Le bitcoin : nouvelle hémorragie interne du système économique et financier international ?

Léo Denis
7 min readSep 9, 2017

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Le cours du bitcoin a dépassé la barre symbolique des 4000$ le 13 août 2017. Et on a donc observé (logiquement) le pullulement d’articles des “grands médias” relatant l’évènement, parfois s’aventurant (dangereusement) à l’expliquer. Et si tout ce qu’on a pu lire ne tenait pas vraiment la route ?

On va donc recommencer du début… Le bitcoin, c’est quoi ? Le bitcoin est avant tout une monnaie, ou du moins prétend l’être : le débat est ouvert. Parce qu’une monnaie répond à certains besoins, à certaines fonctions, le bitcoin : pas vraiment.

Le bitcoin, c’est avant tout une innovation, et comme toute innovation, elle peut dériver, sortir de sa trajectoire initiale… Elle est passée de monnaie à actif financier, dont les gens se servent pour spéculer, et faire de gros bénefices… ou de grosses pertes.

La particularité du bitcoin est qu’il n’est soumis à absolument aucun contrôle… Si l’on se place dans l’optique où c’est une monnaie cela peut se tenir (et encore) mais dans l’optique d’un actif échangé sur un marché… Risque de “Back to the future” en 1929, pour la faire court. En clair, une absence de régulation doit-elle forcément induire une absence d’autorité ? Rappel : la SEC, aux Etats-Unis, n’a pas été créée pour rien… au début des années 1930. Et la COB puis l’AMF, en France, comme toujours, plus tard…

En fait, les questions soulevées par le bitcoin aujourd’hui ou du moins celles qui vont (très) rapidement se poser, on se les posait déjà un voire deux siècles auparavant : à votre avis, pourquoi le dollar n’est-il plus convertible en or, et la livre avant lui ? Et pourquoi aujourd’hui on ne peut pas faire ce qu’on veut sur un marché financier ou une bourse ? Pourquoi est-on passé d’un système bi-métaliste à un système d’étalon-or ? Pourquoi existe-t-il des règles ? Réponse : parce que les agents économiques finissent par apprendre de leurs erreurs, mais rarement avant de les avoir commises.

Voilà pourquoi le début de l’histoire a une fâcheuse tendance à se répéter... Si vous voulez vous en convaincre, allez voir “The Big Short”.

Dog sh*t ! — The Big Short, 2015

(En Francais ici : http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19559395&cfilm=227900.html)

Pourquoi, dès lors, le bitcoin pourrait-il représenter, d’un point de vue économique, un bond de 200 ans en arrière et non une réelle innovation ?

Il apparaît d’abord qu’il existe une réelle ambiguïté dans la définition même du bitcoin : entre monnaie et actif financier. Ensuite, les places où il s’échange sont loin d’être parfaites, et les évolutions des pratiques spéculatives semblent être pour le moins… inquiétantes.

La prétention d’une monnaie et les fluctuations d’un actif financier

Le bitcoin est défini par son (ou ses) créateurs comme une monnaie. Mais la monnaie est définie par Aristote (oui, oui) par ses fonctions :

  • Unité de compte
  • Intermédiaire des échanges (ce qui lui confère un pouvoir libératoire, nous y reviendrons)
  • Réserve de valeur

Le bitcoin répond-il à ces fonctions ? Oui et non. C’est bien entendu une unité de compte, et un intermédiaire des échanges. Cependant ce n’est pas une réserve de valeur que je qualifierais de “fiable”, étant donné que son cours peut s’effondrer d’un jour à l’autre. De plus son pouvoir libératoire (capacité d’une monnaie à effacer des dettes ou percevoir des créances) reste très limité : je suis persuadé que vous ne payez pas votre café en bitcoins, si ?

Pour Marx, la monnaie n’est qu’une marchandise particulière, qui permet d’exprimer la valeur de toutes les autres. Mais comment exprimer cette valeur si celle de la “monnaie” fluctue constamment ? Cela signifierait qu’une marchandise pourrait valoir 1, puis 2, puis 100 bitcoins dans la même journée ? Un peu étonnant, non ?

Ensuite, la monnaie a évolué dans le temps. Pendant le XVIe et XVIIe siècle, les métaux précieux faisaient office de monnaie, ensuite sont apparues les monnaies fiduciaires des banques, convertibles en or. Puis rapidement, la convertibilité en or a été interrompue, car la masse monétaire fiduciaire était trop importante (en valeur) par rapport aux réserves d’or disponibles (cf la controverse bullioniste en Angleterre et la déclaration de Nixon en 1971).

Conséquence : des politiques monétaires ont été mise en place avec, par exemple, pour objectif principal la stabilité des prix. Souvenons-nous de l’Allemagne (et donc l’Europe) suite à l’épisode très douloureux de l’Hyperinflation Allemande.

