Rapport n°16 : Politique de change en Tunisie — Rached Bouaziz

Nour Jihene Ghattas
Génération Transition
6 min readFeb 11, 2019

Ce dimanche comme tous les dimanches, nous avons reçu un invité fort intéressant pour nous introduire à un thème bien d’actualité.

Nous avons en effet eu le plaisir de passer une heure et demi avec le professeur d’économie Rached Bouaziz, qui nous a parlé de la politique de change en Tunisie et plus précisément de la dévaluation actuelle du Dinar Tunisien.

Enseignant à la Faculté des Sciences Economiques et de Gestion de Nabeul, Rached Bouaziz nous a initié à ce domaine complexe à travers une démarche bien précise : appréhender la problématique actuelle de la dépréciation du taux de change à travers l’historique de la politique de change en tunisie, dans une approche axée sur l’évolution du dinar. Pour ce faire, nous avons également eu droit à plusieurs graphes et schémas mettant en avant cette évolution.

Mais tout d’abord, puisque toute la difficulté réside là, nous nous sommes attaqués aux concepts. C’est ainsi qu’il nous a introduit à la balance des paiements extérieurs de la Tunisie :

Constitué de la balance des opérations courantes, de la balance des opérations financières et des capitaux ainsi que des variations des réserves de change ; c’est un document comptable qui est élaboré annuellement et qui recense les flux de biens, de services de capitaux, etc…

La balance des opérations courantes, actuellement négative, est composée de la balance commerciale (import et export), des services ainsi que des transferts courants et des revenus des travailleurs à l’étranger et du Capital. La balance commerciale du côté de l’export repose essentiellement sur le phosphate, les industries chimiques et le pétrole ce qui crée actuellement un déficit. Ce déficit est généralement atténué par la balance des services, et ce notamment à travers le secteur touristique qui s’est trouvé ces dernières années en crise.

Le déficit, calculé en divisant le solde de la balance commerciale sur le produit intérieur brut (PIB), est passé de moins de 5% dans les années 2000 aux alentours de 10% du PIB dans les années post-révolution ce qui a engendré des besoins énormes en devise et par la suite un endettement plus important.

Quant à la balance des opérations financières et de capitaux, elle consiste en l’investissement direct étranger (IDE), en l’investissement de portefeuille qui demeure faible et en les capitaux/prêts qui sont des emprunts extérieurs et constituent ce qu’on nomme la dette extérieure. C’est une balance qui est en générale positive et qui doit en principe équilibrer les déficits chroniques.

En retraçant son évolution jusqu’aux années 90, on observe un apport timide qui est devenu important lors des années 2000 grâce au climat d’accueil favorable pour l’IDE (stabilité politique et sociale), notamment dans les industries mécaniques et électriques.

Ces deux indicateurs ont pour conséquence la variation des réserves de change qui relève d’une évaluation subjective comme l’a souligné notre invité. L’objectif implicite en Tunisie est d’avoir 90 jours d’importation mais l’idéal selon lui reste d’avoir des réserves de change constantes, même à 60 jours.

Retour au présent, nous observons le passage de notre dette sur le PIB de 61% lors des années 90 à 70% actuellement. Ce chiffre demeure en effet le plus élevé depuis l’indépendance.

La problématique tourne donc autour des réserves de change : Leurs fluctuations déterminent le nombre de jours d’import et représente dans un sens, un aspect de sécurité nationale.

L’ajustement de ce nombre passerait par deux étapes : Il faut d’un côté encourager l’export et ce en assurant un climat social et politique propice, et de l’autre diminuer indirectement l’import en faisant, entre autres, baisser la demande des produits étrangers. C’est dans cette direction que la Banque Centrale de Tunisie (BCT) a augmenté le taux d’intérêt, visant à décourager la consommation et l’investissement privés. Cependant, le gouvernement aurait aussi à diminuer la consommation et l’investissement publics. C’est une démarche qui a été suivie notamment dans les années 80 dans le cadre d’un plan d’austérité, ce qui n’a pas été le cas lors des années 2010–2019 malgré une augmentation annuelle de 10% pour ces deux derniers.

