User Research x Psychologie : échange autour de l’entretien individuel

Marine Antunes Dias
Demain sera bien. Par Haigo.
7 min readJan 16, 2019

--

Petit compte rendu d’un regard croisé entre la user research et la psychologie sur l’exercice de l’entretien individuel. Vous y trouverez notamment ce qui distingue et ce qui rassemble le user researcher et le psychologue, ainsi que 8 essentiels à retenir pour s’améliorer en conduite d’entretien.

Fin septembre, nous avons fait une journée de formation interne dédiée à la User Research. L’objectif était d’opérer une montée en compétence générale des employés, d’onboarder les nouveaux et d’aligner l’équipe pour l’emmener plus loin.

L’occasion également de prendre un peu de recul sur notre métier, en tirant un bilan de notre pratique (j’en fais un résumé dans cet article 👈) et en mettant en perspective la User Research avec une autre discipline : la psychologie.

Pourquoi la psychologie ? Comme en User Research, on travaille avec (et pour) l’humain et il existe, entre les deux domaines, une pratique commune sur laquelle nous voulions creuser : l’entretien individuel. Exercice délicat de compréhension d’une personne ayant son propre système de pensée, son histoire, ses émotions,… L’entretien individuel est un must de la boîte à outil méthodologique des praticiens, user researchers et psychologues. Le lien entre psychologie et User Research se fait par ailleurs assez naturellement et pléthore de littérature existe déjà sur le sujet. Pour aller plus loin, vous pouvez vous gourmander une de ses deux listes de listes de ressources qui valent le coup (tout est en anglais):

Un top 10 à la croisée des deux sujets qui donnent la température de ce qu’il se dit et fait de mieux — et confirme l’actualité de la connexion entre user research et psychologie.

Une liste technique de ressources par Nielsen Norman Group, une référence en expérience utilisateur.

Et si je ne devais retenir qu’un article, je pense que choisirais celui-ci :

Parce qu’une de nos réflexions en cours porte sur l’adoption d’une pratique plus éthique, ce qui nous amène à nous intéresser notamment aux biais cognitifs en général, et aux nôtres en particulier.

Nous avons donc invité Laurence Geffroy, psychologue clinicienne à l’AP-HP, avec qui nous avons mis en perspective la pratique de l’entretien en User Research et en psychologie.

Je vous livre ci-dessous un résumé de ce que nous avons retenu de cette heure passée ensemble structuré en trois parties. Pour commencer les différences entre la pratique de l’entretien psychologique et l’entretien de user research, puis ce qui est similaire et enfin les essentiels : ce qui nous a semblé pertinent pour améliorer la pratique de l’entretien pour un User Researcher (en herbes 🌱ou confirmé 🌳).

Différences entre la pratique de l’entretien en psychologie et en user research

  • Le temps d’instaurer une relation de confiance. En psychologie, le premier entretien sert à faire connaissance, là où nous n’avons que quelques minutes d’ice breaker en user research. Cela conduit à plusieurs entretiens, impliquant la gestion d’une relation patient-psychologue sur le long terme.
  • La prise de note. Le psychologue ne prend pas (ou peu) de note pour ne pas instaurer de distance avec le patient, activité réalisée, côté user research, par le facilitateur* en entretien. (*Il y a toujours deux personnes au cours d’un entretien de user research : le User Researcher qui pose les questions et le facilitateur qui prend les notes). Souvent en User Research la prise de note est même complétée par une caption audio ou vidéo.
  • Le contenu des échanges. Les sujets abordés au cours d’un entretien de psychologie touchent toujours à de l’intime et peuvent s’avérer très durs, notamment dans le cadre hospitalier (mort, maladie,…). Cela peut parfois être le cas en user research, mais un sujet sera toujours creusé en vue d’améliorer une expérience particulière (par exemple : le deuil dans le cadre de l’expérience d’accompagnement d’une compagnie de pompes funèbres).
  • L’objectif de l’entretien. Contrairement au user researcher, le psychologue n’est pas là pour améliorer quelque chose de très tangible, comme l’utilisation d’un site, le parcours d’entrée dans une maison de retraite ou l’expérience d’un lieu. Il effectue un travail thérapeutique de fond que ne résolvent pas des solutions concrètes.

Similitudes entre la pratique de l’entretien en psychologie et en user research

  • Créer un climat de confiance. Psychologue et user researcher doivent tous deux établir une relation de confiance (bien que différente) pour que la personne en face d’eux s’ouvre et partage avec eux des informations pertinentes, qui leur permettront de comprendre puis résoudre leurs problèmes.
  • Des techniques de conduite d’entretiens similaires. Poser des questions non biaisées et ouvertes, accepter les silences, reformuler ce qu’a dit une personne pour s’assurer qu’on a bien compris, rebondir sur les propos d’une personne pour creuser un sujet ou encore poser en toute transparence le cadre de l’échange… Le psychologue et le user researcher partagent de nombreuses techniques similaires pour véritablement conduire un entretien et recueillir des informations de qualité.
  • Garder une posture neutre. L’un comme l’autre gardent une posture neutre et une attitude qui proscrit le jugement. C’est important pour ne pas biaiser l’entretien en mettant la personne mal-à-l’aise par exemple ou en l’incitant malgré nous à omettre certaines informations par peur du jugement. C’est également important pour être à même de recevoir ce que la personne dit vraiment
  • Travailleurs de l’empathie. Un même problème ne se résout pas de la même façon pour tout le monde. Dans les deux cas, il importe de comprendre la personne que l’on a en face de soi afin de pouvoir répondre au mieux à ses besoins, que cela soit d’ordre psychologique ou très pragmatique.

