Générer de la User driven value : la marche à suivre

juliendreher
Ground
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8 min readSep 4, 2016

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La transformation d’une organisation ne peut se réaliser que si et seulement si l’approche est globale et qu’elle comprend les produits, mais également ses process et ses équipes. Si l’approche doit être globale, elle doit être également focalisée sur l’expérience client si elle veut tirer son épingle du jeu dans la nouvelle civilisation de l’Utilisateur.

Comment concentrer la création de valeur en faveur des utilisateurs ? Mais déjà : qu’est-ce que la “User Driven Value” ou la “Valeur Tractée par l’Utilisateur” ?

Nous pourrions définir cette “User Driven Value” comme tout élément positif contribuant directement ou indirectement, de manière massive ou plus marginalement, à la constitution d’un produit ou d’un service adapté aux besoins réels d’une personne, d’un client, d’un utilisateur. Cette valeur, pour être validée, doit être plébiscitée durablement et sans équivoque par les utilisateurs eux-mêmes. Cette confirmation porte une conséquence majeure : vous ne pouvez pas être certain de grand chose tant votre produit n’est pas entre les mains de votre utilisateur et que vous avez pu analyser son feedback. Cela signifie que la création de valeur se réalise obligatoirement dans un contexte d’incertitude, qui sera décroissante au fil des interactions avec les utilisateurs, et a fortiori dans une démarche d’innovation.

Travailler le management de l’incertitude

Une dimension essentielle de cette transformation réside dans le fait d’accepter une grande part d’incertitude. Cette nouvelle dimension est d’autant plus compliquée à accepter qu’elle remet en cause un des fondements principaux des organisations : la décision maîtrisée et l’atteinte d’objectifs sur lesquels les acteurs s’engagent en connaissance de cause. Dans ce fonctionnement, souvent mis en place par des ingénieurs talentueux, aucune place à l’incertitude, aucune place à l’échec, il faut tout prévoir (ou au moins en donner l’impression), tout étudier, se couvrir ou, le cas échéant, trouver un bouc émissaire.

Il est vraiment impératif de réussir cette révolution managériale si vous souhaitez transformer votre organisation car il n’y a pas d’amélioration continue et itérative sans agilité et sans prise de risque. Ce n’est pas un hasard si l’échec fait partie de la mythologie du monde des start-ups. Ces dernières cultivent la valeur positive de l’échec, non pas car elles veulent justifier leurs erreurs, mais parce qu’elles ont compris que c’est en testant rapidement de nouvelles idées, et donc en prenant des risques permanents d’échouer, qu’elles progressent et s’améliorent. Cela pourrait paraître contre-intuitif pour beaucoup, mais la culture de l’échec est un levier puissant de réussite, car elle est un indicateur fort d’une culture de travail tournée vers l’innovation. Malheureusement, de nombreuses entreprises en sont loin, et au contraire, ont cultivé depuis longtemps une logique de la réussite et du succès qui au final produit une grande inertie. Les salariés ont intériorisé le fait qu’aucun échec ne leur sera pardonné par leur hiérarchie ou leurs collègues, et qu’un parcours sans tâches permettra probablement un avancement plus rapide dans la carrière en interne. Cette culture est de loin (avec le management autoritaire) l’élément le plus néfaste (car le moins visible) pour l’innovation et l’amélioration des entreprises.

Il est aussi stratégique d’accepter mais surtout de manager l’incertitude car tout simplement, construire la valeur de son entreprise sur les utilisateurs c’est accepter que la maîtrise de ce que l’on produit est limitée à la connaissance que l’on a de ses utilisateurs. Tous les produits aujourd’hui doivent être conçus dans une logique “cybernétique” où la valeur se construit via d’incessantes interactions entre la machine et l’utilisateur. Accepter l’incertitude, c’est faire allégeance à l’utilisateur, lui montrer que lui seul connaît et maîtrise ses usages. Il faut donc d’abord faire une proposition, des hypothèses qui pourront être confirmées uniquement en les soumettant, en se soumettant au pouvoir final et total des utilisateurs. C’est uniquement à ce prix que l’on pourra créer de la valeur : alors acceptez l’incertitude, soumettez-vous aux utilisateurs et ils vous le rendront au centuple.

Alors nous savons que les forces conservatrices sont toujours trop fortes, que l’on a toujours une bonne raison de ne pas changer, et surtout que parfois l’on ne se rend pas compte que l’on ne change pas assez vite ou pas dans la bonne direction. D’autres aussi se trompent en pensant prendre des décisions ou enclencher des démarches de transformation de l’entreprise, pensant aller dans le bon sens, et ne comprennent pas pourquoi quelques mois (voire quelques années) après, les choses n’ont pas véritablement changé. La culture de l’entreprise est globalement la même malgré les séminaires, les décisions stratégiques, les rachats de startups ou l’intervention de cabinets de transformation digitale.

Comment construire une organisation qui produit de la “User Driven Value” ?

Évidemment il n’y a pas de recette miracle ni de mode d’emploi qu’il faudrait se contenter d’appliquer et de suivre. En revanche, il suffit de changer et d’imposer de nouvelles priorités. Il vous suffit de définir de nouvelles lignes qui guideront les choix du quotidien, même si la transformation peut prendre plusieurs années, mais c’est dans les choix, attitudes et décisions quotidiennes que se construisent les organisations User Driven. Ces priorités doivent être des principes simples, mais il est nécessaire de les appliquer totalement et radicalement (sans aucune exception). Ces priorités ne forment pas un plan ou un itinéraire précis et quotidien. En revanche, elles peuvent représenter des étoiles polaires, des points fixes sur lesquels nous pouvons en permanence nous reposer pour prendre des décisions et choisir nos itinéraires.

