Aligner objectifs collectifs et individuels : retour sur une année d’expérimentation des OKRs

Guewen
Demain sera bien. Par Haigo.
11 min readNov 2, 2016
Photo J. Pendleton on Unsplash

Parmi les nombreuses frustrations que nous avons eues en travaillant chez nos précédents employeurs, il y avait le manque de transparence et de qualité du suivi de nos objectifs.

Quel juste milieu entre l’entretien annuel creux et le point hebdomadaire trop opérationnel?

De ce que nous avons vécu ou constatons encore trop souvent dans notre entourage, l’entretien annuel est un exercice fastidieux, stressant, chronophage et peu utile. Derrière la démarche de retour sur les 12 derniers mois et de projection sur ceux à venir, il y a un grand vide qui amènera soit le manager à confesser son manque d’implication, soit le salarié à admettre son manque de temps par rapport à l’opérationnel pur.

On arrive donc à un statu quo qui ne fait de bien à personne.

Pour caricaturer, mettons nous dans la peau de Jean-Claude, nouveau collaborateur enthousiaste à la COGIP et de Martine, sa Manager qui cherche à évoluer.

Année 1:
Manager: Jean-Claude, merci d’avoir passé 2 heures à remplir le formulaire en ligne pour préparer cet entretien.

Collaborateur: De rien Martine, c’était un exercice de prise de recul intéressant et c’est sympa d’utiliser ces interfaces qui me rappellent ce bon vieux Windows 98, bugs et plantages compris.

Manager: Ah toi aussi tu as été déconnectée au bout de 30 mins sans avoir pu sauvegarder ta saisie ?
*Rires génés*

Manager: Bref, nous on est très content, d’ailleurs c’est pour ça qu’on a confirmé ton poste, il faudrait que tu creuses ci et ça, que tu travailles ta posture pour que l’an prochain on puisse commencer à parler de ton évolution.

Collaborateur: OK, j’aimerais une mission qui puisse me permettre de vous montrer ce que je peux faire sur ces problématiques, et une formation sur ce sujet car je pense que ça me sera utile pour la suite

Manager: Fantastique, laisse moi passer 2 nouvelles heures à rentrer ton feedback dans le Minitel puis 4 heures à essayer de me dépatouiller avec les formations et on se revoit dans 2 mois quand tout le process sera terminé pour parler argent. OK?

Collaborateur: Superbe, j’ai si hâte que tu m’annonces que la direction financière n’autorise que 1,57% d’augmentation à tout le monde et que ma formation n’est pas dans le catalogue imprimé de notre partenaire.

Manager: Mais moi aussi Jean-Claude, moi aussi. Est ce que tu peux dire à Michel que c’est son tour mais que je veux bien qu’il me laisse 10 mins le temps que j’avale ce sandwich? C’est fou avec tous ces entretiens, on n’a plus le temps de rien faire. D’ailleurs tu n’oublies pas le rapport dont on a parlé la semaine dernière hein ?

Collaborateur: Bien sûr, j’ai si hâte qu’on travaille ensemble sur comment me mettre sur d’autres types de missions !

*Rires génés*

Année 2:
Manager: Bon Jean-Claude c’est super, tu es super bien intégré, j’ai rien à dire sur ton travail, tes rapports sont géniaux.

Collaborateur: Je me sens très bien Martine, vraiment, je pense que je suis prêt pour de nouveaux challenges, et j’espère qu’on pourra enfin faire la formation dont je t’ai parlé l’an passé.

Manager: Ah ces bougres de d’organismes de formation, faut vraiment qu’on les chahute un peu, je vais leur envoyer un fax tiens. Maintenant, il faut que tu communiques plus, que tu te rendes visible pour qu’on puisse te faire évoluer.

Collaborateur: Oui mais tu ne penses pas qu’en confiant certaines des tâches que je maîtrise à Michel je pourrai monter sur ce sujet qui fera un excellent pont pour la suite?

