Cité de la Culture ou Culture dans la Cité ?

Nour Jihene Ghattas
Génération Transition
6 min readSep 26, 2018
Médina de Tunis – Septembre 2018 (Nour Jihene Ghattas)

Le mois de septembre qui clôture la saison estivale des festivals est arrivé à son terme, avec sa brise de « renaissance »; la Cité de la culture ré-ouvre ses porte le 14eme jour de ce même mois.

Plusieurs questions viennent se bousculer dans ma tête , « Avons-nous réellement besoin d’une « Cité » pour propager la culture? », « la Culture vient-elle à nous ou devons-nous aller vers elle? »..

Petit rappel : la cité de la Culture est un projet qui débute en 2003 et interrompu plusieurs fois avant de reprendre en 2011. Ce complexe culturel a été achevé en 2018.

L’Art dans la cité de la Culture

Visite après la réouverture

En premier lieu, je tiens à livrer mes impressions.

Après une saison de travaux entamée juste après son ouverture, la Cité de la Culture reprend ses activités …

Beaucoup la qualifieront de luxueuse et moderne et effectivement en entrant je me demandais si je m’étais pas dans un de ces nouveaux centres commerciaux, un îlot luxueux certes mais froid. D’ailleurs le mot Cité me glaçât le sang.. est-ce la nouvelle « Cité Interdite » infranchissable de Tunis?

Cité de la Culture – le 22/09/2018 — Nour Jihene Ghattas

Le bâtiment a même été qualifié de bâtisse « stalinienne, esthétiquement ennuyeuse » par l’ex-ministre tunisien de la Culture et Historien Azedine Beschaouch.

Cité de la Culture – Septembre 2018 — Nour Jihene Ghattas

Selon les architectes:

“Ce projet devait être marqué du sceau de l’art et de la culture arabe et constituer un espace de dialogue et de communication entre les cultures arabes et les autres cultures du monde. L’architecture du bâtiment utilise un vocabulaire orientalisant : colonnes hafsides, arcs en plein cintre et moucharabiehs sont autant de clins d’œil à l’ architecture de notre pays.”

Toutefois, avec sa façade qui se veut majestueuse et imposante grâce à son escalier de marbre d’une importante envergure débouchant vers la porte d’accès à la “Culture”, ce lieu me semble être inaccessible à ceux qui n’auraient pas la force dépasser cet obstacle et n’est pas assez représentatif de l’image de notre pays.

Un espace polyvalent …

Une cité qu’on veut « ouverte sur les arts et les lettres, englobant plusieurs pôles qui sont des institutions jouissant d’une indépendance administrative et financière leur garantissant une grande liberté pour la création », a indiqué le ministre des Affaires culturelles, Mohamed Zinelabidine.

Cité de la Culture – Septembre 2018 — Nour Jihene Ghattas

...mais qu’en-est-il de sa gouvernance ?

  • 9 hectares
  • 3 théâtres
  • Espaces pour les répétitions
  • 2 salles de cinéma
  • Un auditorium
  • Un musée national des arts modernes et contemporains
  • Un musée national de l’art des marionnettes
  • Une maison du roman
  • Une maison de la poésie et un institut de traduction

Pour le moment on ne peut pas encore affirmer que sont que ces espaces sont sous-exploités, il est encore tôt pour en tirer des conclusions.

Ce qui est certain est qu’il existe un haut potentiel et un nouveau souffle d’espoir pour la culture en Tunisie. Par conséquent, on des attentes relativement élevées concernant la richesse et la diversités des activités proposées.

Projet pré-révolutionnaire

Ce projet qui a démarré avant la Révolution m’interroge sur la nécessité de le poursuivre plus d’une décennie après…Je pense que si l’histoire n’avait pas basculé, il aurait été le lieu où on l’on s’exprime mais sans dire ce qu’on pense vraiment, le lieu où l’on projette des films ou/et documentaires sans tout montrer, le lieu où l’on peut chanter mais sans tout faire entendre … la Cité de la Culture n’aurait été que la belle forteresse contenant le royaume de la Censure dont les murs seraient la limite de la diffusion des arts en Tunisie…

Une liberté qui ne me semble pas si compatible avec la pluralité en restreignant l’accessibilité…

Et la Culture dans la Cité?

Et pendant les années de (re)construction de ce colosse de verre et de marbre… Ces dernières années en Tunisie, plusieurs manifestations d’arts « dans la Cité » ont vu le jour. oui le jour au soleil, dans nos rues et pas entre quatre murs…

Tunis -Septembre 2018 — Nour Jihene Ghattas

L’Art pour tous et qui met en valeur notre patrimoine (Exemple d’Interférence)…

Interférence est un festival de sons et de lumières qui se déroule à la Médina de Tunis

Pour la deuxième fois (la première édition s’est déroulée en 2015), j’ai eu la chance d’assister à un spectacle vivant, d’une partie conséquente de notre patrimoine qui est souvent mis de côté et pas assez valorisée grâce à la magie d’artistes venus de divers horizons.

Effectivement , ébranlement et frissons étaient les symptômes qui parcouraient notre corps en redécouvrant une Médina si lumineuse en soirée.

-Interférence (Septembre 2018) — Amor Ben Rhouma

...qui se veut militant :

Indépendamment de l’aspect purement «esthétique», la Médina a été le lieu de rencontre de divers Tunisiennes et Tunisiens aux profils diverses et variés. C’était l’occasion idéale pour ébranler les consciences et faire jaillir les interrogations qui remettent en question notre quotidien, voir pourquoi pas faire naître une volonté de repenser son environnement…

«La Dignité avant le pain» - Interférence (Septembre 2018)

Ceci n’était qu’un exemple parmi d’autres initiatives.

Et la décentralisation dans tout ça?

Selon mon avis, le choix du nom «Cité» met en relief la centralisation de l’Art et de la Culture entre l’avenue Mohamed V d’un côté et le boulevard du Maghreb arabe de l’autre.

Selon la théorie (contestée)de Bourdieu, les inégalités économiques mais aussi culturelles seraient un élément de reproduction des classes sociales, il s’agit donc de déterminer l’impact de la Culture dans la perpétuation des inégalités. Quand on sait déjà que les institutions de l’Etat sont à Tunis et que la Tunisie souffre de la littoralisation (concentration de la population et activités sur les littoraux) … Sachant que le déséquilibre régional entre les gouvernorats en Tunisie et la disparité territoriale entre les délégations ont été parmi les grandes révélations de la révolution de Janvier 2011, il est plus que temps de reconsidérer et revoir nos politiques et primordial qu’on ne reproduise pas les mêmes erreurs avec la Culture.

Cité de la Culture — Septembre 2018 — Nour Jihene Ghattas

Conclusion

Dans un contexte post-révolutionnaire, la Tunisie se voit confrontée à des défis importants autour de l’un des sujets phares : la gouvernance et la centralisation des institutions, activités et pouvoir…

Pour finir, cet article n’a pas pour but de discréditer la Cité de la Culture mais plutôt avertir sur les difficultés que subit notre que notre pays, l’exemple de la Culture n’est qu’un miroir reflétant la dure réalité…

Sources

Titre inspiré du Professeur Hedia Khadhar

  • «Réduire les disparités régionales, un défi pour la Tunisie nouvelle»- Riadh Béchir

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