L’intégration des Etudiants et Stagiaires Africains en Tunisie

Promotion Ahmed Tlili, Session #11 — Le 26/01/2020

Mehdi Cherif
Génération Transition
5 min readFeb 1, 2020

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Ce dimanche, comme chaque dimanche, nous avons eu la chance d’accueillir un invité pas comme les autres: il s’agit de Mack Arthur Deongane Yopasho. Anciennement président de l’Association des Etudiants et Stagiaires Africains en Tunisie (AESAT), il en est l’actuel coordonnateur général et Président du Comité économique et social. Il est lui même originaire de la République Centrafricaine, et est titulaire de deux masters en gestion des organisations et en gestion des risques financiers.

Lorsqu’on parle d’intégration des étudiants et stagiaires subsahariens en Tunisie, on ne peut pas le faire sans parler de l’AESAT. Cette fédération d’associations fut fondée en 1980 sous le nom d’Organisation des Etudiants Africains (OEA), par des étudiants et stagiaires boursiers issus de différents pays avec lesquels la Tunisie avait conclu des accords de coopération. L’organisation fonctionne, mais sa création n’est légalement sanctionnée que 13 ans plus tard, à savoir le 4 octobre 1993.

L’AESAT oeuvre à l’unification des étudiants et stagiaires Africains, au nombre de 8000 environ en 2019, ainsi qu’à leur intégration dans le pays. Il s’agit d’une fédération réunissant 25 associations nationales, et qui dispose de 9 sections régionales en Tunisie, à Sousse, Monastir, Mahdia, Sfax, Gabes, Nabeul, Jendouba, Siliana et Bizerte.

L’association est gérée par un bureau exécutif de 14 membres, élus par une assemblée générale composée des présidents des associations nationales affiliées. Ce bureau est appuyé par un conseil consultatif composé notamment des anciens présidents de l’AESAT et des anciens présidents des communautés affiliées.

Elle a pour missions de :

  • Venir en aide aux étudiants et stagiaires Africains qui en ont besoin
  • Promouvoir la culture Africaine en Tunisie
  • Plaider en faveur du respect des droits des étudiants et stagiaires Africains en Tunisie
  • Faciliter l’intégration des Etudiants et stagiaires en Tunisie
  • Rechercher les stages pour les étudiants et stagiaires qui en ont besoin

Ces missions se traduisent par différentes activités:

  • L’organisation d’évènements scientifiques (l’AESAT reste une organisation estudiantine, et garde a cet égard une vocation scientifique), notamment de conférences.
  • L’organisation de manifestations culturelles, aussi bien pour promouvoir les cultures des étudiants Africains en Tunisie que pour promouvoir la culture Tunisienne auprès des étudiants. On peut citer à cet égard les différentes visites de musées, de sites naturels et historiques organisées par l’AESAT — Mack Arthur rappelle que le nom du continent Afrique vient d’Ifriqiya, ancienne dénomination de la Tunisie et de sa région. Figurent aussi dans cette catégorie les journées culturelles organisées par les différentes associations nationales.
  • L’organisation d’évènements sportifs, tels que la CANEST, Coupe d’Afrique des Nations Estudiantine (que les Camerounais remportent très souvent), dans le but d’oeuvrer à l’intégration des étudiants des différentes communautés.
  • L’assistance sociale, ou le soutien apporté aux étudiants en difficulté matérielle et psychique en Tunisie.
  • Un ensemble d’activités visant à faciliter l’intégration des étudiants arrivant en Tunisie, notamment le lancement de la caravane annuelle Marhbebik afin de répondre aux questions des nouveaux étudiants dans les différentes régions, l’accueil des étudiants à l’aéroport, la distribution d’un guide destiné aux nouveaux arrivants ou encore les cours d’arabe Tunisien.

Les difficultés d’intégration

Mack Arthur pointe du doigt un ensemble de problèmes récurrents, qu’il faut résoudre. C’est en effet dans l’intérêt de la Tunisie de le faire. Les étudiants venant ici, s’ils vivent une expérience positive, reviendront dans leurs pays en tant que futurs vecteurs de coopération avec la Tunisie.

