Qu’est-ce qui rend le secteur manufacturier québécois si performant?
Partout sur Terre, le secteur manufacturier a été l’un des secteurs qui ont connu des perturbations des plus violentes suite à l’essor de la mondialisation. Certaines régions d’Amérique du Nord ont connu un ralentissement économique et ont vu leurs usines déménager à l’étranger vers des pays où les coûts de main-d’œuvre sont moins élevés. L’automatisation et la délocalisation ont altéré de façon permanente les modèles d’affaires des entreprises manufacturières, réduisant le besoin pour de la main-d’œuvre locale et affaiblissant l’avantage comparatif des entreprises de pays développés. Cependant, dans une certaine mesure, le Québec a su surmonter les épreuves de l’époque, affichant une croissance régulière de son secteur manufacturier au cours de la dernière décennie. Le Québec est une des provinces du Canada ayant la plus forte proportion de son produit intérieur brut (PIB) attribué à la fabrication. Le secteur manufacturier québécois génère un quart de toutes les ventes manufacturières au Canada et près de 90% des exportations totales de la province [a]. Plusieurs facteurs assurent que le secteur manufacturier du Québec demeure résilient, notamment la diversification de ses activités de fabrication et de transformation, sa tradition syndicale et son développement économique favorisant la floraison de petites entreprises.
Diversification de la fabrication
Dans la répartition du PIB du Québec par secteur de 2019, la fabrication représentait 13,4% du PIB total du Québec [a], se classant ainsi comme le secteur le plus important, devant l’immobilier, la santé et la construction. Contrairement à certains pays où la production est axée sur un type de bien, le Québec produit une grande variété de produits. La majorité d’entre eux sont destinés à l’exportation vers le reste du Canada, les États-Unis ou des destinations plus lointaines. Le Québec possède une pléthore de ressources naturelles en raison de son vaste territoire et de son arrière-pays inexploité. La transformation de ces ressources en biens exportables, notamment celle du pétrole, du bois et de minéraux, représente près du tiers de la production manufacturière totale de la province. Les structures de coûts de ces industries lourdes dépendent de chaînes d’approvisionnement efficaces qui réduisent les coûts de transport. La baisse des coûts rend les produits ayant un rapport poids / valeur élevé compétitifs et améliore la facilitation des échanges. Les États-Unis ont été ceux qui ont le plus profité de la performance des industries lourdes, en important la majorité des métaux et une grande partie des produits dérivés du bois fabriqués au Québec. Être en mesure d’accéder à un grand marché à proximité comme les États-Unis a permis à la province d’exporter ses ressources avec facilité.
Par ailleurs, le Québec est devenu un pôle d’expertise en ingénierie dans la fabrication aérospatiale et de transport. La forte concentration de facultés de génie de classe mondiale dans le Grand Montréal a attiré des entreprises multinationales qui fabriquent des produits innovants dans la région. L’expertise en génie a également attiré de nombreuses autres installations dans la province, notamment des usines de transformation chimique, de transformation des aliments et plus récemment de semi-conducteurs et de composantes électroniques.
Tradition de syndicalisation
La négociation collective a une histoire de longue haleine au Québec, qui remonte à la fin du 19e siècle. Les grèves de la Révolution tranquille et la vaste expansion du secteur public dans les années 1960 ont doté le Québec du taux de syndicalisation le plus élevé en Amérique du Nord. Cela est toujours vrai aujourd’hui, pour le secteur public autant que pour le secteur privé. Plus du tiers des travailleurs du secteur manufacturier sont syndiqués au Québec, soit près du double de l’Ontario.
Les théoriciens de l’école classique en économie soutiennent que les syndicats affectent négativement l’économie. Bien que des réflexions économiques banales, l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) de Montréal a mené des recherches sur l’impact des syndicats au Québec, constatant avec constance que des taux de syndicalisation plus élevés n’ont pas d’impact négatif sur la productivité horaire des travailleurs, l’investissement privé et la croissance économique lorsque l’on compare le Québec à d’autres provinces canadiennes. Leur multitude d’ouvrages concernant les effets de la syndicalisation au Québec exhibe la complexité de la question, démontrant que la présence de syndicats ne signifie pas nécessairement une baisse de la productivité ou de la croissance. Or, certains des avantages des taux de syndicalisation plus élevés sont incontestables : des emplois stables, de meilleurs salaires et conditions, une réduction des inégalités de revenu dans l’ensemble de la société et des lois sur la sécurité renforcée. Les syndicats manufacturiers ont permis à la province d’améliorer l’équité sociale sans paralyser l’économie, permettant aux entreprises de prospérer sans compromettre la qualité de vie des travailleurs.
Petites entreprises innovantes
92% des entreprises manufacturières du Québec comptent moins de 100 employés [a], si bien que le développement du secteur manufacturier de la province est principalement attisé par les petites et moyennes entreprises (PME). Des années de subventions du gouvernement provincial aux PME ont favorisé l’esprit d’entreprise chez les Québécois. Les petites firmes avec peu d’employés ont cherché à acquérir une expertise dans des industries de niche, à offrir des services hautement spécialisés et à développer des clientèles internationales. Les programmes d’incitation à devenir entrepreneur au Québec ont également favorisé une culture d’innovation chez les jeunes ingénieurs désireux de démarrer une entreprise. La combinaison de la spécialisation et de l’innovation chez les petits fabricants québécois s’est avérée être la clé pour un secteur manufacturier prospère et diversifié.
L’avenir de la fabrication
Dans l’ensemble, le secteur manufacturier québécois a su demeurer résilient grâce à une forte diversification, une tradition de négociation collective entre les travailleurs et l’implication des petites entreprises au sein du secteur manufacturier. Les usines modernes utilisent de plus en plus d’automatisation et de principes de l’industrie 4.0 pour rendre leurs opérations plus efficaces et moins coûteuses. Le secteur manufacturier québécois peut sans aucun doute s’adapter aux changements technologiques qui le guettent, mettant à profit ses caractéristiques uniques pour conquérir de nouveaux marchés.
[a]: STIQ (2019) Baromètre industriel québécois, 10e édition.