Teal for Teal Paris — Comment nous avons fait émerger notre Raison d’Etre Evolutive PARTIE II

Yolande Demirian
Greaterthan
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10 min readDec 24, 2017

Yolande Demirian, Isabelle Rambaud-Carassus

RETOUR SUR NOTRE EXPERIENCE : CONSTATS, INTERROGATIONS, HYPOTHESES

Le fait d’entreprendre ce travail d’écriture sur notre cheminement collectif vers la formulation de la Raison d’Etre de la communauté Teal for Teal Paris, nous a conduit toutes les deux à prendre du recul par rapport au processus dont nous avions été parties prenantes. Nous avons décidé de compléter la partie — restitution, par la partie de réflexion avec l’idée de partager nos constats, interrogations, doutes et hypothèses sur le processus lui-même ainsi que sur son impact.

NOS INTERROGATIONS SUR LE PROCESSUS

· Quelles étaient les causes possibles de la lenteur de ce processus itératif qui nous a conduit à la formalisation de notre Raison d’Etre Evolutive?

La configuration, chaque fois différente du groupe (malgré la présence régulière d’un noyau dur) et l’absence de règles de gouvernance clairs nous a apparu comme un premier facteur explicatif. Ainsi, pour Isabelle, « Il (me) semble que la variabilité du groupe a joué. En particulier car les principes de gouvernance n’ont pas été posés. C’est la raison pour laquelle, le statut (propositions ? décisions ?) des productions réalisées pendant les anti-réunions n’était pas clair avec pour conséquence le fait que les participants d’une réunion donnée ne se sont pas sentis liés pas les productions des réunions précédentes). » Cette analyse est en partie nuancée par Yolande : « Est-ce que le raisonnement en termes de validité ou de statut n’est pas en fin de compte un résidu de la pensée à l’ancienne qui se distingue par la tentative de réguler le processus organique et créatif auquel nous assistons ici, le processus marqué forcement par la découverte et l’imperfection ».

Les méthodes/outils de réflexion choisis (world café, open space, Biger Game, …) étaient sans doute responsables de cet état de choses, dans la mesure où elles nous engagaient d’avantage dans la phase de créativité et de divergence, aux dépens de la phase de convergence et de la prise de décision.

Par ailleurs, il nous partagions un point de vue que tout le monde ne mettait pas les mêmes attentes dans l’avancement de la réflexion collective sur la raison d’être, et que le projet n’a pas été forcement ressenti comme urgent par certains. On peut donc dire que l’hétérogénéité des attentes et des intentions individuelles (avouées ou non) par rapport au groupe Teal for Teal Paris y était pour quelque chose. « Chacun est sans doute venu avec sa représentation de ce que pouvait être la communauté Teal for Teal Paris et de ce qu’il/elle pouvait y faire. Cinq représentations semblaient être présentes

- vivre quelque chose au sein de la communauté de ses semblables,
- apprendre, s’informer, expérimenter des outils ou des méthodes innovantes ;
- trouver les opportunités d’évolution de son activité en collaboration avec les entreprises ou des trouver des chantiers en lien avec les entreprises.
- développer des projets nouveaux avec les autres membres du mouvement. » Yolande

On aurait pu s’attendre à ce que l’avancée du groupe vers la raison d’être permette de lever ces ambiguïtés. Il nous a semblé que cela n’a pas été le cas. On peut donc s’interroger si la formulation « très large » et peu spécifique de la raison d’être, que nous avons retenue, ne rendra pas notre future convergence encore plus problématique. Lors de notre travail de l’écriture, nous nous sommes demandées si la raison d’être dans sa version finale n’avait pas contribué à créer un « rideau de fumée » permettant à chacun d’adhérer à la communauté T4TP sans avoir au préalable clarifié ses raisons profondes qui l’ont amené à adhérer. Prendre le temps en amont du processus afin de clarifier nos intentions individuelles et ce en quoi la perspective Teal engageait chacun ainsi que sa sphère professionnelle, aurait certainement permis de construire un alignement plus fort en termes de vision partagée.

Enfin, il nous semblait que les modes de fonctionnement du groupe ont impacté la manière dont le processus s’est mis en œuvre. L’envie de rester dans le positif, d’engager, de valoriser chacun a pu avoir comme contrepartie un déni inconscient des aspérités, des frustrations, des conflits même, en nous privant au final d’une opportunité de nous confronter à ces réalités et de le transformer en tremplin.

· Deux phases semblent se distinguer dans le processus de construction de la raison d’être de Teal for Teal Paris. Quels ont été les moments pivots du processus d’émergence de notre Raison d’Etre?

Nous avons distingué deux phases dans le processus d’émergence de notre mission collective : la première, jusqu’à juin 2016, au cours de laquelle le groupe semblait nettement orienté vers l’action, exprimée comme l’envie de prototyper rapidement sur quelques projets, puis, la seconde, à partir du juillet 2016, lors de laquelle la communauté s’est consacrée à son développement interne sous forme d’une expérimentation de méthodologies et d’outils de facilitation et d’intelligence collective.

