Les enseignements de l’armée et la transition démocratique

Promotion Ahmed Tlili, Session #6 — Le 08/12/2019

Mehdi Cherif
Génération Transition
5 min readDec 15, 2019

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Ce Dimanche, comme chaque Dimanche, nous avons reçu un invité pas comme les autres: il s’agit du Général Taoufik Didi, qui est de retour pour sa deuxième conférence Génération Transition (retrouvez la première ici). Aujourd’hui, il s’est agi du rôle de l’armée dans la transition démocratique et la révolution de 2011, durant laquelle il était en charge de la protection de l’Ariana.

L’enregistrement de son intervention. Abonnez vous au podcast Génération Transition sur votre application de podcast préférée!

Dans un premier temps, il a commencé par faire un rappel des quatre missions de l’armée, à savoir:

  • La préservation de l’intégrité du territoire national de toute menace intérieure ou extérieure; des milliers de militaires sont aujourd’hui postés sur les frontières Libyenne et Algérienne. Selon le général Didi, les militaires travaillent une année légale et demi par an — leurs heures supplémentaires ne sont pas rémunérées.
  • L’intervention pour épauler les forces de l’ordre en cas de besoin, comme lors de la révolution de 2011, où il s’agissait entre autres de protéger ce qu’on appelle les “acquis de la nation”. Il s’agit de points stratégiques publics et privés, comme les lieux de production et de distribution de l’énergie, les centres du pouvoir de l’Etat ou encore les grandes surfaces commerciales.
  • L’appui au développement national: on sait que l’armée est présente sur le tiers sud du pays qui est peu ou pas habité. Là bas, elle prend en charge différents travaux de développement que les secteurs public et privé traditionnels ne sont pas en mesure d’effectuer. On parle ici de routes dans le désert ou de l’aménagement de zones touristiques par exemple. L’armée cultive entre autres 850000 hectares de terres, dont le produit revient aux casernes.
  • La gestion des situations de crise. En ce qui s’agit de la révolution de 2011, l’armée était préparée. Le scénario d’un tel effondrement du régime était envisagé depuis 2004, et les militaires avaient déjà organisé la protection du territoire. La prise en charge de l’Ariana par le Général Didi n’était, par exemple, pas improvisée: chacun connaissait sa zone et ses tâches.

Ces missions impliquent pour les militaires une formation solide, qui se base sur quatre pilliers:

  1. Scientifique et culturel, ou le savoir-faire technique et intellectuel nécessaire pour occuper une fonction donnée.
  2. Militaire, à savoir tout ce qui concerne la stratégie, l’organisation militaire et ce qui est lié au combat.
  3. Civique et moral, ou les valeurs et principes qui doivent guider l’action des militaires Tunisiens, républicains et patriotes; on notera ici par exemple que le culte religieux est maintenu hors de l’armée, et qu’il est proscrit pour les militaires de prier en groupe.
  4. Sportif et physique — un esprit sain dans un corps sain.

Diagnostic de la transition démocratique en Tunisie

En Tunisie, contrairement à la Libye par exemple, l’Etat n’est pas tombé. C’est ce qui a permis le bon déroulement de la transition.

Toutefois, la situation économique et sociale en Tunisie aujourd’hui est précaire. Les mesures que l’on prend pour essayer de résoudre les problèmes nationaux sont souvent dérisoires face à ce qui se passe réellement. Pour expliquer son avis, le général a pris l’exemple de ce qui a permis la réussite du maintien de l’ordre par l’armée lors de la révolution. Il s’agit pour lui de facteurs culturels: le patriotisme et l’abnégation.

Le régime Libyen, tombé dans la foulée du régime Tunisien, a renvoyé vers la Tunisie près d’un million et demi de déplacés qu’il a fallu canaliser dans 4 camps de réfugiés, pour ensuite les rediriger vers leurs pays respectifs (on parle ici de plus de 111 nationalités différentes) dans un délai d’un an. L’armée a aussi assuré l’examen du baccalauréat de cette année, a protégé les récoltes et a organisé les premières élections, celles de l’assemblée constituante — sur les 365 jours que comportait l’année 2011, l’armée estime l’engagement moyen des militaires à 187 jours de service continu (nuit et jour). Beaucoup n’ont pas vu leurs familles pendant plusieurs mois.

Selon, le général, l’un des problèmes les plus importants auxquels nous faisons face aujourd’hui est le ciblage problématique de l’action de l’Etat. Depuis 2011, le terrorisme a fait environ 150 morts. En parallèle, nous savons que les accidents de la route tuent 1800 personnes et font 10000 blessés par an. De plus, le problème du terrorisme est aujourd’hui bien mieux contrôlé du fait de l’équipement des forces armées avec des technologies et équipements récents. Comment justifier alors l’importance disproportionnée donnée au terrorisme dans nos politiques publiques?

De la même manière, nous pouvons nous référer au problème de la corruption. On s’attaque aux supposées “têtes” de la corruption alors que c’est un phénomène qui est généralisé dans notre société. 87% des Tunisiens estiment que la dénoncer ne changera rien. Si on compte résoudre le problème par la répression, il nous faudrait une prison capable de contenir 2 millions et demi de personnes au moins.

Un autre exemple est celui de l’économie parallèle: à quoi sert-il d’attraper un grand contrebandier lorsqu’il a derrière lui un réseau de 4000 personnes? Moncef Bey n’est que la partie émergée de l’iceberg

Le diagnostic public de la situation en Tunisie est erroné. Nous ne résoudrons nos problèmes qu’à travers un changement culturel profond, à travers un travail en profondeur sur les médias, l’école et la famille en tant qu’institution. Pour que notre société fonctionne, il est impératif d’obtenir les trois acquis culturels suivants:

  • Une adhésion volontaire au pays et à la citoyenneté: Il faut être fier, heureux d’être Tunisien.
  • Une acception générale des règles de la démocratie: Il faut donner aux élus les moyens (en termes matériels, de ressources humaines et de coopération) de travailler. L’opposition politique se doit par exemple de contrebalancer le pouvoir sans le casser.
  • Un alignement de l’intérêt de l’Etat avec l’intérêt du citoyen: Il faut comprendre qu’au final, l’Etat, c’est nous. Ce n’est pas un ennemi ou un concurrent du citoyen, mais bien la manifestation de sa volonté.

L’école, la famille, les médias batiront la Tunisie. Ce ne sont pas les campagnes de nettoyage “7amlet nadhafa” qui sauveront le pays, mais bien des actions d’éducation, de formation et d’encadrement de la jeunesse sur la durée — c’est aussi le travail de la société civile. Le général nous a exhortés à développer notre action.

C’est bien ce qu’on compte faire. A Dimanche prochain!

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Mehdi Cherif
Génération Transition

Author, communicator and education specialist. Find me on facebook @MehdiAimeLecole.