Manager: Si si, tu as raison, mais Michel est déjà sous l’eau, et j’ai vraiment besoin de toi sur le cœur du métier pour délivrer ce que mes managers me demandent… Tu sais quoi, je vais le mettre dans le feedback mais commence à regarder les opportunités en interne car j’ai peur qu’ici on doive se concentrer sur les affaires courantes. Je vais appuyer ton passage au grade supérieur pour qu’au moins tu sois un peu augmenté. Tu n’oublies pas mon petit rapport hein?

Année 3:
Nouveau Manager: Bon Jean-Claude, maintenant que Martine est partie, comme tu le sais on va un peu réorganiser le service et j’aimerai que tu évolues. Que penses tu d’aller mettre tes talents au service de tel département?

Collaborateur: Mais Maurice, si tu regardes bien mes entretiens précédents, j’ai identifié plein de choses à faire ici déjà…

Nouveau Manager: Oui oui, merci pour ta proactivité d’ailleurs, mais là tu comprends on doit changer quelques points et des process, et puis Michel a déjà pris le poste au-dessus. Vraiment, le plus simple pour toi serait de changer d’équipe, j’ai peur qu’ici tu reste cantonné aux mêmes tâches. D’ailleurs, tu peux finir le rapport dont on a parlé la semaine dernière ? A ton niveau et avec ton expérience je ne devrai plus avoir à te le répéter…

Pour faire très simple: on vous dira que tout va bien pendant des années jusqu’à ce que ça aille mal et qu’on envisage des mesures radicales.

La réalité est que c’est le point hebdomadaire qui dicte l’agenda personnel et collectif. Focalisé sur l’opérationnel et sur la partie visible de l’iceberg, il occulte souvent le suivi des objectifs à long terme.

On reparlera sans doute ici de la façon dont certains chez Haigo gèrent ces points pour les rendre moins opérationnels et plus utiles au développement personnel.

Entre le grand jugement annuel qui va déterminer des éléments structurants (l’évolution de salaire, le plan de formation, le plan de carrière) et le suivi hebdomadaire des activités courantes, il y a un gap énorme.

Notre approche : des points trimestriels pour s’approprier les enjeux de la société tout en dessinant son parcours personnel, en toute transparence

Nous avons mis en place le système Objectives Key Results popularisé par Google dès notre premier trimestre d’existence.

Une slide du deck de John Doerr pour comprendre le lien entre objectifs collectifs et individuels en cascade.

Il nous permet de garantir :

  • Un alignement constant entre les objectifs d’Haigo et ceux du salarié
  • Une temporalité suffisante pour pouvoir mettre en œuvre des sujets de fond tout en assurant le quotidien
  • La responsabilisation de chacun ainsi qu’une part de créativité
  • Une logique d’apprentissage continu en phase avec notre culture
  • Des échanges entre des personnes ne travaillant pas sur le même projet mais ayant besoin des mêmes outils ou méthodes
Un des objectifs de Felipe avec ses résultats associés. L’intitulé de l’objectif est collectif, mais les résultats associés sont individuels, et validés collectivement.
Mailys a un objectif en partie partagé avec Marine, ce qui permet de casser certains silos

Lors de nos Haigo Days trimestriels, Patrick et moi présentons les objectifs et résultats attendus pour Haigo pour les 3 prochains mois.

Nous laissons quelques jours à chacun pour se fixer des objectifs et résultats associés en phase avec ses missions en cours, et celles qui lui permettraient d’évoluer puis nous finalisons ensemble la liste finale.

Celle-ci ci est alors ajoutée en avenant au contrat de travail chaque trimestre et un variable lui est associé en partie.

Chaque salarié passe ensuite sur son trimestre précédent pour s’auto évaluer, son référent fait de même et un autre point et prévu pour fixer ensemble la note finale.

Tout est historisé et public. Un dossier de notre Drive partagé avec tous contient les fichiers individuels dans lesquels une Sheet correspond à un trimestre.

Ce que nous avons appris après 4 trimestres.

1/ L’échelle d’évaluation est importante et doit être factorisée

C’est un de nos gros point d’amélioration. Nous utilisons encore aujourd’hui l’échelle par défaut qui va de 0 à 1, où 0,6 signifie “objectif atteint” et 1 “objectif surpassé et non perfectible”.