En vue de soutenir l’import, la BCT a continué à alimenter les crédits, ceci résultant en une spéculation sur les taux de change et d’intérêt et donc en un surstock de spéculation.

Ainsi, la BCT a récemment cherché à baisser le volume des crédits bancaires (et donc la consommation et l’investissement privés) qui a atteint 120% par rapport aux dépôts bancaires en arrêtant d’injecter de l’argent dans le marché. Par conséquent, la valeur du dinar a connu une dépréciation de 15% par rapport à l’euro et de 20% par rapport au dollar en 2018 seulement. Cela est dû au fait que le taux de change dépendait de la BCT qui dominait le marché de change et alimentait le déficit de ce dernier ce qui résultait en une surévaluation du Dinar. C’est suite à la décision du FMI que la BCT a mis fin au soutien du Dinar et donc accéléré le processus de dépréciation qui a atteint 55% de la valeur totale de celui-ci en 2018.

Mais cette politique de dépréciation n’est pas sans précédent. En effet, les premières décisions dans cette direction remontent à 1964 puis à 1986 dans le cadre du plan d’ajustement structurel (PAS). à partir de 1985, il y a eu une dépréciation accompagnée d’une dévaluation (qui consiste en une déclaration officielle) sous la tutelle du FMI.

Il est à noter ici que les réserves de change ont chuté jusqu’à 10 jours pendant quelques mois en 1986 suite à une crise de paiements extérieurs et après laquelle on a procédé à une dépréciation plus lente mais continue du dinar jusqu’à la fin des années 1980.

Durant les années 90, on a pu observé une stabilisation relative du nombre des jours d’import fixés autour de 40 jours avec des fluctuations autour de 80 à partir de 1994 et 1995 suite à la libéralisation du marché en 1993 et de la mise à niveau des entreprises tunisiennes. C’est une ouverture qui a permis d’instaurer une concurrence industrielle et de maintenir un déficit faible. Quant au taux de change, on a enregistré une légère appréciation en 1992 simultanément avec la crise du golfe, visée à rassurer les opérateurs économiques.

Au cours des années 2000, le gouvernement a continué à suivre une politique de dépréciation et le nombre de jours d’importation était en moyenne de 80 jours jusqu’à 2006 avec la privatisation de 35% du capital de Tunisie Télécom. Suite à cette privatisation, le déficit de la balance et le taux d’endettement ont baissé et le nombre de jours d’importations est passé à 180 jours en 2009.

A partir de 2010, l’Etat Tunisien a réussi à maintenir le nombre de jours d’importations à 145 jours en moyenne encore grâce à la privatisation de TT pour passer à 80 jours à partir de 2011 à cause de l’énorme dette extérieure.

En juillet et août 2018 le nombre est descendu jusqu’à 70 jours, et l’on tient ici à citer professeur Rached qui nous a souligné que le nombre en soi n’est pas aussi significatif que l’on peut croire mais ce sont la tendance baissière et les perspectives à court et moyen terme qui inquiètent.

Pour clore la séance, nous demandons à notre invité si le processus de dépréciation serait réversible et à quel coût. Une question par laquelle on apprend qu’il faudrait que l’Etat arrive à maîtriser l’inflation, crée une situation économique favorable notamment pour l’investissement direct étranger et donc arrive à maintenir une certaine stabilité politique, sociale et sécuritaire ainsi que réduire le déséquilibre dans la balance des paiements et baisser le taux d’intérêts. En bref, des mesures qui semblent être hors de portée pour le moment mais pour finir sur une note d’espoir, il nous assure que ce scepticisme vis-à-vis de la possibilité de croissance économique dans un régime démocratique est infondé.

Notre pays connaît sans doute une période d’instabilité générale mais le régime démocratique est plus stable à long terme et nous évitera toutes sortes de chamboulement politique et donc économique et social.

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