La Gauche sans Ordre de Bataille et l’Echec Annoncé de 2017
Alors qu’il disposait au moment de son élection des majorités sénatoriale et parlementaire, d’une majorité de communes et de conseils régionaux, le président Hollande s’est, en cinq années d’exercice du pouvoir, révélé incapable de structurer son mandat ou de doter sa politique d’une colonne vertébrale cohérente. L’échec du premier président socialiste depuis François Mitterrand est ainsi révélateur d’une réalité indéniable : sans conviction, sans audace, sans raison, la gauche s’est fourvoyée et semble avoir incarné un leadership du hasard, terne et inconséquent. S’il fallait résumer le président Hollande à un chiffre, ce serait celui-ci, paru dans l’édition du 25.10.2016 du Monde : 4% d’opinion favorable. Aucun président n’avait atteint un tel (non) score sous la Vème République, et si l’on peut à juste titre reconnaître qu’il s’agit là d’une preuve de la ruine d’un système qui depuis des décennies, se complait dans la corruption, le népotisme, l’incurie et la malhonnêteté intellectuelle la plus crasse, force est de constater qu’Hollande, rassembleur mou et solitaire, n’a jamais su ni pu redorer le blason de la politique française, de renoncements coupables et demi-mesures fades. C’est simple : à trop arpenter les profondeurs, Hollande pourra bientôt prétendre au premier rôle d’un remake du Grand Bleu. Comment expliquer qu’avec autant de cartes en main, le pouvoir du président se soit ainsi abîmé d’une manière si complète ? Qu’alors qu’il pouvait mobiliser autour de lui sénateurs, députés, maires et autres élus locaux, Hollande ne soit jamais parvenu à pratiquer un exercice sain et cohérent du pouvoir ? La faute à une erreur multidimensionnelle, à la fois idéologique, stratégique et politique, qui a conduit le mandat Hollande à définir un cas d’école de l’échec en politique.
Qu’un leader politique s’excentre au premier tour avant de se rallier à sa base — logiquement plus modérée — au second fait partie du jeu démocratique ; cette méthode, largement décriée et dévoyée, ne correspondant pas autant à du strict clientélisme et peut, si utilisée par un(e) politicien(ne) respectable, conduire à explorer de nouvelles idées et à considérer de nouvelles solutions. La campagne d’Hollande en 2012 est ainsi un cas d’école de ce « yoyo électoral » entre la social-démocratie jugée « rassembleuse » car pouvant séduire un électorat modéré et transpartisan et le socialisme plus traditionnel considéré comme plus clivant. Cette stratégie peut s’expliquer par le paysage politique d’alors : pris entre un Nicolas Sarkozy égaré dans une course à l’identité restrictive et un Jean-Luc Mélenchon désireux de le doubler sur l’aile gauche, Hollande peut tout à la fois rechercher le soutien des libéraux déçus par le virage ultraconservateur de l’UMP et celui des socialistes français égarés depuis le précédent revirement Mitterrandien. Pourtant, à ce calcul politique aurait dû se substituer une réflexion d’ordre idéologique : la France de 2012 se remet douloureusement de la crise financière ; l’opinion publique est acquise aux politiques non-austéritaires ; des forces progressistes, certes avec succès mitigés, se sont déjà dressés en Italie et en Grèce ; d’autres s’efforcent de secours les structures politiques archaïques d’Espagne, du Portugal et même du Royaume-Uni. En un mot comme en cent, l’ère est à la réinvention ! Que des gauches d’opposition ne puissent pas capitaliser sur cette dynamique, cela se comprend ; que des gauches muselées par la Troïka n’en aient même pas l’occasion, cela s’explique ; mais que le socialisme français, contrôlant tous les leviers institutionnels de la République, se refusent à faire preuve d’audace à l’intérieur et de solidarité à l’extérieur, ce n’est plus seulement une faute, mais un crime, envers le pays, l’Europe et la Cause. Par ailleurs, ces reniements dont on parvient peu à saisir l’intérêt politique ne se sont pas seulement incarnés dans les domaines social et économique, mais aussi dans les relations internationales : en maintenant l’alliance avec les pétromonarchies sunnites et en se refusant à remettre en question l’approche américano-israélienne des problématiques géostratégiques, le socialisme a renoncé à ce qui faisait sa force : son caractère alternatif. D’aucuns prétendront qu’il s’agit là de réalisme, que gouverner c’est renoncer et que renoncer, c’est faire preuve d’un certain sens de la responsabilité, mais il s’agit d’un refrain mensonger et éculé ; d’une vue de l’esprit dépassée et artificielle que les puissants et les possédants veulent vous faire rentrer dans la gorge. Il n’y a pas d’honneur à trahir, pas de courage à renoncer ; et prétendre avec l’insolence d’un Valls qu’il est intelligent de tourner le dos à l’audace, c’est faire injure à tous ceux qui, dans la longue marche vers le changement sociétal, ont compris que la possibilité du risque ne peut et ne doit jamais éclipser la perspective du devoir.