Nous n’avons jamais explicité la différence entre 0,4 et 0,5 et cela pose problème à la longue, surtout quand un variable financier y est associé.

Nous allons sûrement passer à un système de 0 à 20, plus compatible avec les notations françaises tout en explicitant chaque gradient de manière plus claire.

Un autre point culturel est le principe selon lequel la note parfaite est un signe de manque d’ambition, nous avons tous envie d’être de bons élèves, avec la meilleure note.

Hors ici, si l’employé se met la note maximale partout, cela indique que le calibrage a été mal fait. C’est le chemin qui compte plus que la destination. On doit toujours être en mouvement et chercher à améliorer l’existant. Si nous mettons la note maximale partout, c’est que nous n’avons pas été assez ambitieux, qu’on ne s’est pas assez challengé pour tester et apprendre en tentant des choses.

C’est difficile à comprendre quand on a été conditionné par 20 ans d’études et qu’un variable financier y est partiellement associé.
Est-ce que 100% de la prime correspond à la note 15 ? Le 20 équivaut-il alors à 150% de la prime ?

Nous n’avons jamais relié uniquement le variable trimestriel aux OKRs, mais dans notre quête de transparence, un peu plus de rationnel ne nous ferait pas de mal.

Il est ainsi probable que nous passions à un système de pictogrammes illustrant la sensation d’accomplissement personnel plutôt qu’une note et que nous passions à un variable lié à des actions “extraordinaires” qui s’ajouteraient au salaire fixe plutôt qu’une logique qui voudrait que l’on retranche ce qui n’est pas ordinaire à la prime maximale.

2/ La formulation des objectifs et des résultats est un art subtil

Pour rendre l’exercice utile, il faut que l’objectif soit tourné vers une bénéfice personnel ou collectif un peu inspirant, tout en étant un “chapeau” pouvant accueillir les résultats opérationnels qui doivent être mesurables.

Quelques exemples d’objectifs et résultats associés:

Obj: Industrialiser la méthodologie

  • Rendre autonomes les haigos & bros sur la formalisation de budgets et propositions
  • Formaliser le business model de l’offre formation
  • Accompagner XXX sur la transmission de la méthodologie et son industrialisation
  • Préparer les supports pour une brique de la formation liée à la data et l’organisation

Obj: Délivrer pour nos clients

  • Participer à la rédaction de la proposition XXX pour 2017
  • Redonner la main au client sur le Product Ownership XXX
  • Livrer plus de 50% d’évolutions majeures sur XXX
  • Construire et pousser la suite de la mission YYY

Nous sommes convaincus que nous pouvons encore mieux faire.

Le fait que chacun rédige ses OKRs avec son propre niveau de granularité et de clarté n’aide pas à rendre l’ensemble cohérent et pour être honnête nous cherchons quelqu’un pour nous conseiller là dessus, voire intervenir chaque trimestre auprès de chaque salarié.
A bon entendeur: guewen@haigo.fr

3/ Le quotidien reprend toujours le pas

C’est sans doute le point sur lequel nous avons le plus progressé : il faut régulièrement revenir sur ses OKRs pour se focaliser sur ce qui compte vraiment, faire des choix et parfois adapter l’ensemble au contexte qui peut changer.

L’idée est de poser un cadre, partagé, dans lequel chaque individu peut explorer, tout en servant une “cause” commune. Chaque requête entrante peut ainsi être analysée par le prisme des OKRs, pour être intégrée, notée pour plus tard, redistribuée ou abandonnée.

Il y aura toujours un imprévu, une demande exceptionnelle, d’où l’importance d’avoir une ligne claire et un dialogue constant.

Sur Q2 2016, nous avons eu un vrai problème de focus, qui s’est reflété par le gap entre les OKRs définis en début de trimestre et les résultats finaux. Nous aurions dû faire un point mensuel pour nous reconcentrer ou adapter les objectifs mais le nez dans le guidon, nous n’avons rien fait.

