Scrutin de Liste — Tourisme Parlementaire

Les “أفضل الفواضل”* qui se recyclent indéfiniment…

Taher Bouzakoura
Génération Transition
7 min readDec 18, 2018

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* “أفضل الفواضل” : C’est l’expression de BCE pour dire “أكبر البقايا” et c’est l’un des mécanismes fondamentaux du Scrutin Proportionnel de Listes.

Le 07 Décembre 2018, le Président de l’Assemblée des Représentants du Peuple, Mohamed Naceur, a annoncé, pour la énième fois, la « nouvelle » répartition des Blocs Parlementaires.

Ainsi pour les sept Blocs qui cohabitent “en toute harmonie” sous la coupole du Bardo, celui du parti Ennahdha conserve la première place avec ses 68 fidèles, à la vie à la mort, comme préfèrerait dire certains parmi eux qui ont souvent tendance à parler de « mort » à chaque fois qu’ils évoquent leur parti, le Bloc de Nidaa Tounes, quant à lui, essaie mésquinement de maintenir sa seconde position (46 Députés actuellement) face à la montée de la nouvelle Coalition Nationale qui avance à pas de géants (44 députés actuellement). Quant aux Blocs du Front Populaire et d’Al-Horra, dans cet interminable « Mercato », ils se retrouvent pour le moment ex-aequo avec 15 Députés chacun.
Le Bloc Démocrate est resté intact avec 12 Députés.

Le Tourisme Parlementaire dont Nidaa Tounes s’est longtemps plaint depuis les élections législatives de 2014, lui faisant régresser de 86 sièges à 46, actuellement (et pour le moment), lui a servi de reprendre un élan après le débarquement des Députés de l’UPL suite à la controversée fusion entre ces deux derniers partis, lui faisant bondir de la 3ème place (38 Sièges) à la seconde place (51 Sièges) le 25 Octobre pour enfin retourner à la case des 46.

Rappelons que cette tendance de « Tourisme Parlementaire » est apparue pour la première fois avec le Bloc Al-Horra de Machrouû Tounes dont les députés ont quitté le bloc Nidaa en masse en 2016 pour rejoindre le parti nouvellement fondé par l’ex-secrétaire général de Nidaa Tounes, Mohsen Marzouk.

Beaucoup d’autres partis politiques ont vu le nombre de leurs sièges chuter à cause de cette tendance parlementaire, on note même la dissolution de certains blocs comme celui du parti Afek qui a perdu la quasi-totalité de ses élus dont le nombre a fini par descendre en-dessous du seuil minimum de 7 députés (initialement 10 mais révisé à la baisse pour les beaux yeux de Yassine Brahim) et ainsi sa dissolution à la date du 14 Avril 2018, ou même dernièrement, la brusque et surprenante dissolution du Bloc UPL qui a rejoint celui de Nidaa Tounes.

Il faut noter aussi que certains partis, dont les représentants sont d’une discipline du moins remarquable, n’ont souffert que superficiellement de cette tendance, comme le parti Ennahdha qui n’a subi la démission que d’un seul député, Nadhir ben Ammou, le 14 Septembre 2017 (suite à la décision de son bloc parlementaire de voter pour le projet de loi de réconciliation administrative proposé par le Président de la République)ou même le Bloc du Front Populaire qui n’a pour le moment subi aucune démission.

Le « Tourisme Parlementaire » a également été bénéfique pour certains partis, principalement le parti islamiste Ennahdha, il lui a permis de prendre la première place avec 68 députés. Toutefois il a été destructeur pour la plupart des autres.

Ci-joint un graphique dans lequel j’ai reproduit le schéma général du « Mercato » Parlementaire des élections de 2014 jusqu’à aujourd’hui.

La question qui reste à poser n’est autre que : « Est-ce ce qu’auraient voulu les électeurs ? ».
La réponse est naturellement « non », étant donné qu’on constate une totale déformation de la volonté du peuple qui a voté pour une certaine répartition parlementaire en 2014 et qui se retrouve, après quatre années des élections, avec une répartition totalement différente.

Répartition des Blocs Parlementaires en 2014

La seconde question, et la plus importante, n’est autre que : « Quels sont les réels impacts du Tourisme Parlementaire et quelles seraient les effets de son interdiction ? ».

La majeure conséquence de ce type de pratiques est sans doute une instabilité parlementaire conduisant inévitablement à une instabilité gouvernementale et donnant libre cours à toutes les magouilles et manigances dont nos chers et respectables Députés pourraient faire preuve. Car qui dit « instabilité gouvernementale » dit « gouvernement faible » et dit ainsi un État aux bords de la faillite avec des syndicats plus forts que jamais, des contrebandiers de plus en plus influents et surtout des responsables qui ne cessent de caresser ces deux derniers dans le sens du poil.
Chacun tire de son côté avec un système où Députés, Ministres et Chef du Gouvernement ne pensent qu’à s’accrocher de toutes leurs forces à ce qui leur reste de pouvoir plutôt qu’à songer à soigner les maux qui rongent ce pauvre pays depuis plus de 7ans, en proposant de simples mesurettes et en jouant au double rôle du pompier-pyromane, exposant ainsi le pays chaque année à un
« جانفي سخون » avec tous ses risques et périls, l’actuelle (et annuelle) crise entre le syndicat des enseignants et le ministère de l’éducation ou même la dernière grève des Transporteurs de Carburant en sont les plus grands témoins.

