionnement. Afin de garantir la pérennité des améliorations apportées, ces programmes s’appuient entièrement sur les acteurs du système existant, comme les pouvoirs publics et le secteur privé, plutôt que de fournir eux-mêmes directement les services.

Qu’est qu’une évaluation systémique du marché du travail ?

Une ESMT trace la voie pour les interventions destinées à améliorer les systèmes dont dépend le plus la population cible et constitue, à ce titre, la pierre angulaire des programmes de MSD4E. Elle recense les secteurs économiques et d’appui les plus susceptibles de créer des possibilités d’emploi pour les membres de la population cible, ainsi que les contraintes systémiques qui empêchent cette population de trouver un travail fiable, gratifiant et décent. C’est en profondeur qu’elle étudie les causes de ces contraintes pour ensuite proposer des solutions visant à y remédier définitivement.

Contrairement à l’ESMT, l’évaluation standard des besoins en moyens de subsistance et l’évaluation du marché du travail (EMT) se concentrent principalement sur les travailleurs — autrement dit, sur l’offre de main-d’œuvre. Les résultats obtenus reflètent la situation des membres de la population cible, notamment les lacunes en compétences et les problèmes d’adéquation entre l’offre et la demande d’emploi. Ce n’est qu’exceptionnellement que ces évaluations se penchent en détail sur la demande de main-d’œuvre ou sur la manière dont la sous-performance de certains secteurs économiques se répercute sur l’accès au travail et sur l’expérience professionnelle des individus. Les ESMT, quant à elles, se concentrent sur un nombre limité de systèmes — notamment ceux qui affectent à la fois la demande et l’offre de main-d’œuvre — et proposent des idées d’interventions qui ne se limitent pas à pourvoir les postes vacants.

Un jeune garçon debout dans un champ tient un sac de courges.
Mercy Corps a aidé les agriculteurs à augmenter leurs récoltes dans les zones arides du Zimbabwe. (Crédit Photo : Ross Hornsey/Mercy Corps)

L’activité de conception, évidence, analyse et apprentissage sous l’égide des organismes d’éxecution (IDEAL), financée par le Bureau d’aide pour l’assistance humanitaire (BHA) de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), a passé un contrat avec DevLearn pour que ce dernier pilote la méthodologie ESMT en Haïti et au Zimbabwe, en partenariat avec les équipes de Mercy Corps. Les évaluations pilotes ont eu lieu entre octobre 2021 et mars 2022. À la lumière des enseignements qui en ont été tirés, il a été mis au point un processus d’ESMT en cinq étapes :

  1. Comprendre et segmenter le groupe cible. D’une importance capitale, cette première étape vise à cerner les capacités, besoins et préférences en matière d’emploi des travailleurs et des chercheurs d’emploi. Une évaluation des besoins est nécessaire pour tout programme, mais l’ESMT, qui segmente la population cible sur la base de capacités, d’aspirations et d’opportunités communes, révèle des informations plus approfondies sur les sous-groupes pour garantir la prise en compte de leurs différents besoins lors de la conception d’interventions systémiques. En Haïti et au Zimbabwe, par exemple, les ESMT ont segmenté la population en fonction du genre (en mettant l’accent sur les femmes) et de l’âge (en mettant l’accent sur les jeunes). L’équipe a constaté la nécessité d’une segmentation plus approfondie et a, depuis, consacré des ressources à cet effet dans les programmes de MSD4E. C’est ainsi qu’un programme de MSD4E récemment lancé au Zimbabwe a recensé des différences entre les femmes situées à proximité ou non des centres de croissance économique, et celles ayant un accès élevé ou faible aux ressources financières et autres — ce qui s’est traduit par la définition de quatre segments de femmes.
  2. Examiner soigneusement le marché du travail. La deuxième étape sert un double objectif, à savoir trouver les secteurs les plus prometteurs pour l’augmentation ou l’amélioration de l’emploi, et se faire une première idée des principaux problèmes du marché du travail pour le groupe cible. Il en résulte une longue liste initiale de secteurs économiques à examiner de plus près. C’est ainsi que l’équipe de recherche, à la suite d’une analyse documentaire du marché, a pu relever 21 secteurs au Zimbabwe et 12 en Haïti, et cerner les tendances contextuelles et macroéconomiques qui pèsent sur l’emploi dans les deux pays.
  3. Comprendre et sélectionner les secteurs économiques. La troisième étape vise à passer au crible la liste des secteurs établie lors de l’étape précédente pour évaluer leur pertinence pour les différents segments du groupe cible (définis lors de la première étape), l’existence d’une véritable opportunité d’amélioration durable et évolutive et la possibilité pour le programme de profiter de cette opportunité. Est alors établie la liste des secteurs retenus.Au Zimbabwe, par exemple, ce sont les secteurs de l’énergie solaire, de l’agroalimentaire, du bois, du tourisme et des technologies de l’information et de la communication (TIC) qui ont été retenus pour faire l’objet d’un examen plus approfondi. La liste des secteurs retenus est basée sur l’évaluation des secteurs au regard d’une série de critères, notamment le potentiel relatif du secteur à offrir un emploi aux jeunes femmes et hommes et à augmenter leurs revenus, le potentiel de croissance verte, le potentiel de contribution à la sécurité alimentaire, le potentiel de renforcement de la résistance aux chocs, la demande des consommateurs, les tendances en matière d’investissement, le potentiel de collaboration avec les partenaires des secteurs privé et public, l’alignement sur les priorités publiques, l’infrastructure facilitatrice et la probabilité des retombées.
  4. Comprendre et analyser les systèmes de marché. Cette étape vise à comprendre les contraintes et opportunités pour chaque système retenu. L’ESMT du secteur agroalimentaire zimbabwéen, par exemple, a révélé que la plupart des entreprises de transformation agroalimentaire ne fonctionnaient qu’à 40–80 % de leur pleine capacité en raison d’un accès insuffisant aux matières premières, comme les céréales et les fruits. En Haïti, l’analyse du secteur du transport et de la distribution a révélé que 30 % de la production agricole du pays se perdait en raison de la détérioration des produits et du manque d’accès aux marchés. Les services de transport sont coûteux et fragmentés, opérés par de multiples petits fournisseurs. Les coûts élevés s’expliquent d’une part par la mauvaise qualité des routes et d’autre part par le faible niveau d’organisation des transporteurs et le manque d’accès à des services locaux d’entretien.
  5. Définir une vision et formuler des propositions d’intervention. À cette étape, l’équipe de mise en œuvre s’appuie sur les résultats des analyses des systèmes de marché pour définir une vision de la manière dont chaque système pourrait mieux fonctionner pour offrir au groupe cible des perspectives d’emploi durables, même après la fin du financement par les bailleurs de fonds. Sur cette base, elle élabore des propositions de mise en œuvre permettant de concrétiser cette vision. C’est ainsi que pour remédier aux contraintes recensées dans le secteur agroalimentaire zimbabwéen, l’ESMT a proposé une intervention visant à améliorer la fiabilité et la qualité de l’approvisionnement en intrants d’origine nationale, comme les céréales et les fruits. Ce type d’intervention pourrait réduire la dépendance à l’égard de l’importation onéreuse de produits alimentaires et contribuer à la création d’emplois non seulement au niveau des transformateurs, mais aussi des agriculteurs produisant ces intrants et d’autres acteurs du marché tout le long de la chaîne de valeur (transporteurs, commerçants, etc.). L’intervention ne prévoit pas l’engagement direct des demandeurs d’emploi, mais plutôt l’amélioration du système en tant que tel. En Haïti, l’intervention proposée est destinée à favoriser le développement de services de transport spécialisés en produits frais et à renforcer la capacité des mécaniciens locaux à effectuer des réparations plus complexes. Cette démarche pourrait accroître l’efficience et générer, par la même occasion, des possibilités d’emploi tout au long de la chaîne de valeur du transport et au-delà. Le responsable du programme de la sécurité alimentaire et de la résilience de Mercy Corps Haïti, Edryne Pepjy Michel, a réagi aux conclusions comme suit : « Je n’avais jamais pensé au [secteur des transports] avant cela, mais ce secteur est important dans la mesure où les pertes post-récolte constituent l’un des principaux problèmes auxquels nous sommes confrontés… Je vois le potentiel, en particulier pour les jeunes et les femmes qui ne sont pas traditionnellement associées à la mécanique… Je pense que c’est faisable ».
Un groupe d’hommes et de femmes utilisent des râteaux et des pelles pour creuser un trou à l’extérieur.
Les bénéficiaires du programme Travail contre rémunération de Mercy Corps remettent en état une route dans leur commune. Trianon, Plateau central, Haïti. (Crédit Photo : Ben Depp/Mercy Corps)