Reste que l’on pourrait se faire avocat du diable et tenter de dépasser ce que l’on choisit de considérer comme une trahison idéologique pour reprendre le problème du seul point de vue politique. Admettons que le revirement était nécessaire, que cette décision était inéluctable, encore faut-il savoir « vendre » cette transition à ses proches, à l’opposition et aux citoyens. Il faut pour cela considérer tout à la fois la capacité à convaincre et celle de persuader, deux choses que le président Hollande s’est révélé incapable de faire. Difficile de convaincre, en effet, lorsque des ministres emblématiques — on pense à Arnaud Montebourg, Benoit Hamon ou encore à Christiane Taubira — sont poussés vers la porte de sortie et que d’autres, comme Cahuzac, Yamina Benguigui et Thévenoud rivalisent d’ingéniosité dans l’art d’enfreindre la loi. Difficile de convaincre, lorsque l’on a pour alliés idéologiques des modérés sans réseau ni caractère, des organisations patronales imprévisibles et dévoyées et quelques politiciens étrangers ayant pour seul mérite l’explosion des inégalités et pour seul ADN la fidélité aux antichambres silencieuses du capitalisme mondial. Quant à la plus insaisissable capacité de persuader, elle repose avant sur trois attributs du tribun : à sa légitimité, son exemplarité et son autorité. De la légitimité, Hollande en disposait dans un premier temps : elle était en partie usurpée car construite sur de l’antisarkozysme, mais bien réelle, puisqu’elle reposait sur une série de victoires électorales. L’exemplarité du président — longuement défendue durant le dernier débat entre Nicolas Sarkozy et François Hollande — était elle aussi bien réelle mais s’est rapidement effritée avec l’affaire Cahuzac où l’accusé s’est répandu en mensonges tout en étant défendu par les membres du gouvernement. Reste l’autorité, qu’Hollande n’a jamais vraiment eu. Entouré de ministres ternes — à l’image de l’interchangeable Jean-Marc Ayrault — ou hyperactifs — pour ne pas citer Manuel Valls — mais aussi opposé à une fronde dénuée du moindre courage politique, le président Hollande a rapidement sacrifié sur l’autel de la paix sociale toutes ses chances de convaincre ou de persuader le pays du bien-fondé de sa nouvelle politique. A mal identifier ses priorités, à épuiser ses ministres sur des fronts secondaire, à dilapider son maigre capital sympathie lors d’histoires sans queue ni tête, Hollande s’est enfermé dans le rôle du capitaine naviguant à vue et essuyant mutinerie sur mutinerie, sans que le développement d’un puissant complexe de visionnaire incompris ne puisse alterner un constat indiscutable : en dehors de quelques réformes emblématiques, ce mandat est un échec sans précédent dans l’histoire du socialisme français.
Peut-on dès lors oser espérer que François Hollande parviendra à corriger cette sinistre trajectoire ? Pas vraiment. Le second président socialiste de la Vème République est plus affaibli que jamais auparavant : sa propre garde rapprochée que la presse nomme « Hollandie » se délite depuis la parution d’un ouvrage malheureux et insipide, la grande valse des haut-fonctionnaires illustre le caractère misérable de ce règne par défaut, et, au sein même de cette aile « réformiste » de nouveaux noms tentent tant bien que mal de franchir l’écume de leurs erreurs passés, sans parvenir toutefois à apparaître beaucoup plus légitimes que celui du président actuel. D’ici quelques années, après le retour probable d’une droite libérale au pouvoir — visiblement prête à être portée par Alain Juppé, ancien lieutenant de Jacques Chirac condamné à un an d’inéligibilité en 2004 — fera sans doute ressurgir quelques souvenirs heureux du mandat Hollande — l’adoption du mariage pour tous, la mise en place d’un accord ambitieux sur le climat — sans qu’il ne soit jamais possible de pouvoir pardonner à cet homme la faiblesse qui caractérisa ces cinq années d’exercice du pouvoir.
Hugo Decis graduated from a French classe préparatoire a few months ago. He is now a student of the Strategic and International Relations Institute (IRIS) located in Paris. He is now the Graduates of Democracy’s Director of Communications.