Cette crise pourrait révéler au grand jour la dette managériale, profitons-en pour la régler

Guewen
Demain sera bien. Par Haigo.
7 min readApr 6, 2020

Les situations extrêmes transforment les signaux faibles en carences évidentes.

Ce qui est accepté ou non-dit en temps normal refait surface de manière forte dans des contextes comme le confinement.
Ce que seuls nos collègues et partenaires professionnels pouvaient voir, et accepter, dans le huis clos de nos lieux de travail est désormais visible par nos conjoints et enfants au quotidien. Avec nos amis, nous échangeons plus que d’habitude sur ces sujets, en comparant les réactions et situations chez nos employeurs respectifs.
La culture, le style de management et l’organisation de beaucoup d’entreprises sont actuellement passés à la loupe et challengés.
Les faiblesses ainsi révélées au grand jour seront à gérer par les ressources humaines, les managers et les dirigeants en sortie de confinement.

Dans le monde de la technologie, on parle souvent de dette technique : l’impact caché de certains choix initiaux qui entraîne des coûts supplémentaires de maintenance ou des risques liés à la qualité du code.
Cette crise pourrait bien mettre au jour une dette managériale latente.
En revenant au bureau, il est en effet très probable que des collaborateurs remettent en cause certaines pratiques, personnalités voire le sens d’une partie de leur travail.

Parmi les sujets qui vont être à discuter, on peut citer la réunionite, le télétravail, l’équipement informatique, le style de communication, la qualité de l’espace de travail ou la culture managériale.

L’inefficacité de la réunionite au grand jour ?

Chez nous, assis dans notre canapé à enchaîner notre 6eme réunion téléphonique, nous allons alterner entre écoute passive, lecture de nos mails, parcours du fil WhatsApp avec nos amis ou regards dans le vague à nous demander ce que nous faisons là…
Seuls, ou grâce à nos familles ou amis, nous allons réaliser qu’une bonne part de ce qui se dit dans ces réunions aurait pu être écrit dans une petite note synthétique envoyée en amont.

Se réunir n’est hélas pas toujours synonyme de produire. Et quand nous enchaînons plusieurs réunions peu utiles, c’est notre engagement qui diminue.

Et si on luttait enfin contre la réunionite aiguë en mixant mieux temps de réflexion et travail individuels avec temps de mise en commun, idéation et décision collective ?
Et si nos départements étaient divisés en petites équipes plus autonomes pour minimiser les réunions fleuves et distribuer la prise de décision aux managers ?
Le temps gagné pourrait servir à lire, réfléchir, poser les choses et… préparer ces réunions pour en faire des temps d’échange plutôt que des séries de monologues.

La technocratie kafkaïenne obsolète ?

On nous demande d’analyser l’impact et préparer l’avenir, alors nous devons produire ou maintenir encore plus de tableaux et de rapports chiffrés qu’à l’habitude.
Chaque jour voit son lot de messages et requêtes émanant de commissions de contrôle interne qui rassemblent des chiffres. Mais savons-nous bien pour qui, pour aider à quelle décision et pour quelle échéance ?

Nous avons besoin de leadership, qui s’exprime rarement dans un process et un tableau Excel.
Communiquons sur une vision inspirante sur le long terme, jalonnée de buts et d’échéances proches et claires supportant le plan d’ensemble.
L’heure est à l’inconnu, l’ambiguïté et l’adaptation… Et donc aux leaders clairvoyants, hyper communicants et humains eux aussi. Attention donc aux dogmes et à la rigueur aveugle.
Aux managers de bien évaluer le temps passé sur ces rapports et celui passé sur la mise en place des actions, pour bien jauger la performance de leurs équipes.

Et si on expliquait nos hypothèses pour le long terme en agissant à la semaine ? Peut-être que nous pourrions assumer ce que nous ne savons pas encore, et clarifier ce dont nous avons besoin pour décider ?
Cela permettra aux collaborateurs de proposer, de nous aider à mieux agir et de les embarquer plus facilement dans des projets.

Le (micro) manager impuissant ?

En grandissant, les organisations se sont divisées en départements et en équipes, gérées par des managers. Anciens experts du métier ou talentueux organisateurs, ils forment la clé de voûte du système. C’est par eux que passent les consignes et remontent les informations.
Bien trop souvent, une bonne partie de leur rôle est devenu celui de la délégation et du contrôle au détriment de tâches directement liées au métier.

Dans des conditions extrêmes comme la crise et le confinement, il peut être utile d’augmenter la faculté du manager à improviser et à décider sans validation préalable sur son périmètre.
Certaines mesures liées à l’amélioration de l’équipement ou à l’organisation des équipes avaient été bloquées ou déprioriser à cause de charges supposées énormes.
Pourtant, devant la rapidité de la crise, beaucoup ont dû être mises en place en quelques jours.

Il faut préserver la confiance que l’on attache au système managérial et sa capacité à prioriser et estimer.

Et si on revalorisait l’expertise métier ?
Nous pouvons sans doute (ré)équilibrer le rapport entre le “faire” et le “faire faire” pour revenir au cœur de l’activité de chaque entreprise, département et équipe. Il en va du sens même du travail de beaucoup de cadres.
Les managers méritent d’être des porteurs locaux de la vision globale, au service d’équipes plus petites qui travaillent en autonomie pour délivrer des choses concrètes.

