La révolution digitale, une nouvelle civilisation

juliendreher
Ground
Published in
7 min readSep 4, 2016

--

Les barbares ne sont pas toujours ceux que l’on croit. Ces personnes qui ne respectent plus aucune autorité établie, qui choisissent uniquement en fonction de leurs intérêts, qui n’hésitent pas à brûler sans sommation des institutions historiques, à se détourner d’usages habituels et séculaires, sont bien différentes selon les époques.

Historiquement, nous avons qualifié de “barbare” toute personne considérée comme inculte, irrespectueuse et destructrice… assez proche de la définition que certains conservateurs donnent des… internautes. La révolution digitale que nous vivons est la consécration de la prise de pouvoir de ce barbare qu’est l’utilisateur. Le consommateur, le citoyen, l’administré, le salarié, derrière son écran, avec ses écrans, dicte ses lois : avis de consommateurs, pétitions, (bad)buzz, communautés, bien sûr, mais surtout ces nouveaux usages sont nés de la volatilité, cette nouvelle liberté acquise grâce aux simples choix offert par les nouveaux entrants. Je ne suis plus obligé de commander un taxi pour rentrer chez moi, je ne suis plus obligé de passer par les tour operators pour organiser mes vacances, ni même de loger dans les hôtels, je ne suis plus contraint de passer par les instances politiques ou les administrations pour m’informer, ni par les journalistes d’ailleurs, je ne suis même plus obligé d’utiliser les outils obsolètes de mon entreprise, j’utilise plutôt mes outils persos… Derrière son écran, l’utilisateur est le roi, il choisit, il se renseigne, il se ligue, il râle, il encense, il fait peur, il se retire, il fédère, il s’inscrit, il se désinscrit, il critique, il partage, il recommande, il désapprouve, et cela quand il veut, où il veut, sur qui il veut, pour peu qu’il ait :

  • une bonne culture des outils et des médias ;
  • une conscience de sa liberté personnelle ;
  • une aisance pour fédérer d’autres utilisateurs.

Et contre cela, nous ne pouvons rien. Nous faisons tous partie de cette nouvelle élite, de ce nouveau pouvoir, de cette aristocratie du clic.

Qu’est-ce que la révolution digitale ?

La cause essentielle de la révolution que nous vivons est finalement assez simple : la numérisation et la mise en réseau ont offert la possibilité de transmettre et d’échanger (quasi) gratuitement de l’information entre n’importe quels individus dans le monde, ou avec n’importe quel objet, via des interfaces et des terminaux.

Beaucoup de grandes révolutions ont émergé grâce à la combinaison de 2 phénomènes concomitants qui, à chaque fois, a permis à de nouveaux types d’acteurs d’élargir leur pouvoir en profitant des nouveaux rapports de force ou des nouvelles opportunités.

La révolution de l’imprimerie, qui va accélérer le déploiement de l’écriture grâce à l’invention de la presse, va permettre la diffusion de la connaissance et du savoir. Ce phénomène entraînera la fin du monopole des sachants et une autonomisation progressive d’une partie de la population. Cette nouvelle donne aura certainement permis d’affaiblir les pouvoirs en place et ainsi d’accélérer l’arrivée des grands changement culturels et politiques (révolutions anglaises, française, américaines, etc.) dans les siècles qui suivirent.

La révolution industrielle, en associant mécanisation et nouvelles énergies (gaz, électricité), va permettre via la standardisation et la production de masse d’offrir une consommation de masse, mais aussi une information de masse, et ainsi de conférer aux intermédiaires, grands bénéficiaires, un nouveau pouvoir. Comment profiter de ce nouveau confort sans les intermédiaires ? Comment s’informer sans les journaux et les médias, comment circuler moins cher sans les transports publics et/ou réglementés, comment organiser un voyage sans agence, comment recruter sans cabinet de chasseur de têtes, comment envoyer un message à l’autre bout du monde sans les postes, comment s’organiser entre travailleurs sans syndicats, comment faire pression sur un pouvoir sans créer d’associations, la liste est longue.. car elle est s’est construite progressivement jusqu’au début du XXIème siècle.

La révolution digitale s’est produite elle par l’association féconde de la numérisation de l’information et de sa diffusion quasi illimitée via les réseaux (Internet), et progressivement via les terminaux (desktop, smartphone, tablettes, objets connectés, etc.) et les interfaces (Sites, applis, Mails, IM, dashboards, etc). Cette double innovation (Numérique + Réseau) a généré au moins 3 phénomènes majeurs qui ensemble sont en train de changer durablement la face du monde et de conférer de puissants pouvoirs à une nouvelle typologie d’acteurs : les utilisateurs. Celles et ceux qui ont déjà compris cela ont en général pris beaucoup d’avance pour monter de nouveaux empires en chevauchant ce nouveau rouleau compresseur en forme de licorne.

