Rapport n°5: Systèmes politiques en Tunisie, des Hafsides à 2014 — Youssef Tlili

Le 30/09/2018

Nour Jihene Ghattas
Génération Transition
5 min readOct 10, 2018

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Ce dimanche a été particulier, très particulier. En effet, pendant non pas une, non pas deux, mais bien trois heures, nous avons pu assister à un cours de M.Youssef Tlili au sujet des différentes formes de gouvernement qui se sont succédées en Tunisie. Retour sur un cours magistral magistral.

Après une rapide présentation de ses différentes activités (chargé de mission au sein du ministère de l’éducation, président de la Fondation Ahmed Tlili pour la Transition Démocratique), M.Youssef nous a offert des copies d’une bibliographie des ouvrages autour de la culture démocratique en Tunisie, ainsi qu’une copie de la lettre ouverte d’Ahmed Tlili à Bourguiba de1966.

La session s’est ouverte sur une définition du cadre théorique de la discussion.

1.L’Etat et les types de régime politique

Première chose: cette discussion ne sera pas neutre; il n’y a pas de neutralité lorsqu’on parle de politique. Il existe d’ailleurs autant de définitions d’Etat que de courants de pensée. Cependant, pour poursuivre notre discussion, nous en choisirons une.

Définition sociologique: Selon David Easton, politologue Canadien, l’Etat est la “boîte noire” qui transforme des revendications en décisions.

Définition juridique: Un Etat se définit par la présence de trois éléments: un peuple, un pouvoir politique reconnu par le peuple, et un territoire défini.

Il existe plusieurs sortes de régime politique, que l’on décide aujourd’hui de classer en deux types: les régimes de séparation des pouvoirs et les régimes de confusion des pouvoirs.

  • Séparation des pouvoirs: Parlementaire; Présidentiel; Mixte
  • Confusion des pouvoirs: Totalitaire; Autoritaire; de Convention

Quand à l’apparition historique du concept d’Etat, elle est à lier à la fin de la renaissance en occident, notamment à la révolution française. Elle suit l’apparition du concept de “conscience nationale”, dont se prémunissent les parlementaires pour dépasser les revendications populaires et réformer en profondeur la France. Ainsi, l’intérêt commun n’est plus lié à une chose concrète (fiefs des seigneurs durant l’époque féodale, peuple durant la révolution) mais à une idée que les gouvernants peuvent se permettre d’interpréter.

L’Etat s’oppose à l’Empire en ce qu’il n’est pas en expansion constante; il s’agit d’une entité définie, qui ne cherche pas l’agrandissement perpétuel.

2. Les systèmes politiques qui se sont succédés en Tunisie

Le premier proto-état tunisien est à situer au 13ème siècle, avec l’arrivée de la dynastie Hafside, pour plusieurs raisons:

  • La distance prise par rapport au califat Abbaside, donc une certaine indépendance
  • Des relations inter-puissance avec les royaumes de la méditerrannée
  • Une cohérence de la population suite à la politique d’épurations religieuses menée par les Hafsides; le peuple devient musulman, sunnite, malékite.

En 1574, La longue période de tutelle de la Tunisie s’amorce avec l’arrivée de troupes de la Sublime Porte, avec l‘établissement de la régence de Tunis. Marge militaire de l’empire Ottoman, les gradés locaux prennent rapidement une certaine indépendance, et l’administration du territoire par l’empire devient indirecte. Au 18ème siècle, avec la dynastie Husseinite, cela devient une indépendance de fait. Ces beys seront, de gré ou de force (puisque plusieurs réformes seront mises en place pour contenter les occidentaux menaçants) très réformateurs, et façonneront la Tunisie que l’on connaît aujourd’hui: abolition de l’esclavage en 1846, Pacte Fondamental en 1857… C’est d’ailleurs à cette période qu’une première arabisation de la Tunisie prend place.

En 1881, le protectorat français est instauré, et il coexistera avec la tutelle ottomane jusqu’à la chute de l’empire en 1924. Alors, la Tunisie restera sous domination française jusqu’à sa prise d’indépendance en 1956 par les militants de différents fronts: le néo-destour, l’UGTT, des partis tels que le Parti Communiste Tunisien ou encore les fellagas.

A l’indépendance, une question se pose: qu’est ce que la Tunisie? Oumma (nation) ou Chaab (peuple) — voir plus haut le concept de conscience nationale — ? Enfin l’assemblée constituante est convoquée, et la république proclamée. Bourguiba s’accapare le pouvoir, et le régime devient rapidement autocratique; sous l’impulsion de Ahmed Ben Salah, une expérience de collectivisation est amorcée, et le parti néo-destour est renommé PSD (Parti Socialiste Destourien).

Après l’échec de cette tentative, Bourguiba commence à s’entourer de premier ministres, qui donneront chacun à son tour différentes impulsions économiques, politiques et sociales au pays.

Les différentes phases “d’expérience” par lesquelles sont passée la Tunisie sont symptomatiques de la manière dont le pays était dirigé: par des injonctions incontestées, venant d’un pouvoir sans contre pouvoir. Ainsi, Bahi Ladgham, Hedi Nouira, Mohamed Mzali, Rachid Sfar et enfin Zine El Abidine Ben Ali. Ce dernier réussit son coup d’état en 1987, et récupère le pouvoir. Après une courte et timide période d’ouverture démocratique, un tournant sécuritaire est pris en 1992, qui a mené à l’autocratie et à la kleptocratie que nous avons connues jusqu’en 2011.

3. La constitution de 2014 et ses incohérences

Fin 2011, une assemblée consituante est formée, et produit l’actuelle constitution du pays en 2014 — au terme de 3 ans de débat. Au final, elle comporte un nombre d’incohérences qui, selon notre formateur, mériteraient une révision. Que ce soit au niveau de la présentation des projets de lois, du déséquilibre entre les pouvoirs (au profit du législatif, du parlement), du conflit possible entre le président et le premier ministre à travers la nomination du ministre des affaires étrangères et de la défense, ou la difficulté pour le peuple, l’impossibilité de présenter un projet de loi par initiative populaire, la quasi-inamovibilité des représentants du peuple, le nombre excessif d’échelles territoriales administratives (4!) pour les besoins du pays…

Enfin, il s’agit d’un texte à revoir. C’est peut être ce sur quoi travailleront les juristes membres de Génération Transition pour leur prochain article? Rejoignez nous sur nos réseaux sociaux pour le savoir. En attendant, au rapport prochain.

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