Et maintenant ?

La réalisation d’ESMT dans de multiples contextes a révélé bien des choses sur ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Les enseignements tirés sont repris dans le rapport intégral, mais aussi dans la note de synthèse d’IDEAL sur les ESMT menées au Zimbabwe et en Haïti. Les conclusions ont également été intégrées dans le Rough Guide to Youth Employment and MSD in Sub-Saharan Africa, commandé par le Comité des donateurs pour le développement d’entreprise.

S’appuyant sur les enseignements tirés de cette microsubvention financée par IDEAL ainsi que sur l’expérience acquise dans la mise en œuvre des programmes de MSD4E, Mercy Corps s’attache actuellement à soutenir les programmes dans leur exécution des ESMT. Ces connaissances seront consignées dans des guides pratiques couvrant chaque étape du processus de l’ESMT.

Pour en savoir plus sur la mise en œuvre d’approches systémiques dans les programmes d’aide à l’emploi ou pour rester informé(e) sur l’élaboration des guides pratiques sur l’ESMT, veuillez contacter youthemployment@mercycorps.org.

Consulter l’intégralité du rapport | Consulter un résumé du rapport

Traditionnellement, ce type de programme s’adresse directement à une population cible désavantagée par les systèmes existants. Or il ne tient pas compte trop souvent des nombreuses contraintes du monde réel auxquelles les personnes sont confrontées après avoir bénéficié du programme ni de la manière dont d’autres pourront profiter des services après la clôture de celui-ci. Citons à titre d’exemple une jeune mère qui a suivi une formation professionnelle financée par des donateurs. Si le marché du travail est saturé, si son employeur ne propose pas de services de garde d’enfants subventionnés ou si elle ne peut même pas faire le trajet jusqu’à son lieu de travail en sécurité, il est peu probable qu’elle puisse obtenir un emploi et mettre à bon usage ses nouvelles compétences. Et quand bien même elle y parviendrait, qu’en est-il des autres femmes de sa communauté ? Après la clôture du programme, comment pourront-elles obtenir une formation professionnelle sensible à la dimension de genre ?

Le développement de systèmes de marché favorables à l’emploi (MSD4E) aborde différemment les programmes destinés à assurer des moyens de subsistance et à créer des emplois. Les programmes de MSD4E analysent, par le biais d’évaluations systémiques du marché du travail (ESMT), les raisons pour lesquelles les systèmes d’emploi donnent des résultats insuffisants, et interviennent en conséquence pour améliorer leur fonctionnement. Afin de garantir la pérennité des améliorations apportées, ces programmes s’appuient entièrement sur les acteurs du système existant, comme les pouvoirs publics et le secteur privé, plutôt que de fournir eux-mêmes directement les services.

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