  • La révolution digitale est en train d’entraîner une disruption violente de toutes les filières. Cette désintermédiation supprime progressivement les rentes et la valeur détenues par de nombreuses institutions, organisations ou entreprises depuis des décennies, et laisse la place à la constitution de nouveaux parcours et de nouvelles expériences allant d’un utilisateur à un autre.
  • Cela a permis une autonomisation très forte des personnes, qu’elles soient consommateurs, citoyens ou autres, et une prise de pouvoir progressive appelée Empowerment. L’accès facilité à l’information, aux nombreux outils réservés jusque là aux entreprises, la gratuité de nombreux services ont offert de nouvelles capacités aux citoyens/consommateurs/salariés/administrés, bref aux utilisateurs.
  • Enfin, la révolution digitale a supprimé le coût d’entrée sur de nombreux marchés en permettant à n’importe qui de concurrencer des acteurs traditionnels sans avoir eu besoin de manne financière au départ. Ainsi, grâce aux plateformes de crowdfunding comme Kickstarter ou Ulule, vous n’avez plus besoin de produire avant de vendre, grâce à ces mêmes plateformes vous pouvez bénéficier d’un financement participatif de vos futurs clients partenaires, et initialiser une communication basée sur la connaissance et la mobilisation de vos communautés. Bien entendu ce mécanisme n’est pas magique, mais il repose seulement sur le mérite et la qualité des entrepreneurs et non uniquement sur la capacité à réunir des fonds au départ, souvent en essayant de convaincre leur famille (quand elle le peut) ou leur banque. Dans tous les cas, l’ensemble des nouveaux médias et outils ont généré une nouvelle offre foisonnante. Même si l’extrême majorité d’entre eux ne conquiert pas des parts de marché importantes, le nombre d’acteurs rend la compétition plus ardue pour tout le monde en faisant office de catalyseur pour l’innovation. Chris Anderson avait expliqué ce phénomène il y a plus de 10 ans dans sa théorie de la Long Tail.

Se soumettre face à l’expérience des utilisateurs

Ces 3 phénomènes entraînent une forte dynamique d’augmentation exponentielle de la concurrence, des innovations et dans le même temps, du seuil d’exigence des utilisateurs. Une double peine pour l’offre qui voit à la fois le nombre de concurrents croître et une demande de plus exigeante.

Si le révolution industrielle érigeait le règne des intermédiaires, la révolution digitale porte aux nues celui des communautés d’utilisateur. Cet utilisateur toujours plus exigeant, cet utilisateur toujours plus impatient, toujours plus radical, cet utilisateur toujours plus méfiant, cet utilisateur toujours plus difficile à convaincre et à manipuler, nous ne le connaissons tous, c’est nous. Le rapport de force a changé. L’utilisateur est libre, il a le choix. Il est le roi de la jungle internet, il n’a (pour le moment) aucun prédateur sur le réseau. Comme un dictateur sanguinaire, il a le droit de vie ou de mort sur n’importe quelle application, n’importe quelle marque qu’il pourra encenser ou à l’inverse vouer aux gémonies en un bad buzz. Il choisira de laisser tomber sans un regret, sans un état d’âme, un service pour son concurrent moins cher.. voir gratuit et bien mieux-disant. Caramail, Yahoo, MySpace, MSN, Foursquare, etc la liste est longue des services élevés au rang d’icônes générationnelles un jour, puis mis aux oubliettes pour privilégier de nouveaux services.

Tous les principaux nouveaux usages issus de la révolution digitale (Sharing Economy, Open Source, PearToPear, Crowfunding, les réseaux sociaux, le media personnel, le cloud computing, etc.) ont émergé en mettant au centre de leur proposition de valeur, voire en glorifiant sous des formes différentes, l’utilisateur, son usage et son expérience.

Il est fini le temps où des budgets de communication et de marketing pouvaient suffire à faire adopter un produit sur le marché… aujourd’hui si le produit ne correspond pas à l’usage, tous les budgets du monde ne suffiront pas à les imposer durablement sur le marché.

Parce que dorénavant les règles sont fixées par les utilisateurs, les enjeux et les stratégies sont tirés par les besoins des utilisateurs, tous les segments traditionnels sont remis en cause : BtB vs BtC, les marchés, les filières sont redéfinies en fonction non plus des offres mais des usages.

Les éditeurs de logiciels professionnels sont attaqués par les outils en cloud à usage personnel qui pénètre avec force dans les entreprises (Facebook @work, Google Apps, Trello, Evernote, Dropbox sont à la base des outils à usage personnel).

Les marchés et les activités sont totalement redéfinis. Par exemple, un équipementier sportif dans le running qui s’est contenté pendant longtemps de développer son offre chez les revendeurs en faisant tout au plus un peu de sponsoring, doit aujourd’hui multiplier ses activités, maîtriser de nouveaux métiers et être partout : animer des communautés, faire de l’événementiel, du gaming, développer des applications et des objets connectés, organiser directement ses propres courses. La vente d’équipements dans les magasins ou sur internet devient une activité parmi d’autres car les usages des clients dans leur expérience de Running ne se limitent pas à l’acte d’achat dans un magasin ou une course en forêt le dimanche.

De nombreux marchés sont redéfinis par les usages et certains sont même en train de disparaître car ils ne correspondent plus du tout à ceux-ci. Et cela n’est pas terminé, nous n’en sommes qu’au début. A bien des égards, les usages issues des initiatives Pear to pear comme la blockchain vont amener encore plus loin la révolution digitale, le phénomène d’autonomisation vis à vis des institutions et la prise de pouvoir des utilisateurs. Les initiatives comme Bitcoin remettent en cause jusqu’aux monopoles régaliens historiques en faisant reposer la confiance sur laquelle sont fondés ces systèmes non plus sur les États, mais sur les utilisateurs et leurs réseaux collaboratifs. Les utilisateurs n’ont plus besoin des Etats pour cela. Et le phénomène Bitcoin en appelle d’autres dans des secteurs (souvent réglementés) qui reposent sur des tiers de confiance (Assurance, Immobilier, Transport, Santé, etc.).

Les utilisateurs s’affranchissent des intermédiaires (qu’ils soient entreprises ou institutions publiques) pour produire de la valeur, et nous verrons dans les prochaines années que ce mouvement a encore une grande marge d’évolution. Les plateformes web et mobiles qui ont disrupté les marchés en s’adaptant aux usages ne seront peut-être qu’une étape dans le long et profond processus d’empowerment des utilisateurs.

--

--