Les pénalités de séjour sont à cet effet très problématiques. Régies par une loi datant de 1968, leur archaïsme s’illustre au quotidien. En effet, sauf dans les cas d’accord de coopération bilatérale (où ils disposent de 3 mois), les étudiants arrivant en Tunisie disposent d’un délai d’une semaine pour régulariser leur situation. Si ce délai est dépassé, ils sont contraints de payer des pénalités. Or il est proprement impossible en une semaine de réunir tous les documents nécessaires. L’attestation de présence délivrée par le ministère de l’enseignement supérieur par exemple est délivrée en moyenne un mois après la demande. Les étudiants sont donc systématiquement contraints de payer des pénalités de retard. A cela s’ajout le retard dans l’octroi de la carte de séjour une fois tous les documents réunis.

Les agressions racistes sont aussi un problème grave. On se souvient encore du meurtre du président de l’association des Ivoiriens en Tunisie, Falikou Coulibaly en décembre 2018, ou de l’agression des trois étudiants Congolais en 2016, entre autres différentes atteintes physiques et verbales dont sont régulièrement victimes les membres de la communauté subsaharienne, mais aussi plus généralement les noirs, en Tunisie.

Les arrestations arbitraires sont un phénomène récurrent, il arrive aujourd’hui encore qu’un ressortissant d’un pays Africain soit arrêté sans raison valable, auquel cas l’AESAT se mobilise.

Depuis presque une décennie, l’Etat Tunisien a décidé d’arrêter d’octroyer un budget à l’AESAT. Cela rend l’action de l’AESAT plus difficile, et l’empêche de remplir sa mission — qui, rappelons le, est au final bénéfique pour les Tunisiens. L’AESAT n’a pas non plus de bureaux permanents au vu du coût de la location; c’est un geste de l’Etat que l’association apprécierait beaucoup.

Face à ces obstacles, si les membres de l’AESAT protestent, ils ne manquent pas d’affirmer l’amour qu’ont les étudiants et stagiaires africains pour la Tunisie: ils ont été présents par exemple lors de la commémoration des attentats du Bardo ou encore celle du décès du président Beji Caid Essebsi.

Les avancées

M. Mack Arthur a expliqué que certaines avancées ont quand même été accomplies ces dernières années, période où il a été président de l’AESAT.

Par exemple, le montant des pénalités a été plafonné à 3000DT pour ceux qui ne sont pas étudiants et stagiaires. Plusieurs lois ont été adoptées, notamment la loi contre la traite des personnes de 2016. Des avancées ont été faites sur la question des pénalités, où des accords ont permis l’exonération d’étudiants et stagiaires. La perspective d’une réforme législative sur le sujet est ouverte.

L’AESAT s’est aussi dotée d’un site web et d’un guide pour les étudiants internationaux, rédigé par les étudiants eux-mêmes.

Maintenant, il est certain qu’il y a beaucoup de chemin à parcourir, notamment en ce qui concerne les mentalités et le racisme. Les noirs Tunisiens d’abord sont victimes de discrimination; il n’y a qu’à voir la couleur de peau des membres du gouvernement et des personnalités haut placées. Les programmes scolaires sont à retravailler pour inclure l’histoire de l’Afrique; les activités de l’AESAT gagneraient à être facilitées matériellement, il y a besoin notamment de salles pour organiser les journées culturelles et de terrains de sport pour les manifestations sportives. La Tunisie s’était fixée pour objectif d’accueillir 20000 étudiants étrangers en 2020; nous en sommes à 8000 aujourd’hui. Il est important de comprendre qu’une stratégie dans ce domaine amènerait la Tunisie à gagner beaucoup, en termes d’enrichissement culturel mais aussi, sur le moyen et long terme, en termes de développement et de coopération économique, car les étudiants d’aujourd’hui seront les responsables de demain dans leurs pays respectifs.

A dimanche prochain!

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Mehdi Cherif
Génération Transition

Author, communicator and education specialist. Find me on facebook @MehdiAimeLecole.