Certains impriment désormais leurs OKRs près de leur desk, d’autres ont même fait des burndowns et nous avons programmé un IFTTT pour nous rappeler d’y jeter un oeil régulièrement tout en insistant sur le fait qu’on pouvait (et devait) s’adapter si besoin.

Nous allons sûrement donner un poids plus important à certains objectifs, pour faciliter ces choix.

4/ Au delà de la note, c’est la prise de recul sur soi qui compte

Au final, mon point préféré autour des OKRs reste la logique d’amélioration continue qu’ils entraînent.

Pour chaque résultats, chacun est invité à se noter, mais aussi à noter en une phrase la façon dont il ou elle aurait pu mieux faire.

Pas pour se flageller, mais pour avancer.

En toute fin du formulaire trimestriel, il y a aussi 2 petites questions générales:

  • Qu’ai je appris?
  • Que ferai je différemment?

Plus que les chiffres, ce sont ces éléments qui m’intéressent le plus. Certains sont laconiques, d’autres au contraire très expansifs, mais c’est toujours générateur de choses à tester ou de demandes de conseils.

Ce sont souvent des “soft skills”, comme donner de la visibilité à son travail, oser demander de l’aide ou organiser des formations informelles qui ressortent de cette phase, et ils sont tout aussi important pour moi.

Aller plus loin : plus de collectif, plus de mesure

Nous avons parfois eu tendance à beaucoup nous flageller lors des premiers trimestres: nous voulions faire plus, mieux, plus vite.

Avec un peu de pratique, nous sommes plus raisonnables et plus “justes” avec nous même. Cela fait partie du process et de notre philosophie : apprenons à nous connaître nous mêmes.

Nous avons aussi testé un nouveau format d’atelier collectif pour mapper les Objectifs collectifs aux individuels avec des livrables plus précis et une notion de temps à passer pour chaque tâche. En 2 heures, nous avons défini la feuille de route de chacun de manière précise et ainsi facilité son suivi.

Et si le Design Thinking n’était qu’un complot des vendeurs de Post Its pour relancer leur business ?

Cet article en est un bon exemple : il est lié à mon objectif “Construire la boîte dans laquelle nous aimerions être dans 25 ans” et au résultat “Ecrire 1 article tous les 20 du mois sur notre route vers l’entreprise idéale”. Les deux étant liés aux résultats “Assumer le rôle de rédacteur-en-chef de medium et gérer le planning de publication (thèmes, rédacteurs)” de Felipe.

L’exercice d’estimation du temps à passer et de timeboxing (ajuster un temps imparti pour cette tâche) va aussi nous permettre de mesurer plus efficacement la bonne tenue des OKRs et de rationaliser l’évaluation de fin de trimestre pour arriver à être encore plus efficaces en 2017 et surtout apprendre toujours plus.

Nous sommes d’ailleurs à la recherche d’un outil un peu plus évolué que nos fichiers Excel, là aussi, tout conseil est bienvenu à guewen@haigo.fr

Ce que votre boss en pense mais qu’il n’ose pas vous dire :

Votre boss ou manager pourrait vous dire :

Cela fait 10 ans qu’on a adopté un outil, 5 ans qu’il marche à peu près et 2 ans que tout le monde s’est résigné à l’utiliser. Le Comité de Direction fait des plans sur 5 ans et mon plan de carrière a des échéances tous les 2 ans. Si je mets des objectifs avec des résultats chiffrés, les syndicats et les RH vont me tomber dessus. Si je rends le système public, mes équipes vont commencer à travailler avec les gars d’en face plutôt que de défendre leur territoire. Ton truc de bobo de la Sillicon Valley, ça marche pour 10 gus dans un garage, mais tu le gardes pour le prochain Hackaton, ça fera un joli communiqué de presse, et en attendant, finis moi ce rapport.

Et il ou elle aurait tristement raison. Nous reparlerons souvent ici de la facilité de ne rien faire, mais surtout de ces échecs qui nous font avancer sur la longue route de l’entreprise libérée.

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