L’effet immédiat d’une interdiction formelle du Tourisme Parlementaire est une garantie, du moins théorique, d’une stabilité parlementaire où les députés ne pourront plus sauter d’un Bloc à l’autre troublant ainsi un équilibre nécessaire au travail gouvernemental.
Ceci dit, nos députés apprendront ainsi à tenir en place et à être plus responsables au sein de l’Assemblée mais aussi au sein de leurs propres partis, étant donné que le Tourisme Parlementaire conduit à des crises politiques dans les partis mêmes et donc à des scissions et fusions comme celles dont Nidaa Tounes a été victime. Bien qu’on l’eût élu en 2014 afin de gouverner le pays pendant cinq ans, voilà qu’on le retrouve (grâce au fameux Tourisme Parlementaire) dans l’opposition avec la moitié de ses sièges de départ.
Ainsi le Gouvernement supposé être « de Nidaa » se retrouve soutenu par le parti islamiste Ennahdha et par le nouveau bloc-né de la « Coalition Nationale » et contré par Nidaa Tounes et par les autres partis de l’opposition. On pourrait dire alors que s’il existait une interdiction formelle dans le Règlement Intérieur de l’ARP de ce genre de pratiques, on aurait eu au moins une stabilité gouvernementale qui nous aurait peut-être permis de trouver quelques solutions et d’espérer voir le bout du tunnel.

Le Député Sahbi Ben Fraj, 5ème sur la Liste de Nidaa Tounes sur Tunis 2, devenu ensuite Leader du Parti Mashroûu Tounes puis de la Coalition Nationale.

Le Tourisme Parlementaire est l’un des phénomènes les plus destructeurs de la scène politique entrainant des scissions partisanes et incitant les députés aux manigances et aux calculs égoïstes. Il ne faut pas aussi oublier que la raison pour laquelle on a des députés prédisposés à ce genre de pratiques est ce qui leur a permis d’entrer sous cette coupole et qui n’est autre que le mode de scrutin proportionnel et par listes.
C.-à-d. que le citoyen qui a voté la liste de Nidaa Tounes à Tunis 2, n’a pas voté pour « Sahbi Ben Fraj » 5ème sur la liste, et qui maintenant saute d’un Bloc à l’autre ses statuts Facebook à la main.
On ne connaissait pas le nom de Sahbi Ben Fraj avant 2014, et même avant 2016, on avait plutôt voté pour « Saïd Aïdi » et c’était la liste qui a eu le plus de voix à l’échelle nationale. Maintenant ? elle en est où ? Saïd Aïdi « out » avec son propre parti « Béni Watani » et tous les autres de sa liste à Tunis 2, Bochra Belhaj Hamida, Mustapha Ben Ahmed, Leila Chettaoui et bien sûr le Héros national, Sahbi Ben Fraj ont migré vers un nouveau Bloc, la Coalition Nationale.

Quelles Solutions à Proposer ?

Le pays a besoin de réformes, et pas qu’économiques et sociales, mais aussi Politiques, et qui devront commencer par un méga-nettoyage de la scène:

  • Réformer le Code électoral en changeant le mode de scrutin vers un Scrutin Majoritaire Uninominal:
    Les partis seront ainsi obligés de présenter le crème de la crème de ce qu’ils ont dans les circonscriptions aux élections et pas seulement une « Tête de Liste » comme affiche présentable avec en arrière-plan une multitude de noms sans aucune connaissance ni motif autre que l’intérêt personnel. Ainsi on aura moins de Députés (et donc moins d’absents et de gaspillage d’argent public).
  • Modifier le règlement intérieur de l’ARP en interdisant le Tourisme Parlementaire:
    Les Blocs seront ainsi stables avec un gouvernement stable, on aura une majorité qui gouvernera et qui restera uniforme durant tout le mandat avec une opposition aussi stable et identifiable, à la différence de ce qu’on peut voir en ce moment avec Nidaa qui saute du Pouvoir à l’Opposition, l’UPL aussi (avant de littéralement disparaître), ou même la Coalition Nationale, ce nouveau Bloc volant non identifié.
  • On pourrait même proposer, si on n’a ni le courage d’attaquer le Code électoral ni le patriotisme suffisant pour changer le Règlement Intérieur de l’ARP, d’imposer au moins un seuil respectable de 8% ou même de 10% qui permettra ainsi un filtrage primaire des éléments contreproductifs tel que « Faycel Tbini » ou ceux du « Courant de l’Amour » (oui, vous avez bien lu “amour”).

Le pays passe par une période des plus décisives de son histoire où toute personne se considérant apte à produire ne serait-ce qu’un embryon d’idée a pour devoir national de proposer, d’écrire, de publier et de ne pas laisser champ libre à tous ces guignols de l’« Watania 2 » jusqu’à ce que « تخلا » et
« يقيمو فيها الآذان ».

Sources :

http://www.arp.tn/site/main/AR/docs/reg_int_arp.pdf

https://majles.marsad.tn/2014/fr/elus/Sahbi_Ben_Fraj

http://kapitalis.com/tunisie/2018/05/23/le-depute-tebini-au-piquet-pour-avoir-agresse-le-president-ennaceur/

https://www.albawsala.com/uploads/documents/RI_ANC_fr_Tunisie_BsiliAdeL.pdf

https://majles.marsad.tn/2014/fr/assemblee/mercato

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Taher Bouzakoura
Génération Transition

Anciennement étudiant en Deuxième Cycle d’Etudes Médicales. Actuellement étudiant en Sciences Po.