Force est de constater que la plupart des actions initiées lors de la première phase, n’ont finalement pas été menées à bien. On peut y voir le résultat de l’absence de la raison d’être formulée en amont, donc d’un alignement suffisant pour investir collectivement un projet. Une autre raison probable reste, comme nous l’avons déjà évoqué, les intentions hétérogènes et non exprimées chez les membres du collectif (vivre une expérience — apprendre — chercher des opportunités — co-construire). Il nous semble qu’un travail, en amont, dédié à la clarification des intentions, aurait pu faciliter la tâche d’élaboration de la Raison d’Etre par la suite. Une autre voie possible aurait été de s’engager ensemble dans les projets concrets, les actions investies collectivement pouvant agir ensuite comme un catalyseur de l’alignement et de la raison d’être collective. Par ailleurs, il nous semblait que le fait de nous limiter à des rencontres mensuelles, sans avoir conduit d’autres activités entre les anti-réunions, n’a pas été suffisant pour bâtir les liens forts entre les membres, ce qui n’est pas resté sans conséquences pour la qualité de travail d’équipe.

· Quels ont été les moments marquants de notre évolution vers la Raison d’Etre de Teal for Teal Paris?

Le moment de l’aboutissement à une formulation de notre raison d’être est celui qui nous a semblé à toutes les deux le plus puissant, même si Yolande met en relief plusieurs moments qui l’ont marquée. « Personnellement, je me souviens de trois moments qui m’ont marquée. Le premier lors d’un lancement d’une enquête avec les trois « Comment » par rapport de nos actions futures (Mai 2016), un autre en Juin 2016, où la récolte de questionnaire lancé entre temps a été rendue publique, enfin, le troisième, et probablement le plus mémorable aboutissant à une formulation de notre Raison d’Etre collective, avec tout ce que cela suppose comme émotions et ressentis (« sentiment d’appartenance à une entité plus grande que soi, bonheur de co-création avec les autres », « ressenti d’aboutissement à un résultat longuement attendu qui va de pair avec un sentiment d’accomplissement d’une étape importante dans l’existence de Teal for Teal Paris »), et quelque fois moins faciles à gérer (expérience de renoncement à son ego que nous étions plusieurs à partager). »

LES OBSTACLES ET LES FREINS

· Quels étaient les principaux obstacles et les principaux freins que nous avons rencontrés sur notre chemin ?

Le premier frein possible que nous avons identifié est le manque de règles d’auto-gouvernance et la grande « fluidité » (composition changeante) du groupe présent aux anti-réunions.

Le second est lié à une décision plus ou moins consciente de co-créer une communauté Teal, ouverte et accessible à tous, vue comme un espace où la créativité et l’intelligence collective ne sont pas bridées par des règles et des structures pré-imposées.

En lien avec ces deux premiers points, le choix, d’un fonctionnement selon un principe de spontanéité et ad-hoc (la planification n’allant pas plus loin que le regroupement suivant) pour vivre pleinement l’expérience « organique » de la naissance d’une communauté, a certainement démontré ses limites. Ce choix a pu en définitive rendre notre démarche peu productive par moments. L’impératif de rester à l’écoute de tous, à n’importe quel moment du processus, ne nous a pas mis à l’abri du piège de non-action. Mais, après tout, ces moments-là ne font-ils pas partie intégrante d’un processus de co-création ? L’impatience d’aboutir rapidement à un résultat ne serait-il pas, finalement, un piège ?

LES IMPACTS DE LA FORMULATION DE LA RAISON D’ETRE SUR LA COMMUNAUTE ET SUR SES MEMBRES

· Quel a été l’impact de l’émergence de la raison d’être sur les membres et sur l’ensemble de la communauté ? Avons-nous observé un effet rebond en matière de participation et de capacité d’agir collectivement ?

La réponse à cette question n’est pas évidente. Depuis la formulation finale de la raison d’être en octobre 2016, peu d’avancées concrètes ont été observées. Le taux de participation aux anti-réunions est resté relativement stable de mois en mois (de 6 à 12 personnes), avec quelques rebonds lorsqu’un invité extérieur était annoncé. De la même manière, peu de projets ont été concrétisés. Parmi les trois initiatives qui avaient été lancées à la fin du printemps 2016, un atelier — présentation des principes Teal pour les entreprises, la création d’un lieu d’expérimentation Opale pour les entrepreneurs sous forme d’un accompagnement projet, l’écriture d’un article avec pour thème un retour d’expérience sur le cheminement de T4TP, seule la dernière aura abouti.

Ce constat nous appelle à interroger le rôle de la raison d’être, un incontournable des organisations dites opales qui devait à notre sens être élaboré en amont. Aurions-nous pu fonctionner à l’inverse, en mettant notre énergie dès le départ sur l’avancée de nos projets, pour faire ensuite émerger progressivement la raison d’être de notre communauté ? Cela reste à prouver …

· Avons-nous progressé en matière d’auto gouvernance en un an et demi ?