L’avènement des soft skills ?

Beaucoup de managers ont mis des équipes en activité partielle, ou en inactivité totale.
Si le système Français garantit à chacun 84% de son salaire dans pareille situation, l’effort n’est pas proportionnel pour un salarié au SMIC et un cadre.
Les dirigeants et managers ont donc plus que jamais un devoir de solidarité et d’exemplarité.
La frontière entre personnel et professionnel n’a jamais été aussi mince quand nous affichons chaque jour la décoration de nos logis et que nos proches s’invitent en toile de fond de nos réunions virtuelles.
A chacun d’avoir la délicatesse d’éviter tout signe extérieur de confort.

Les qualités d’écoute et d’empathie sont des compétences indispensables en ces temps difficiles, mettons-les en valeur.

Et si on remettait de l’humanité et de la proximité dans nos relations entre collaborateurs de tous niveaux ?
Tout le monde s’accorde à encourager les petits points quotidiens pour prendre des nouvelles et lâcher la pression. C’est un moment de qualité, idéal pour recréer du lien et des rapports privilégiés entre individus.
Prenons le temps d’aller chercher une vraie réponse à l’automatique “ça va ?” et osons ouvrir la porte de nos ressentis, entre humains.

L’information : pouvoir ou devoir ?

Si au bureau, beaucoup de choses se disent autour de la machine à café, nos Slack ou Teams ont vu le nombre de canaux privés exploser, créant autant de petits groupes et fragmentant le niveau général d’informations officieuses.
Le confinement a rendu toute la communication non verbale et les flux physiques de l’information invisibles.

Rendre public et accessibles nos échanges, nos agendas et nos prises de notes devient donc un enjeu majeur pour éviter l’asymétrie de l’information qui crée des rumeurs et des angoisses.
L’objectif, c’est de permettre à chacun, en autonomie, de pouvoir comprendre ce qu’il se passe, comment les décisions sont prises et la manière qu’ils ont de contribuer.
Tous les logiciels d’agenda et tous les intranets permettent cette transparence, alors faisons confiance et ouvrons tout.
Réduisons le délai entre le moment où un doute pourrait se propager et celui où nous sommes en capacité de répondre en nous rendant très disponible et multipliant les canaux de collecte de questions et avis.

Et si on promouvait des signes visibles de confiance et d’ouverture ?
Invitons nos collaborateurs à parler, prenons le temps de les écouter et de répondre, quitte à avouer que nous ne savons pas toujours. Partageons et faisons remonter les problèmes et les doutes.
Si les premières fois vont être intenses, c’est sans doute car elles auraient dû arriver plus tôt. Si au contraire elles sont très calmes, c’est que la peur ou le désengagement sont déjà là, et qu’il va falloir mettre les bouchées doubles.

Nous avons une occasion unique d’évaluer et régler notre dette managériale

Dans quelques semaines, nous rentrerons au bureau avec des convictions et des doutes.
Ce que des collaborateurs pensaient tout bas ou ne mesuraient pas pleinement va se transformer en certitudes ou frustrations.

Forts de ces constats, il y a plusieurs risques.
Certains profils pourraient se mettre en quête d’un employeur favorisant l’autonomie.
Des managers pourraient se voir remis en cause par leurs équipes, faute d’expertise.
Des valeurs d’entreprises affichées pourraient se révéler loin de l’épreuve des faits.

En tant que dirigeants et managers, nous avons une occasion unique de montrer que nous écoutons, et agissons.
L’ère de la reprise gagnera à être suivie de quelques réformes si nous souhaitons rendre nos organisations résilientes et pérennes.
Nous avons du temps, profitons-en pour prendre du recul et accélérer ce qui avait sans doute déjà été initié.

On n’a jamais eu autant besoin d’assumer le rôle de leader, dans les paroles et les actes.

Et si on réduisait notre dette managériale en simplifiant nos organisations, autonomisant nos équipes, multipliant les marques de confiance et permettant aux individus de retrouver du sens dans le plaisir de faire ?

Quelques idées de lecture pour celles et ceux qui veulent continuer sur le sujet

Pour de nouvelles manières de voir le travail à plusieurs : Rework de Jason Fried et David Heinemeier Hansson, et le TEDx “Why work doesn’t happen at work”,
Pour des cas d’entreprises libérées qui réussissent dans divers secteurs et diverses échelles : Reinventing Organisation de Frédéric Laloux
Pour des retours d’expérience sur des équipes à la culture et l’efficacité opérationnelles fortes, The Culture Code de Daniel Coyle
Pour des retours d’expérience sur le management en conditions dificiles, et la première définition de la dette managériale : The Hard Thing About Hard things de Ben Horowitz
Pour ouvrir le capot des pratiques RH de Google, avec énormément de données sur leurs expérimentations : Work Rules de Laszlo Bock
Pour assumer son autorité en restant humain : Qu’est ce Qu’un Chef par Pierre de Villiers

--

--