Pourquoi l’augmentation des frais d’inscription universitaire («le Mur de l’Argent») en France doit nous remettre en question

Nour Jihene Ghattas
Génération Transition
5 min readJan 6, 2019

Etat des lieux

12.390 étudiants Tunisiens ont poursuivi leurs études en France en 2017

Ce chiffre assez conséquent vu le nombre de bacheliers de la même année risque probablement de diminuer les prochaines années pour de multiples raisons dont l’augmentation des frais universitaires en France.

En effet, depuis quelques jours une nouvelle défraye la chronique ; Les frais universitaires sont passés de 170 € à 2 770 € pour une licence et de 243 € à 3 770 € pour les étrangers issus de pays hors de l’Union Européenne.

Conséquences

Le problème ne consiste pas (uniquement) en l’augmentation des frais d’inscription universitaire. La situation de la majorité des étudiants est précaire ; quelques uns viennent de pays en voie de développement et d’autres des pays qui enchaînent les difficultés économiques et voient la valeur de leur devise dégringoler de jour en jour. Mais tous ont pour vecteur commun, ce rêve d’une vie meilleure, de “l’autre Côté”, cette terre promise qu’on rabâche aux oreilles des plus jeunes, telle une berceuse des temps modernes. C’est pour cette raison (et d’autres que je ne citerai pas ici, elles sont nombreuses et variées) que de nombreux jeunes voient leur espoir envolé

Ce que j’en pense

Mon avis n’est pas neutre. En effet, je vais survoler rapidement mon parcours. Je suis le fruit de l’enseignement tunisien privé (primaire/collège), de l’enseignement français public (Lycée et Enseignement supérieur) et également tunisien public à l’université. Je suis deux licences de droit ; une de droit français avec l’Université Paris II Panthéon-Assas (à distance) et une autre de droit tunisien à la Faculté de Droit et des Sciences Politiques de Tunis (El Manar).

Je tiens à souligner dès que le début, que ces formations riches m’ont beaucoup apporté et je dirai même qu’elles sont complémentaires et me permettre d’avoir une vision plus large et un espace de critique puisque j’ai deux référentiels.

Mais de multiples interrogations se bousculent dans ma tête dont une principalement : Pourquoi l’augmentation des frais d’inscriptions universitaires nous affecte tant?

Au delà de notre histoire commune avec la France, nous jeunes tunisiens ~ du moins beaucoup d’entre nous~ voyons les universités françaises comme le seul pilier «abordable» (comparé au frais exorbitant d’inscription d’autres pays mais qui reste tout de même difficile d’accès pour une majorité de la population tunisienne) d’une éducation de qualité, clé d’un avenir prospère.

C’est une vision avec laquelle je ne suis pas tout à fait d’accord et je vais vous expliquer pourquoi et comment à mon avis on peut essayer d’améliorer nos institutions. Je parlerai du système en soi et non pas de l’aspect environnemental, qui est certes important mais ici il s’agit de se concentrer plus sur le fond que la forme.

Je pense que le questionnement doit partir de ce que nous voyons et vivons tous les jours. Les réponses et éventuelles solutions doivent émerger de nous. Mes remarques concerneront donc essentiellement la Faculté Tunisienne mais certaines d’entre elles sont également valables pour l’enseignement français, car rappelons-le notre enseignement tunisien a été grandement inspiré de ce dernier.

Apprendre à gérer le système et pas à innover

J’ai remarqué que bien souvent on nous apprenait comment administrer notre système sans la moindre remise en cause. On nous livre les mécanismes et procédures, nous expliquant en détail comment tout cela fonctionne sans même songer que ça pourrait se dérouler autrement… Ceci vient probablement de la “rigidité” des études de Droit mais j’estime que puisque notre société évolue, la remise en question doit être un processus automatique qui pourquoi pas nous est inculqué tout au long de notre apprentissage.

Court terme

J’ai remarqué, que ça soit durant l’enseignement secondaire ou supérieur que notre savoir emmagasiné a une date de péremption ; à savoir celle de l’examen (Baccalauréat/Partiels). On nous fait apprendre une masse de connaissance qui sera tout de suite oubliée à la sortie de la salle. Les étudiants révisent pour le contrôle, pour une note. Ce chiffre a plus de valeur à leur yeux que leur enrichissement personnel. On pense à court terme, sans réfléchir à une formation avec une vision plus lointaine…

Manque d’uniformité

En effet, les cours dispensés vont dépendre de quel professeur tu as, dans quel groupe tu es. Un étudiant «chanceux» aura la chance d’être dans X groupe avec Monsieur Y qui est réputé pour exigeant et a un cours plus dense. Ces mêmes étudiants souhaiteront bien évidemment changer de groupe pour être avec Madame X qui «note mieux». En soi, le fait que chaque professeur apporte sa touche et ait une approche différente doit être considéré comme un aspect positif ; cela peut donner une ouverture à la critique (positive car elle est souvent mal perçue) et des modèles comparatifs. Le problème vient ensuite ; on connaît bien la valeur oh combien sacrée dans notre pays de ce petit chiffre sur ta copie à la fin de l’année. Il s’agit plutôt d’uniformiser les critères de notation objectifs (surtout dans les disciplines des Sciences Humaines) et d’harmoniser la “qualité” des professeurs.

Perception du savoir et de la connaissance

J’ai souvent remarqué que sur nos bancs d’amphithéâtre en écoutant avec attention et en notant méticuleusement ce que nous dicte notre maître de conférence au-delà de son estrade de temps à autre il lui arriva de s’arrêter pour demander si un étudiant n’a pas compris tel point ou si il voulait être éclairé sur un autre ; même scénario habituel personne n’osa lever la main mais on voyait bien que dans les rangées on murmurait en silence : “As-tu une idée de quoi il parle?”, la réponse fut souvent négative… Je vois des jeunes qui ont honte d’apprendre ou même de demander ou poser des questions.

A mon humble stade, j’ai d’autres observations que je préfère pour le moment ne pas divulguer afin de m’assurer avant. Mais la question qui me vient à l’esprit est pourquoi avant de se plaindre de cette augmentation à l’étranger pourquoi ne pas tenter de faire évoluer nos universités plus de 60 ans après l’indépendance.

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