La situation politique en France

Promotion Ahmed Tlili, Session #10 — Le 19/01/2020

Mehdi Cherif
Génération Transition
6 min readFeb 9, 2020

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Ce dimanche, comme chaque dimanche, nous avons eu la chance d’accueillir Bruno Cautrès, chercheur au Centre National de la Recherche Scientifique, spécialiste de l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Pendant plus d’une heure, nous avons pu l’interviewer au sujet des récents mouvements sociaux qui ont secoué la France ainsi que du contexte politique dans lequel ils s’insèrent.

Les mouvements sociaux et l’action du président Emmanuel Macron

La France est, depuis plus d’un an, dans une situation difficile. Après la crise des gilets jaunes, qui selon certains commentateurs avait des airs “d’insurrection populaire”, le Président de la République Emmanuel Macron a organisé un “grand débat”. Lors de ce dernier s’est exprimée une colère et une frustration populaire d’une grande étendue.

On peut se demander s’il ne s’agit pas d’une crise de la démocratie française : les français n’arrivent plus à se mettre d’accord sur la manière de régler les désaccords. A la date de l’intervention, Paris connaissait une grève des transports depuis 45 jours, provoquée notamment par la réforme des retraites proposée par le gouvernement.

En effet, le président Macron a l’ambition de réformer le modèle social français. Pour lui, l’Etat providence mis en place après 1945 avait bien fonctionné jusqu’à ce que la situation économique se détériore, et que le pays fasse face au chômage de masse. Reste qu’il a peut être été trop vite, trop brusque dans ses réformes. Il a parlé d’un passage dans un “nouveau monde”; or de quel monde parle-t-il? Jusqu’à quand les Français l’attendront-ils? Enfin les inégalités et autres problèmes de “l’ancien monde” n’ont pour l’instant pas cessé d’exister.

Le gouffre entre les Francais et le pouvoir exécutif se creuse. La popularité du président est déclinante, puisqu’elle se situe 25 et 30% selon les sondages — minorité relativement stable, qui le voit comme un président audacieux qui ose aller là où d’autres responsables politiques n’ont pas eu le courage d’aller.

Un autre segment beaucoup plus important le voit comme le président de la France des riches, celle des métropoles, celle qui se sent bien, celle de l’économie globalisée, de ceux qui ont une dynamique. Son style de communication parfois qualifié d’arrogant lui a apposé une étiquette difficile à changer, bien qu’il tente de s’en défaire avec des initiatives telles que le grand débat. Il a abusé de petites phrases parfois choquantes (une communication “disruptive”)à l’image de “tu n’as qu’à traverser la rue pour trouver un boulot”, ce qui a beaucoup déplu. Il faut aussi dire que tout lui a réussi dans la vie: président d’une grande puissance à l’âge de 39 ans, il a connu très peu d’échecs, ce qui mène une partie de la population à penser qu’il ne peut pas les comprendre.

La question des retraites comme ligne de clivage

Au delà de la personne du président, il est indéniable que le problème des retraites se pose dans de nombreux pays à travers le monde, avec le vieillissement des populations. En France, il y a 40 ans, 3 ou 4 personnes travaillaient pour un retraité. Aujourd’hui, ce ratio est tombé à moins de 2, ce qui rend le niveau des retraites beaucoup coûteux et difficile à maintenir.

C’est sur la manière de résoudre ce problème que le désaccord émerge: Emmanuel Macron propose un système universel, dit “à points”. Il supprimerait ainsi la “mosaïque” des régimes de retraite qui favorisaient certaines professions et rendrait globalement le système des retraites moins généreux et coûteux. D’autres pensent que le problème est plutôt lié au chômage des jeunes et des seniors qui, si on leur permettait d’être productifs, rendraient le problème obsolète.

Les mouvements sociaux actuels sont donc l’expression d’une “gigantesque angoisse sociale” par rapport à la préservation du modèle social redistributif Francais, au sein d’une économie globalisée et concurrentielle.

Une crise du modèle démocratique ?

Paradoxalement, le président Macron a été élu car il voulait disait vouloir assurer la préservation de ce modèle redistributif, à travers des ajustements et adaptations nécessaires. La nature des adaptations en question a posé problème à beaucoup, ce qui a causé une polarisation très forte autour de sa personne ; s’il a été élu entre autres par des électeurs du centre gauche qui votaient auparavant socialiste, c’est plutôt le centre droit qu’il a fidélisé.

Ces clivages autour de la personne du président ne datent pas d’Emmanuel Macron: les présidents précédents Hollande et Sarkozy ont traversé des périodes similairement difficiles. M. Cautrès parle d’une grande crise du modèle démocratique français qu’il fait remonter aux années 1990, à partir de l’européanisation: les institutions nationales deviennent de plus en plus inadaptées.