Nous avons nous même défini quelques principes et priorités qui guident tous nos choix et nos recommandations. Nous les avons récupérés ça et là en nous documentant, en échangeant avec de nombreux acteurs, ou en les vivants (ou pas justement) dans les entreprises que nous avons côtoyé. Nous vous les partageons car nous avons pu les observer et nous pensons que la plupart sont vraiment bénéfiques à long terme pour améliorer profondément et durablement le cadre de travail, permettant de produire plus de valeur pour les utilisateurs. Ces priorités pour être efficaces doivent être simples, diffusées à l’ensemble des équipes et mises en pratique totalement notamment par le top-management.

Un produit n’a de valeur que s’il est utilisé et recommandé par les utilisateurs

  • La satisfaction des utilisateurs doit primer sur tous les autres enjeux quand une décision doit être prise : trancher toujours en faveur de la qualité de l’expérience face à tous les autres enjeux souvent plus “conservateurs”.
  • La qualité d’un produit ne peut s’améliorer que lorsque qu’il est sur le marché : mettez tout en oeuvre pour lancer le plus rapidement possible un produit (même inachevé)
  • Quelque chose qui cesse de s’améliorer, cesse d’être de bonne qualité : chaque moment de la journée doit être l’occasion de définir ce qui peut être amélioré (une réunion, un projet, etc.)
  • La qualité d’une expérience sera mesurée surtout selon l’ampleur de la recommandation : priorisez vos indicateurs pour faire ressortir les éléments qualitatifs car la qualité est souvent plus complexe à obtenir que la quantité.
  • Une progression non mesurée ne peut être considérée comme positive : tentez de mettre des indicateurs sur tout ce qui peut être mesuré (les indicateurs de satisfaction sont souvent les meilleurs)

⇒ Des équipes motivées, informées, impliquées et qui progressent est le principal objectif qui permet de satisfaire les utilisateurs

  • En cas de désaccords dans une équipe, les choix sont faits prioritairement par ceux qui font : ceux qui ne font pas directement (management), doivent aider ceux qui font et accompagner/éclairer leurs prises de décision
  • La transparence totale des informations est la seule stratégie de communication gagnante sur le long terme : les risques (minimes) que vous prendrez en vous livrant, vous le gagnerez en favorisant l’agilité des équipes. Par ailleurs, tout fini toujours par se savoir, donc autant faire de l’information une force de confiance et de responsabilisation des équipes.
  • Le droit à l’erreur n’est pas simplement un droit, c’est aussi un devoir : valoriser la prise de risque et les échecs.
  • La confiance est toujours offerte a priori, la confiance ne se gagne pas, elle doit être un principe de base : ne jamais mettre un collaborateur dans la position de devoir gagner votre confiance.
  • Il ne peut y avoir de satisfaction pour les utilisateurs “externes” s’il n’y a pas également une satisfaction des utilisateurs “internes” : ne sous-estimez jamais l’importance de la qualité de l’expérience au travail, sinon vous échouerez sur les 2 plans
  • L’efficacité d’une organisation sera toujours fonction du niveau d’intégration d’une culture commune : donner du sens à votre histoire et racontez-la sincèrement au quotidien.

Certains pourraient penser que ces principes sont frappés sous le sceau du « bon sens », voire de l’évidence, et surtout sont un peu naïfs mais 1) malheureusement, mise à part quelques start-ups qui arrivent à tirer leur épingle du jeu de la révolution digitale, nous n’avons que très rarement rencontré l’application de l’ensemble de ces principes dans les organisations que nous avons pu observé et 2) nous sommes certains que l’application de l’ensemble de ces principes peut changer radicalement en quelques mois la physionomie d’entreprise et lui donner tous les atouts pour jouer un rôle prépondérant sur les nouveaux marchés issus de la révolution digitale.

D’autres pourraient prétendre qu’appliquer ces principes demande une véritable transformation de l’entreprise en partant de l’implication de l’ensemble des lignes managériales jusqu’aux équipes opérationnelles. En effet, ces principes ne peuvent pas être simplement des voeux pieux ou des citations collées sur les vitres des bureaux. Ils traduisent et valident une véritable transformation des entreprises dans toutes leurs dimensions (Innovation, Stratégie, Management, Recrutement, etc.). Cette exigence est le seul chemin qui permet de générer de la “User Driven Value”, seul modèle de référence des entreprises qui sauront survivre ou (re)naître dans le contexte issu de la révolution digitale. Et ce nouveau contexte est déjà présent.

Ces principes répondent également à une double problématique car les entreprises doivent faire face à une pression externe (exigence croissante des clients sur les marchés avec des rétentions de plus en plus faibles) mais doivent faire face également à une pression interne (avec une exigence croissante des salariés qui peuvent être tentés de voler de leurs propres ailes (voir la croissance forte sur le marché des free lances) ou de rejoindre le nombre exponentiel de start-ups créées ces dernières années. La guerre visant à attirer (ou même garder) les talents fait rage partout.

Certes certaines entreprises qui n’entrent pas dans ce cadre ne sont pas (encore) menacées sur leur marché et ne voient pas l’urgence de faire évoluer leurs principes d’organisation. En effet, de nombreux marchés restent encore traditionnels et ne sont pas renversés par la vague du digital. De nombreuses entreprises (souvent importantes par la taille et/ou sur des marchés très réglementés, où la nouvelle concurrence se doit de franchir une marche trop importante) bénéficient également d’une rétention très forte de leurs clients (même mécontents). Mais non seulement ces situations vont devenir de plus en plus rares mais en plus ces entreprises savent que dans tous les cas le compte à rebours est lancé. Il ne reste plus qu’à connaître le nombre de grains de sable encore présent dans le haut du sablier..

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