Sur ce point, nos impressions sont mitigées. Ainsi, pour Isabelle, « Le groupe semblait relativement dépendant de l’énergie déployée par Yolande, la co-fondatrice de Teal for Teal Paris, pour mettre de l’enjeu et stimuler l’intérêt, encourager la prise d’initiative et valoriser les contributions de chacun. Malgré sa posture alignée avec celle d’un leader Teal, peu d’éléments indiquent que nous ayons progressé en matière d’auto-gouvernance. Pas ou peu de propositions d’action (sauf une dans le cadre des travaux de groupe sur l’avenir de T4TParis), peu de réponses aux appels à l’animation des AR… On pourrait, à ce stade se demander pour qui T4TP est-il réellement important ? »

· Quelles ressources la communauté Teal for Teal Paris a pu faire émerger pendant le processus ? Quel était son impact sur les membres ?

Les temps de debriefing de nos différentes anti-réunions ont démontré la capacité de participants à révéler, développer des émotions et des postures favorables à la collaboration au service de la raison d’être collective : la joie, la bienveillance, l’enthousiasme, le soutien mutuel, la confiance, l’envie d’explorer ensemble, la curiosité envers l’autre, la volonté de repousser ses limites, en sortant de sa zone de confort, l’envie de se mettre au service d’une cause plus grande que nous, de rester connecté aux autres, de se former mutuellement. Ce qui a été frappant c’est la capacité du groupe à regarder dans la même direction et à s’investir dans la problématique explorée en y mettant le meilleur de soi.

· A regarder en arrière, quelle était la véritable finalité de ce cheminement et en quoi nous a –t-il permis de devenir une communauté Opale que nous voulions devenir ?

La notion de raison d’être a été très bien définie par Brian Robertson, le père de l’Holacratie. Selon lui, la Raison d’Etre ne peut être décidée à priori, elle doit être découverte collectivement. Chaque organisation a un potentiel et une capacité créative qui lui correspondent le mieux et qui lui permettent de s’exprimer dans le monde de manière unique, compte tenu de son histoire, ses équipes, ses ressources, ses fondateurs, ses interactions, etc. C’est exactement ce que Robertson appelle « purpose » ou « reason for being ». La Raison d’Etre n’est pas ce que les fondateurs ou les leaders désirent pour l’organisation, même si les passions et les valeurs des fondateurs y sont souvent présentes, surtout à un stade initial de son évolution. Pour découvrir sa raison d’être, un collectif doit rechercher l’énergie créative de l’organisation elle-même. Pour Robertson, le chemin qui y mène consiste à répondre à la question :

« Que veut devenir cette organisation dans le monde et qu’est-ce que le monde attend d’elle comme contribution ? »

« Pour paraphraser Robertson, je pense que nous avons découvert au terme de ce cheminement que la raison d’être ne peut pas se décréter à l’avance, ni d’ailleurs d’être imposée que ce soit de l’intérieur ou de l’extérieur. Elle ne peut pas non plus être anticipée car elle est un résultat d’un cheminement collectif, par nature multidimensionnel, chaordique et imprévisible. La raison d’être collective est donc le fruit d’une histoire vécue ensemble, et une histoire a besoin de l’espace, du temps et de la bienveillance pour se déployer. » — Yolande

EPILOGUE ET CONCLUSION

Parmi les entreprises de la nouvelle génération, nombreuses sont celles qui prennent conscience d’un pouvoir fédérateur de la raison d’être collective et de son rôle de levier de performance dans le contexte de pilotage du changement et de management de la complexité.

Si votre organisation veut s’engager dans le chemin parcouru par Teal for Teal Paris pour co-créer la Raison d’Etre partagée, il vous faut prendre conscience du fait que l’émergence de la mission collective est un processus complexe et dialectique, qui se nourrit des tensions entre les aspirations individuelles et la dynamique du groupe créatrice du sens. Ce processus itératif peut paradoxalement être stimulé et freiné par les aspirations individuelles exprimées par les membres du groupe. Il arrive parfois que l’expression trop « individualiste » des désirs de chacun aboutit à une mise à mal de la réussite du projet collectif. Que les membres du groupe prennent conscience de cette réalité nous semble déterminant pour réussir cette démarche dont le but est de faire émerger une identité collective.

Si le processus d’émergence de la mission collective est producteur de sens pour une organisation, il doit se construire à travers un vécu partagé dans l’action. C’est donc l’action engagée collectivement qui sera un principal levier d’émergence et de concrétisation de la raison d’être.

L’avenir nous dira, au travers des projets qui seront menés à bien, dans quelle mesure notre Raison d’être évolutive, car toujours in progress, aura pu constituer un socle commun et devenir un catalyseur d’intelligence collective et un moteur d’action pour T4TP.

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