Le même problème pourrait maintenant se poser. L’or d’antan, c’est le dollar d’aujourd’hui et beaucoup parient sur le fait que le bitcoin pourrait être une nouvelle forme monnaie. Ce sera le cas si celle-ci obtient un pouvoir libératoire suffisant; mais il est alors clair que sa convertibilité en dollar (ou autre monnaie fiduciaire) serait compromise, comme l’a été la convertibilité or en son temps. Mais on oublie que l’or a des caractéristiques intrinsèques qui justifiaient qu’on se rue pour en chercher et en trouver. Ici, la nouvelle ruée vers l’or, c’est la croyance dans la valeur intrinsèque de la blockchain.

Enfin, le bitcoin n’est pas seulement une monnaie puisqu’il est l’objet d’une spéculation toujours plus importante en tant qu’actif financier. Et les agents ont eu raison de spéculer : outre la récente hausse, il fut un temps où le bitcoin cotait à 1€ les 1000, et fréquentes sont les histoires de nouveaux “riches” grâce à leur bon investissement entre 2008 et 2012.

Il est totalement logique que ce cours “went up” jusqu’à récemment : suite à la crise de 2008, les institutions financières (publiques comme privées) ont perdu la confiance des agents économiques. A ce moment-là, apparaît cette nouvelle monnaie : le bitcoin. Fonctionnant sans organe de contrôle, sans régulation, l’apogée du libéralisme. Il est donc logique que les agents accordent du crédit à cette innovation qui est moins le bitcoin que… la blockchain. Et donc son cours monte.

Sauf qu’aujourd’hui, si ce cours continue d’augmenter, c’est aussi parce que les politiques des banques centrales depuis 2008 inquiètent les investisseurs. Car le “quantitative easing” qu’elles pratiquent a pour effet que plus personne ne connaît la valeur des monnaires. Et que le pari sur la croissance du bitcoin peut se faire à crédit.

En 2008, l’innovation qu’était la blockchain et le certain monopole qu’occupait le bitcoin permettaient de justifier la hausse de son cours. Aujourd’hui, il existe une multitude de blockchain avec chacune leur caractère spécifique (en lien avec les différents altcoins), certaines plus innovantes que la blockchain bitcoin, quoique parfois moins sécurisées : on pense notamment à la blockchain Ethereum. En clair, dans peu de temps, investir dans le bitcoin, ça pourrait un peu être comme acheter des actions Alcatel le 29/05/2007 alors que Steve Jobs a annoncé le lancement de l’iPhone 5 mois plus tôt, en janvier 2007.

La deuxième crise économique du siècle en approche ?

Un article des echos avait particulièrement attiré mon attention assez récemment, en discutant de la potentielle relation entre le bitcoin, Ponzi et les ETFs. Avez-vous déjà entendu parler des “Altcoins” ? Ce sont des cryptomonnaies alternatives au bitcoin, la plus célèbre étant l’Ethereum : ce sont concrètement les “produits dérivés” du bitcoin. Ces coins ne sont convertibles qu’en bitcoins (à l’exception de l’Ethereum). Par conséquent, leur cours est indéxé sur celui du bitcoin, du moins à la baisse. Ainsi si le cours du bitcoin vient à chuter (comme on pourrait le penser), les cours de TOUTES les cryptomonnaies viendraient à chuter.

Aujourd’hui, la capitalisation totale du marché des cryptomonnaies avoisine les 150 Milliards de Dollars, soit 10 fois plus qu’il y a… 10 mois. Si la progression continue, on peut facilement l’imaginer avoisinant les 500, 1000 Milliards de dollars… d’autant plus si certains Hedge Funds et groupes de traders professionnels s’y mettent. Donc une possible perte globale de 1000 Milliards de dollars d’ici quelques années, a minima. Dans ce contexte certains se préparent-ils à un nouveau “The Big Short” ? Peut-être. Le bitcoin pourrait en effet représenter aujourd’hui les MBS et les altcoins les CDO : les deux principaux titres qui ont plongé le monde en crise, en 2007. Nous serions potentiellement face à la deuxième crise économique du siècle si le système n’évolue pas et si les institutions responsables (banques centrales, gouvernements) restent sans rien faire.

Conclusion : les cryptomonnaies en général — et le bitcoin en particulier — ne sont pas échangées sur des marchés régulés. Il n’y a donc pas de règles. Donc un risque d’arnaques à gogo : “Pump & Dump”, délits d’initiés…

“Sans éolienne”.

L’El Dorado de Gordon Gekko, en somme :

Les petits porteurs c’est comme les joueurs de fléchettes au bistrot… Je ne suis pas un joueur de fléchettes au bistrot : je ne parie que quand je suis certain. Tu sais pourquoi les gérants de portefeuille se font toujours balader par l’indice des valeurs ? C’est parce que ce sont des moutons… Et les moutons se font tondre.” Gordon Gekko (Wall Street I).

La vraie innovation, ce n’est pas le bitcoin, ce ne sont pas les cryptomonnaies. La vraie innovation, c’est la blockchain… Mais la faculté des agents économiques à se détourner d’une avancée majeure au profit de bénéfices qui pourraient ironiquement conduire à leur perte me fascinera toujours.

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Léo Denis

Étudiant en économie - Gestion à l’ENS Paris Saclay, blockchain-addict