La France, par rapport a d’autres pays européens, connaît une grande conflictualité politique. Il s’agit à la fois d’une bonne et d’une mauvaise chose: en France, on ne craint pas les grands désaccords, mais on a le sentiment qu’on n’arrive pas à trouver le bon modèle institutionnel pour permettre leur résolution. Le résultat des élections n’est qu’une facette de la démocratie: comment faire adhérer la population à son programme entre deux élections ?

Certains proposent des alternatives, notamment politiques, à l’image du projet de la France Insoumise d’une réforme constitutionnelle (la “6e république”). Le débat se cristallise notamment autour de l’élection présidentielle, qui n’a bien fonctionné que sous deux conditions:

  • Une croissance et une situation économique stable
  • Deux grands pôles ou camps politiques

Ces deux conditions ne sont aujourd’hui pas remplies: d’abord de par le chômage de masse et les problèmes économiques, ensuite de par l’apparition d’un 3ème pôle politique: l’extrême droite. Il faudrait une réforme institutionnelle pour ressouder le lien des français.

Par ailleurs, le clivage autour de la personne d’Emmanuel Macron prend parfois des airs de “conflit de classe”: il est soutenu par un bloc plutôt bourgeois, plus âgé, d’orientation politique centre droit; l’opposition est un bloc plutôt populaire, précaire, aux faibles salaires, plus jeune. Il s’agit d’un contraste sociologique, générationnel. Par exemple, la jeunesse exploitée, précaire, périurbaine beaucoup voté Le Pen. Celle des centres urbains, plus étudiante, a plutôt voté Mélenchon.

Le sort des partis “traditionnels”, défaits en 2017

Il y a un problème dans le système partisan. Les néogaullistes (formations politiques traditionnelles) ont subi une défaite cuisante aux élections de 2017. Il s’agit à de problèmes de leadership et de direction politique. Ils proposaient la même chose, le même cadre que Macron, à savoir l’acceptation d’une économie globale et le paramétrage budgétaire européen.

Les enjeux sont différents pour les grands partis de gauche et de droite: pour les socialistes, il s’agit de formuler une proposition économique crédible, différente du statu quo qu’ils ont promu jusqu’à présent — sur le plan des valeurs, la gauche a déjà entamé un travail en se positionnant fortement sur l’écologie par exemple.

Inversement, pour la droite, la distinction sur le plan économique est déjà présente (question des déficits budgétaires où ils ont un avis différent par exemple) mais les valeurs posent problème: faut-il adopter celles de l’extrême droite ?

Le président actuel gagnera-t-il les prochaines élections? Si Marine Le Pen passe à nouveau au second tour des élections, elle risque d’avoir plus de voix qu’en 2017. La grande inconnue est le comportement des électeurs de centre gauche dans ce cas de figure. Il est aussi possible qu’un candidat de centre gauche ou de centre droit vienne perturber le duel, en incarnant le rôle de l’Etat dans l’économie, libéral mais pas néolibéral, modéré sur les questions de société — il est certain que rien n’est encore joué.

La tolérance culturelle comme nouvelle dimension de la politique

L’axe gauche droite (qui existe empiriquement, contrairement aux affirmations du président Macron ) ne suffit plus à résumer le spectre politique Européen. Une autre dimension s’ajoute qui est celle de la tolérance culturelle, à savoir les positions prises vis-à-vis de la migration et de l’évolution sociétale.

Des parallèles à faire entre les situations politiques en France et en Tunisie

  • La question générationnelle, de l’opposition politique entre jeunes et âgés, qui s’est notamment manifestée lors de l’élection du président Kais Saïed en 2019
  • La question géographique, et l’importance que prend la question locale dans les débats politiques; c’est aussi un point sur lequel Kaïs Saïed candidat a beaucoup fait campagne
  • La question de l’inclusivité de la démocratie: les élections ne suffisent plus à légitimer l’action du gouvernement, les citoyens ont l’impression qu’entre les échéances électorales, le monde politique se “lave les mains” de leurs problèmes.

Aujourd’hui, le Pr. Cautrès vient de terminer mise en place du Baromètre de la Confiance Politique à Sciences Po, qui sera cette année mené conjointement en France, en Angleterre et en Allemagne. En attendant sa publication et, pourquoi pas, une futur travail de ce type sur la Tunisie, on vous dit:

A dimanche prochain!

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Mehdi Cherif
Génération Transition

Author, communicator and education specialist. Find me on facebook @MehdiAimeLecole.