📩 8 Essentiels 📩

1. Être disponible. Ecouter correctement suppose d’être présent à la personne, et pour cela, il faut faire attention à soi. Avant de commencer demandez-vous : “Sur une échelle de 1 à 10, je suis à combien en termes de disponibilité ?”. C’est ok de ne pas être à 10, c’est également ok de faire une pause ou de raccourcir un entretien parce qu’on n’est plus capable de bien écouter.

2. Ménager un espace de liberté. En entretien, laissez la personne libre de répondre ou non. Cet espace de liberté est un gage de la qualité de vos échanges : “Je me permets de vous poser cette question parce que … mais si cela est trop personnel, nous pouvons passer à la question suivante”.

3. Lire le langage corporel en contexte. Bien penser à être attentif au langage non verbal, même s’il n’existe pas de grille de lecture a priori (non, le croisement de bras n’est pas toujours signe de fermeture). Analysez cela en contexte.

4. Recadrer un user envahissant. Si un personne commence à avoir un comportement trop familier ou inapproprié, il est possible de mettre une distance entre soi et la personne par la gestuelle, par exemple en se saisissant d’une feuille et d’un crayon pour noter (ou faire semblant de noter) ce que la personne dit. Cela redonne une tournure formelle, professionnelle à l’entretien.

5. Expliciter les situations de gêne. Parfois le contact avec une personne n’est pas facile : il y a les personnes qui ne parlent pas, celles qui parlent trop ou d’autres choses, celles qui semblent tourner autour du pot... Dans ces moments, la meilleure façon de reprendre le fil de l’entretien est de verbaliser ce qu’il se passe ou ce que l’on ressent en étant très transparent : “J’aimerais revenir à la question A parce que j’ai le sentiment que ce n’est pas très clair ou qu’il y a une information manquante” ; “Je me permets de vous couper mais j’aimerais encore vous poser quelques questions à propos de X et Y et nous allons manquer de temps, revenons à…”.

6. Reconnaître les situations difficiles. Dans un moment difficile, par exemple si quelqu’un pleure ou se met en colère, il convient de reconnaître que le sentiment ou la douleur existe, mais il faut également dire que ce n’est pas le lieu ni votre métier de gérer certaines émotions. Si besoin, réorientez votre interlocuteur vers des personnes compétentes (par exemple, un psychologue).“Je comprends que c’est un sujet important pour vous, nous pouvons y revenir en fin d’entretien si vous le souhaitez mais je vous propose que nous changions de sujet afin de mener à bien notre échange”. Quoiqu’il arrive, accusez réception de la situation tout en reposant le cadre de l’entretien, cela rassure la personne et la ramène dans la discussion.

7. Mettre un terme à l’entretien. Il est important de se dire au revoir correctement. En expliquant ce qui va être fait suite à l’entretien ou en demandant à la personne ce qu’elle a pensé de l’entretien et si elle a des questions. Cela permet pour vous et la personne de clore l’entretien et de pouvoir sereinement passer à autre chose. “Nous avons fait le tour, merci beaucoup, j’ai récupéré de précieuses informations pour la suite. Les prochaines étapes du projet sont… Si cela vous intéresse, je peux revenir vers vous lorsque l’étude sera terminée.”; “ Qu’avez-vous pensé de l’entretien ?”.

8. Se décharger. Après un entretien, cela vaut le coup de prendre le temps d’évacuer la charge émotionnelle que l’on vient de recevoir ou que l’on a accumulée depuis de début de la journée. C’est aussi pour cela que les pauses entre les entretiens sont importantes (pour vous laisser souffler et prendre le temps d’être disponible pour l’entretien suivant). N‘hésitez pas à verbaliser comment vous vous sentez, à débriefer avec votre partenaire après une longue série d’entretiens ou un entretien difficile.

Ce fut un moment très riche : nous ne sommes pas uniquement partis avec des idées pour mieux interagir avec un utilisateur mais également avec des conseils sur comment mieux vivre notre métier, qui n’est pas neutre sur le plan des émotions et de l’énergie.

Cela nous a d’ailleurs donné envie d’engager d’autres rencontres croisées de ce genre : si vous êtes sociologues, ergonomes, anthropologues, journalistes… n’hésitez pas à m’envoyer un message ou à commenter cet article.

Si vous êtes User Researchers, affaire à suivre !

Encore un immense merci à Laurence !

--

--